Le temps des rois : de Louis IX à Louis XIV
- didiercariou
- 12 sept. 2022
- 73 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 nov. 2024
Cours de Didier Cariou, maitre de conférence HDR en didactique de l'histoire à l'Université de Bretagne Occidentale
Quelques références
BOUCHERON, Patrick (dir.) (2017). Histoire mondiale de la France. Paris : Seuil.
CORNETTE, Joël (2003). Louis XIV et Versailles. Textes et documents pour la classe n° 850, Scéren.
CORNETTE, Joël (2007). La monarchie absolue. De la Renaissance aux Lumières. Documentation photographique, n°8057.
CORNETTE, Joël (2022). Le roi absolu. Une obsession française 1515-1715. Paris : Taillandier, Texto.
CROUZET, Denis (2020). Humanisme, réformes et conflits religieux. Documentation photographique, n° 8135.
EL KENTZ, David (2014). La Réforme. Textes et documents pour la classe, n° 1072, Scéren.
GUERRE Stéphane et PAQUET Fabien (2024). L'Etat monarchique XIVe-XVIIe siècle. Documentation photographique, n°8158.
LE GOFF, Jacques (1996). Saint-Louis. Paris : Gallimard
LE PAGE, Dominique & EL KENTZ, David (2013). La naissance de l’État moderne XIVe-XVIe siècles. Textes et documents pour la classe, n° 1056. Sceren.
Mots-clés du cours :
Hugues Capet, Sacre, Onction, Insignes royaux, Acclamation, Domaine royal, Seigneuries, Pouvoir thaumaturge.
Louis IX / Saint Louis, Prévôts, Baillis, Sénéchaux, Parlement, Justice d’appel, Écu, Croisades, Canonisation
François 1er, Charles Quint, Henri VIII, Marignan, Pavie, Renaissance, Humanisme, Érasme, Marguerite de Navarre, Réforme religieuse, Luther, Calvin, Concile de Trente, Cour, Courtisan, Étiquette, Collège des lecteurs royaux (Collège de France), Affaire des Placards, Mécénat, Léonard de Vinci, Chambord, Fontainebleau, Rosso Fiorentino, Le Primatice, Parlement, État de justice, État de finance, Concordat de Bologne, Ordonnance de Villers-Cotterêts.
Henri IV, Guerres de religion, Saint-Barthélemy, Ligue, Henri III, Jacques Clément, Abjuration, Sacre, Conseil du roi, Sully, Paulette, Pont Neuf, Place des Vosges, Place Dauphine, Ravaillac, Édit de Nantes.
Louis XIV, Roi soleil, Régence, Mazarin, Fronde, Monarchie de droit divin, Jansénisme, Édit de Fontainebleau / Révocation de l’édit de Nantes, Ballet de la nuit, Devise « Nec pluribus impar », Monarchie absolue, Justice retenue (lettres de cachet, droit de grâce), Justice déléguée (Parlements), Conseils, Chancelier, Secrétaires d’État, Colbert, Intendants, Académie française, Académie de peinture et de sculpture, d’architecture, de danse, de musique, Limites à l’absolutisme, Roi de guerre, Conquêtes, Vauban, Ceinture de fer, Versailles, Molière, Lully, Le Vau, Hardouin-Mansart, Le Nôtre, Jardins, Château, Cour, Galerie des glaces, Le Brun, Ambassades, Étiquette, société de cour, Spectacles.
Que dit le programme ?
Extrait du programme du cycle 3, classe de CM1 (2020), classe de CM1

Soulignons pour commencer une incohérence du programme : aucune des femmes citées ici (Aliénor d’Aquitaine, Anne de Bretagne, Catherine de Médicis) ne vécut sous le règne de chacun des rois que nous devions étudier. Ce strabisme divergeant conduit à exclure l’histoire des femmes de ce chapitre. D’ailleurs, la fiche ressource Eduscol afférente à ce chapitre n’évoque pas ces femmes.
Autre incohérence : le programme évoque la « monarchie capétienne » alors que seul Louis IX appartient à cette dynastie. François Ier était un Valois, Henri IV et Louis XIV étaient des Bourbons.
Le programme et la fiche Eduscol concernée (qu’il convient de consulter car elle est plutôt bien faite) conduisent à étudier la construction de l’État monarchique en lien avec sa construction territoriale à travers les règnes de quatre rois jugé représentatifs de cette construction. Afin d’éviter un exposé exhaustif du règne de chacun d’entre eux, le programme nous demande d’aborder chaque règne par le prisme d’une thématique spécifique. Nonobstant les deux incohérences signalées plus haut, cette approche d’une évolution politique sur le temps long abordée à travers quatre cas spécifiques semble très pertinente.
Il n’est évidemment pas question de raconter la totalité du règne de chacun des rois ni de raconter ce qui se passe entre chaque règne. La cohérence du programme n’est pas chronologique, elle est conceptuelle : on étudie quelques étape de la construction politique et territoriale de l’État moderne en France. En conséquence, ce chapitre est lié au thème précédent (Et avant la France ?) où l’on observe la construction des modèles politiques de la monarchie française et au thème suivant (Le temps de la Révolution et de l’Empire) qui voit la mise en place d’un nouveau régime politique.
Nous abordons la question de la traite négrière et de l’esclavage dans une autre fiche.
Préambule: les logiques de la construction de l’État monarchique
Ce préambule vise la compréhension des logiques qui ont présidé à la construction de l’État monarchique et qui constituent la trame de ce chapitre. Il est utile d’évoquer à cet effet le règne d’Hugues Capet qui ne figure pas au programme et ne doit pas être évoqué devant les élèves de CM1.
Au IXe siècle, le roi carolingien de Francie occidentale s’appuyait sur les grandes familles aristocratiques qui dirigeaient les comtés et qui tiraient leurs revenus de vastes domaines fonciers. Les chefs de ces familles rendait l’hommage au roi et se trouvaient eux-mêmes à la tête de vastes réseaux de vassaux dans leurs comtés.
Le 22 mai 987, le roi carolingien Louis V mourut sans héritier lors d’un accident de chasse.
Le 1er juin 987, lors d’une assemblée réunie à Senlis, Hugues Capet fut élu roi des Francs, sur le territoire de la Francie occidentale, par les grands du royaume et les évêques. Par cette élection d'un souverain n'appartenant pas à la famille carolingienne, la Francie occidentale se détacha du reste de l’Empire carolingien qui se maintint en Francie orientale (Germanie). Hugues fut ensuite sacré roi à Noyon le dimanche 3 juillet 987, selon le cérémonial déjà mis en place par Pépin le Bref mais codifié réellement par les premiers capétiens.
Encart : Le déroulement du sacre du roi de France dans la cathédrale de Reims
Le sacre a lieu dans la cathédrale de Reims, lieu présumé du baptême présumé de Clovis
Le roi est vêtu de la tunique de sous-diacre : il devient partiellement un homme d’Église. Il promet par serment de défendre l’Église et de faire respecter la justice.
L’archevêque de Reims lui applique l’onction du saint-Chrême sur le front, l’épaule, la poitrine et les bras, comme un évêque. Le roi est donc « oint de Dieu » (traduction du mot « Messie »)
Les évêques lui donnent les insignes royaux (les regalia :les deux sceptres et la couronne)
Puis le roi est acclamé par les grands seigneurs du royaume (rappel de son élection et de l’acclamation de l’imperator romain)
A partir de la fin du XIe siècle, le roi est considéré comme thaumaturge : comme il possède une parcelle de pouvoir divin par le sacre, il dispose de pouvoirs surnaturels de guérisseur de la maladie des écrouelles (adénite tuberculeuse) en prononçant la phrase : « Le roi te touche, Dieu te guérit ».
Hugues Capet associa son fils aîné Robert à l’exercice de son pouvoir, en le faisant sacrer six mois plus tard. Cette monarchie héréditaire perdura jusqu’au 10 août 1792, date de la déchéance de Louis XVI, avec des tentatives de restauration en 1814 et en 1830.
Cependant, Hugues Capet n’était le seigneur ni le plus riche ni le plus puissant du royaume. Le domaine royal (l’ensemble des seigneuries dont le roi est le seigneur direct, dont il tire ses revenus de l’exploitation de la terre, où il rend la justice et prélève des impôts) était très réduit. On peut même supposer que c’est en partie pour cette raison qu'il fut choisi par les grands seigneurs du royaume, notamment les comtes de Blois et de Troyes. Ces derniers pensaient que ce roi faible ne mettrait pas en danger leurs prérogatives et ne les empêcherait pas de régler leurs différends entre eux. Cependant, les rois capétiens s’appuyèrent sur la dimension religieuse de leur pouvoir pour étendre leur autorité sur tout le royaume.
La carte ci-dessous indique la faible étendue du domaine royal sous le règne d’Hugues Capet. Remarquons que ces territoires étaient situés dans l’actuelle Île-de-France et manifestent l’enracinement de la nouvelle dynastie autour de Paris.

Source : Duby, G. (dir.) (1978). Atlas historique. Paris : Larousse, p. 108.
Il convient toutefois de ne pas imaginer le domaine royal comme un territoire continu. La carte ci-dessous montre que le roi exerçait son autorité sur des seigneuries plus ou moins contiguës mais parfois séparées les unes des autres par des seigneuries appartenant à d’autres seigneurs.

Source : Duby, G. (1987). Histoire de France. Le Moyen Age de Hugues Capet à Jeanne d’Arc, 987-1460. Paris : Hachette, p. 177.
Au cours du Moyen Age, le royaume était donc constitué de deux types de territoires : d’une part le domaine royal, administré et exploité directement par le roi qui en était le seigneur, d’autre part les comtés, les duchés, etc., ne dépendant pas directement du roi qui n’y percevait aucun revenu. Mais leurs détenteurs reconnaissaient l’autorité sacrée du roi par le biais de l’hommage.
Nous pouvons grossièrement considérer l’histoire de la construction administrative et territoriale du pouvoir royal depuis le Moyen Age jusqu’aux Temps modernes selon une triple logique :
1. Une logique d’extension du domaine royal, jusqu’à ce qu’il coïncide avec les frontières du royaume, sous le règne d’Henri IV, par des mariages avec de riches héritières, par des achats, par des guerres et par la confiscation des terres des seigneurs rebelles. Par exemple, en 1189, le roi Philippe Auguste (1180-1223) épousa Isabelle de Hainaut qui lui offrit l’Artois en dot. En 1204, il s’empara du duché de Normandie après avoir battu le roi d’Angleterre que nous nommons Jean sans Terre précisément parce qu’il perdit la Normandie. Dans les films hollywoodiens et dans les dessins animés, ce roi, le petit frère de Richard Cœur de Lion, est nommé le Prince Jean. Le seigneuries ainsi acquises appartenaient dès lors au roi. Il concédait parfois l’autorité sur ces seigneuries à des seigneurs qui lui prêtaient alors hommage.
2. Une logique de centralisation administrative. Le domaine royal était administré par des prévôts qui rendaient la justice au nom du roi, et qui prélevaient les impôts et les amendes pour son compte. Plus le domaine royal s’agrandissait et plus le roi devenait riche et capable de lever des armées de plus en plus puissantes. Philippe Auguste institua les baillis (baillés, envoyés par le roi, dans la moitié nord de la France) et les sénéchaux (dans le sud de la France) pour contrôler les prévôts d’une zone plus ou moins bien délimitée. Un bailliage ou une sénéchaussée avait, très approximativement, une taille équivalente à celle d’un département actuel. Progressivement, par les moyens que nous verrons avec l’étude du règne de Louis IX, les rois imposèrent leur autorité aux sujets qui résidaient hors du domaine royal.
3. Une logique d’extension des frontières du royaume. A partir du XVe siècle, une fois le roi devenu le plus puissant seigneur du royaume, grâce à l’extension et à l'exploitation du domaine royal, la monarchie réalisa de nombreuses expéditions militaires hors du royaume pour conquérir des territoires au-delà des frontières fixées lors du traité de Verdun de 843. Ce fut notamment l’une des grandes orientations du règne de Louis XIV. Passons maintenant à l’étude des règnes qui nous incombent.
1. Louis IX, le « roi chrétien » au XIIIe siècle
Louis IX (1214-1270) devint roi à la mort de son père Louis VIII et fut sacré le 29 novembre 1226, trois semaines après le décès de son père, dans la cathédrale de Reims. Sa mère Blanche de Castille assura la régence jusqu’à sa majorité. La miniature représente l’onction du roi ainsi que les symboles de son pouvoir, les regalia.

Le sacre de Louis IX, miniature du manuscrit de l'Ordo du sacre de 1250, BNF, Lat.1246, folio 17. Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/87/Louis_ix_sacre.jpg

Sceau en majesté de Louis IX
Légende : Ludovicus Dei gratia Francorum Rex
1.2. L’administration du royaume
1.2.1 La gestion du domaine royal
Contrairement à ses prédécesseurs, Philippe Auguste et Louis VIII (voir les cartes ci-dessous), Louis IX ne produisit pas une extension considérable du domaine royal.

Source : Duby, G. (1987). Histoire de France. Le Moyen Age de Hugues Capet à Jeanne d’Arc, 987-1460. Paris : Hachette, p. 177.
Par le traité de Paris en 1259, il fit renoncer le roi d’Angleterre Henri III à ses revendications sur le duché de Normandie, sur le comté d’Anjou et du Maine, et sur le comté de Touraine qui avaient été conquis par Philippe Auguste. Louis IX annexa uniquement les sénéchaussées de Beaucaire et de Tarascon, au bord du Rhône.

Le domaine royal à la mort de Louis IX (1270)
Louis IX se consacra principalement au renforcement de l’administration du domaine royal et du royaume. Il jeta ainsi les bases d’un État moderne qui ne reposait plus seulement sur les liens personnels de vassalité avec les grands seigneurs du royaume, mais sur un ensemble d’institutions peuplées par des juristes professionnels.
Par la Grande ordonnance de 1254, le roi renforça son contrôle sur les prévôts et les baillis qui administraient le domaine royal. Il leur ordonna de rendre la justice à tous les justiciables sans distinction de richesse ou de statut, et de ne pas faire payer d’amendes sans jugement. Louis IX commença ainsi à disposer d’un personnel mieux payé, moins corrompu, plus compétent et dévoué au service de l’État. Surtout, le texte de la Grande ordonnance signale des personnels au service exclusif du roi, hors de toute logique de vassalité envers un autre seigneur. Enfin, si le roi prend la peine de détailler tout ce qui est interdit aux prévôts et aux baillis, c’est sans doute parce que ces derniers commettaient jusqu’à présent tous ces méfaits.
Document : La Grande ordonnance de Louis IX sur l’administration du royaume (1254) (extraits)
Nous Louis, par la grâce de Dieu roi de France, établissons que tous nos baillis, vicomtes, prévôts, maires et tous autres, en quelque affaire que ce soit, et en quelque office que ce soit, fassent serment que, tant qu’ils seront en office ou en fonction de baillis, ils rendront justice à chacun sans exception, aux pauvres comme aux riches, à l’étranger comme au familier, et qu’ils respecteront les us et coutumes qui sont bonnes et qui ont fait leurs preuves. Et s’il arrive que les baillis, ou les vicomtes ou autres, comme sergents ou forestiers, agissent contre leurs serments, et qu’ils en soient convaincus, nous voulons qu’ils en soient punis en leurs biens et en leurs personnes si le méfait est suffisant, et les baillis seront punis par nous, et les autres par les baillis. Les prévôts, les baillis et les sergents jureront de garder loyalement nos rentes et nos droits, et ne pas supporter que nos droits soient supprimés ou amenuisés ; et ils jureront en outre de ne prendre ou recevoir ni par eux-mêmes ni par d’autres ni or, ni argent, ni bénéfice par en-dessous, ni d’autres choses, si ce n’est de la nourriture, du pain et du vin, jusqu’à la valeur de dix sous et pas au-delà. (…). Et ils jureront encore de ne recevoir aucun cadeau quel qu’il soit, d’homme appartenant à leur baillie, ni d’autres qui ont cause ou plaident devant eux (…).
Et ils promettront et jureront que s’ils apprennent qu’un officier, sergent ou prévôt est déloyal, rapineur, usurier, ou empli d’autres vices à cause desquels ils doivent abandonner le service royal, ils ne les soutiendront nullement à cause de cadeaux ou de promesses qui leur auraient été faites, par bienveillance ou d’autres raisons, mais ils les puniront et jugeront en toute bonne foi (...).
Nous voulons et établissons que tous nos prévôts et nos baillis se retiennent de proférer des jurons contre Dieu, Notre-Dame et tous les saints et se tiennent éloignés des jeux des dés et des tavernes. Nous voulons que la fabrication des dés soit défendue dans tout notre royaume et que les « folles femmes » soient jetées hors des maisons ; et quiconque louera une maison à une « folle femme » devra donner au prévôt ou bailli le loyer de la maisons pendant un an (…).
Nous établissons qu’aucun de nos baillis ne lève des amendes pour dettes de nos sujets, ou pour malfaçon, si ce n’est en assemblée plénière devant laquelle la dette soit jugée et estimée, et avec le conseil de bonnes gens (…). Nous défendons que les baillis, maires ou prévôts ne contraignent par des menaces, par la peur ou autre contrainte, nos sujets à payer des amendes, ni ne les accusent sans raisons valables (…).
Texte cité par Joinville, Histoire de Saint Louis, éd. N. De Wailly, 1869, p. 383-389 ; adapté de l’ancien français et cité par Brunel, G. et Lalou, E. (dir.) (1992). Sources d’histoire médiévale IXe – milieu du XIVe siècle. Paris : Larousse, p. 728-730.
Dans l’esprit du roi, si la justice royale était correctement rendue et si les sujets se conduisaient mieux (le texte montre que le blasphème était également interdit, ainsi que les jeux d’argent et de hasard et la prostitution), alors le roi pourrait contribuer au salut de leur âme. A l’époque, il n’existait pas de distinction entre l’exercice du pouvoir politique et les impératifs liés à la religion.
1.2.2 L’affirmation de l’autorité du roi sur l’ensemble du royaume
Louis IX imposa également son autorité sur le reste du royaume. Au milieu du XIIIe siècle, l’autorité du roi ne s’imposait plus seulement à ses vassaux directs et aux sujets vivant dans le domaine royal, mais aussi à tous ses sujets du royaume. Désormais, l’empereur et le pape n'étaient plus considérés comme les supérieurs du roi et la chancellerie royale de Louis IX commença à présenter le roi comme « empereur en son royaume ». L’autorité du roi se manifestait surtout par l’exercice de la justice. Par la justice, le roi pouvait concurrencer la justice exercée traditionnellement par les seigneurs dans leurs seigneuries, il exerçait ainsi une autorité visible sur ses sujets, et il tirait des bénéfices du paiement des amendes. Il dépêcha donc dans le royaume des envoyés qui contrôlaient l’exercice de la justice par les seigneurs locaux.
L’épisode de la condamnation du sire de Coucy, racontée par Guillaume de Nangis, est un exemple célèbre de la manière dont Louis IX fit de la justice royale une justice d’appel de la justice seigneuriale et imposa son autorité aux seigneurs qui ne se trouvaient pas dans le domaine royal. L’histoire raconte que le sire de Coucy fit pendre trois jeunes nobles qui avaient été pris en train de chasser sur ses terres. Même si la mesure est brutale, elle rentre dans les attributions d’un seigneur. Louis IX décida de le juger et de la condamner à mort. L’entourage du roi parvint à le faire changer d’avis et à transformer cette peine en une forte amende. Cet épisode montre que la cour du roi était alors en train de devenir l’organe judiciaire suprême du royaume, une justice d’appel au-dessus des justices seigneuriales.

Saint Louis condamne le sire Enguerrand de Coucy pour avoir fait pendre trois jeunes nobles. Enluminure du manuscrit du chroniqueur Guillaume de Saint-Pathus, Vie et miracles de saint Louis, XIVe siècle, Bibliothèque nationale de France, Français 5716, folio 245 verso
Document : Le récit de la condamnation du sire de Coucy par Louis IX
Il advint en ce temps qu’en l’abbaye de Saint-Nicolas au bois qui est près de la cité de Laon, demeuraient trois nobles jeunes gens natifs de Flandre, venus pour apprendre le langage de France. Ces jeunes gens allèrent jouer un jour dans le bois de l’abbaye avec des arcs et des flèches ferrées pour tirer et tuer les lapins. En suivant leur proie qu’ils avaient levée dans le bois de l’abbaye, ils entrèrent dans un bois appartenant à Enguerrand le seigneur de Coucy. Ils furent pris et retenus par les sergents qui gardaient le bois. Quand Enguerrand apprit ce qu’avaient fait ces jeunes gens par ses forestiers, cet homme cruel et sans pitié fit aussitôt pendre les jeunes gens. Mais quand l’abbé de Saint-Nicolas qui les avait en garde l’apprit, ainsi que messire Gilles le Brun, connétable de France au lignage de qui appartenaient les jeunes gens, ils vinrent trouver le roi Louis et lui demandèrent qu’il leur fît droit du sire de Coucy. Le bon roi, dès qu’il apprit la cruauté du sire de Coucy, le fit appeler et convoquer à sa cour pour répondre de ce vilain cas (…).
Le roi Louis fit prendre et saisir le sire de Coucy, non pas par ses barons ni par ses chevaliers, mais par ses sergents d’armes et le fit mettre en prison dans la tour du Louvre et fixa le jour où il devait répondre en présence des barons. Au jour dit les barons de France vinrent au palais du roi et quand ils furent assemblés le roi fit venir le sire de Coucy et le contraignit à répondre sur le cas susdit (…). L’intention du roi était de rester inflexible et de prononcer un juste jugement, c’est-à-dire de punir ledit sire selon la loi du talion et de le condamner à une mort semblable à celle des jeunes gens. Quand les barons s’aperçurent de la volonté du roi, ils le prièrent et requirent très doucement d’avoir pitié du sire de Coucy et de lui infliger une amende. Le roi, qui brûlait de faire justice, répondit devant tous les barons que s’il croyait que Notre Seigneur lui sût aussi bon gré de le pendre que de le relâcher, il le pendrait, sans se soucier des barons de son lignage. Finalement, le roi se laissa fléchir par les humbles prières des barons et décida que le sire de Coucy rachèterait sa vie avec une amende de dix mille livres et ferait bâtir deux chapelles où l’on ferait tous les jours des prières chantées pour l’âme des trois jeunes gens. Il donnerait à l’abbaye le bois où les jeunes gens avaient été pendus et promettrait de passer trois ans en Terre sainte. Le bon roi prit l’argent de l’amende, mais ne le mit pas dans son trésor, il le convertit en bonnes œuvres (…). »
Guillaume de Nangis, Gesta Ludovici IX, éd. Cl. Fr. Daunon, Recueil des historiens de la France, XX, Paris, 1840, p. 399-401 ; trad. J. Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996, p. 240-242.
L’image du roi justicier fut à l’origine d’une représentation erronée mais largement diffusée par les manuels scolaires de la Troisième république montrant Saint-Louis rendant la justice sous un chêne à proximité du château de Vincennes.
Une autre mesure essentielle concerne la monnaie. Au Moyen Age, chaque grand seigneur possédait un atelier de frappe monétaire et émettait des pièces qui avaient cours sur ses terres. Si des marchands voulaient acheter ou vendre des produits dans une autre province, ils étaient obligés de changer leur monnaie.
En 1263 puis en 1265, deux ordonnances du roi instaurèrent le privilège de la monnaie royale de circuler dans tout le royaume tout en autorisant la circulation locale des monnaies locales. Cette mesure, extraordinaire à l’époque, montre que la richesse et l’autorité du roi étaient désormais reconnues dans tout le royaume et pas seulement dans le domaine royal.
Extrait de l’ordonnance de Louis IX sur la monnaie (1263) (traduction en langue moderne)
La monnaie royale aura désormais cours dans tout le royaume. Il est décidé que nul ne puisse faire une monnaie semblable à la monnaie du roi sans qu’il n’y ait une différence évidente du côté croix comme du côté pile. Et qu’on ne se serve d’aucune autre monnaie que celle du roi, et que nul ne vende, n’achète, ne passe de contrat qu’avec cette monnaie, là où il n’existe pas de monnaie particulière. Et les monnaies parisis [frappées à Paris] ni tournois [frappées à Tours] ne seront pas refusées, même si elles sont usées, pourvu que l’on reconnaisse du côté croix ou du côté pile qu’elles sont les monnaies parisis ou tournois, pour qu’il n’y ait aucune tromperie sur aucune pièce. Et le roi veut et commande que de telles monnaies soient acceptées pour le paiement de ses redevances. Et que nul ne puisse refondre ni rogner la monnaie du roi sous peine d’emprisonnement et de voir ses biens confisqués.
Ordonnance des roys de France de la troisième race, Tome I, Paris, 1723, p. 93-94. Source : d’après http://classes.bnf.fr/franc/reperes/textes/c.htm
Par la suite, des ordonnances instaurèrent deux monnaies, le gros tournois (frappé à Tours) en argent et l’écu d’or. L’écu d’or fut nommé ainsi car, sur son avers, figurait l’écu (le bouclier) du roi orné de fleurs de lys. Sa valeur élevée le destinait au grand commerce international, mais il connut un relatif échec. Cependant, cette monnaie, symbole de la richesse de Saint-Louis, resta célèbre et donna son nom à l’ECU (European Currency Unit) qui préfigura l’Euro.

écu d’or de Louis IX d’un poids de 4,04 gramme d’or (1266). BNF.
Description : Avers : écu semé de six fleurs de lys dans un polylobe. Inscription : LVDOVICVS DEI GRACIA FRANCOR REX (Louis par la grâce de Dieu roi des Francs)
Description : Revers : croix grecque aux bras fleuronnés et fleurs de lys. Inscription : XPC VINCIT XPC REGNAT XPC IMPERAT (Christ vainc, Christ règne, Christ commande)
Source :
1.3 Un « roi chrétien »
Le règne de Louis IX fut marqué par un attachement très fort à la dévotion religieuse.
Louis IX se livrait fréquemment à des exercices de piété (prières et messes fréquentes), il s’efforçait d’imiter la vie du Jésus lors de certaines fêtes religieuses (il lavait les pieds des mendiants, il offrait à manger aux pauvres lors du Jeudi-Saint, etc.).
Louis IX acquit également des reliques d’une grande valeur. Il acheta à l’empereur de Constantinople Baudouin II la couronne en épines du Christ, une partie de la Vraie Croix, la Sainte-Éponge et le fer de la Sainte-Lance (nous ne ferons pas de commentaires sur la potentielle réalité de ces reliques). Pour héberger ces reliques, il fit construire la Sainte-Chapelle située dans l’enceinte du palais royal sur l’île de la cité (aujourd’hui dans l’enceinte de la préfecture de police de Paris), inaugurée en 1248. Cette très belle église gothique, dont les murs sont remplacés par des vitraux, permettait d’associer étroitement le pouvoir royal à la religion, le roi à Jésus. Le roi se trouvait ainsi au contact quotidien des reliques de la Passion du Christ.

L’intérieur de la Sainte-Chapelle
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_IX#/media/Fichier:Sainte-Chapelle_gnosne.j
Louis IX prit également des mesures contre les juifs, considérés comme un peuple déicide. A plusieurs reprises, il interdit les prêts usuraires consentis par les juifs et permit à leurs clients de ne pas rembourser leurs dettes. En 1240, des exemplaires du Talmud, considéré comme un livre infâme, furent brûlés en place de Grève à Paris. En 1269, il obligea les juifs à porter la rouelle, une marque jaune cousue sur la poitrine et le dos, afin que l’on puisse les reconnaître. Il semblerait que ces mesures discriminatoires, de sinistre mémoire pour nous aujourd’hui, relevaient, dans l’esprit de Louis IX et de l’époque, d’une volonté de conversion des juifs à la religion catholique.
En 1248, à la suite d’un vœu formulé alors qu’il était gravement malade, Louis IX embarqua à Aigues-Mortes pour accomplir la 7eme croisade. L’expédition se dirigea vers Chypre pour se ravitailler, puis vers l’Égypte. Il était en effet trop difficile d’attaquer directement la Terre Sainte : la conquête de l’Égypte semblait pouvoir ouvrir la voie vers la Terre Sainte. Rien ne se passa comme prévu. Le roi fut capturé puis libéré contre une forte rançon. Ayant appris le décès de sa mère Blanche de Castille, qui exerçait la régence durant son absence, il revint à Paris en 1254.
Malgré cet échec cinglant, Louis IX décida de repartir en croisade. En 1270, la 8eme croisade se dirigea cette fois vers la Tunisie qui devait elle aussi servir de base pour la reconquête de la Terre sainte, par une stratégie que nous qualifierions de périphérique. Mais une épidémie ravagea le camp des croisés et Louis IX décéda à Carthage le 25 août 1270. Le 25 août devint ensuite le jour de la Saint-Louis. Les entrailles et le cœur du roi furent enterrés dans la cathédrale de Monreale à Palerme, capitale du royaume de Charles d’Anjou, un frère du roi. Le corps fut ébouillanté afin de séparer les chairs du squelette. Ce dernier fut ramené en France et inhumé dans la basilique de Saint-Denis, le 23 mai 1271.
Par son mode de vie très pieux, Louis IX était quasiment considéré comme un saint de son vivant. Sa mort en terre de croisade renforça évidemment cette dimension sacrée. En outre, de nombreux miracles eurent lieu au passage de sa dépouille en Sicile et à Saint-Denis. Cela permit à la famille royale et aux ordres monastiques du royaume de demander une procédure de canonisation auprès du pape. A l’issue d’une enquête particulièrement rapide, le pape Boniface VIII annonça la canonisation de Saint-Louis en 1297. Évidemment, l’insistance du roi Philippe le Bel, le petit-fils de Louis IX, et la volonté du pape d’établir de bonnes relations avec le roi de France, ne sont pas étrangères à la rapidité de la procédure.
Cette opération fut une excellente affaire pour la monarchie française. Les rois de France étaient déjà sacrés mais ils descendaient désormais d’un saint. La religion leur offrait ainsi une double légitimité.
2. François Ier, un protecteur des Arts et des Lettres à la Renaissance
2.1 Un roi guerrier
Dans la continuité du règne des rois de France précédents, Charles VIII et Louis XII, le règne de François Ier (né en 1494, roi de 1515 à 1547) fut en partie occupé par les guerres d’Italie, motivées par la volonté de conquérir le duché de Milan. Mais les principaux enjeux de ces conflits étaient l’affrontement avec l’empereur Charles Quint (1500-1558), qui régnait sur le Saint-Empire et sur l’Espagne, et la rivalité avec le roi Henri VIII d’Angleterre (1491-1547). François Ier remporta tout d’abord la bataille de Marignan en 1515 contre une coalition constituée du duc de Milan, du pape Léon X et des cantons suisses. Puis il subit une défaite à Pavie en 1525 face à une armée au service de Charles Quint et à l’issue de laquelle il fut retenu prisonnier pendant un an à Madrid. Le roi dut payer une rançon qui contribua également au développement des institutions financières du royaume. François Ier et Charles Quint s’affrontèrent à nouveau en Provence entre 1535 et 1538 puis sur la frontière du Nord-Est de la France en 1544. En effet, au cours du règne de François Ier, un basculement stratégique s’opéra depuis l’Italie vers les Flandres et la Rhénanie qui firent l’objet de l’essentiel des campagnes des successeurs de François Ier. La carte ci-dessous montre l’encerclement du royaume de France par les possessions de Charles Quint et le problème géopolitique que cela posait.

Source : L’histoire, les collections n°68, juillet-septembre 2005, p. 41.
Ces guerres incessantes et, à l’exception de la bataille de Marignan, assez peu favorables au prestige militaire du roi, présentaient toutefois l’intérêt de coûter très cher. Alors que Louis XII, son prédécesseur, disposait de 20 000 soldats, François Ier en engagea 40 000 à Marignan en 1515, dont une majorité de mercenaires de diverses origines. L’armement (fusils individuels et canons), de plus en plus sophistiqué et efficace, coûtait de plus en plus cher. La levée de l’ost féodal n’étant plus en mesure de satisfaire aux besoins de la guerre moderne, le roi devait financer l’emploi de soldats professionnels. Les guerres justifiaient donc des levées d’impôts, toujours présentées comme exceptionnelles, qui renforçaient l’appareil de l’État monarchique qui s’appesantissait sur les populations. A la fin de son règne, François Ier avait pris l'habitude de prélever des impôts sur l'ensemble de ses sujets. L’historien Philippe Hamon a montré que les caisses de l’État ont recueilli près de 200 millions de livres entre 1515 et 1547. Sur cette somme, près des deux tiers servirent à financer la guerre.
Le fil conducteur du programme de CM1 nous incite à articuler cette dimension militaire à la dimension artistique et culturelle du règne de François Ier. En effet, la protection des arts et les sciences et la conduite de la guerre et de la diplomatie avaient en commun d’occasionner de très fortes dépenses. Ces dernières nécessitaient le développement des institutions qui permettaient de lever et de gérer ces fonds et qui participaient ainsi à la construction de l’État moderne.
2.2 Un roi mécène et bâtisseur
2.2.1 Renaissance, humanisme, réforme religieuse
Le principal apport des guerres d’Italie fut de connecter le royaume de France à la Renaissance italienne. François Ier est considéré comme le roi emblématique de la Renaissance et le programme de CM1 nous demande d’aborder ce personnage à travers le prisme de l’humanisme et de la Renaissance.
La Renaissance, terme utilisé pour la première fois par le peintre et historien de l’art italien Giorgio Vasari en 1568, désigne un renouveau de l’art par la redécouverte de l’Antiquité. Les historiens du XIXe siècle en firent une période historique à part entière : la Renaissance désignait la renaissance de l’Antiquité et, entre les deux, se situe le Moyen Age, l’âge médian et sombre séparant ces deux périodes brillantes. La Renaissance dura approximativement du milieu du XVe siècle jusqu'au milieu du XVIe siècle. Elle s’illustra principalement en Italie, mais également en Flandres, en Allemagne, en France et dans la plus grande partie de l’Europe.
La Renaissance artistique est inséparable de l’humanisme sur le plan des idées. A partir de la fin du XVe siècle, face aux inquiétudes concernant le salut de l’âme, l’humanisme proposait de chasser l’ignorance en développant le savoir sur Dieu et sur le monde grâce à un retour aux textes de l’Antiquité. Les hommes se délivreraient ainsi de ce qui les empêchait d’accéder à leur dignité d’êtres humains, créatures de Dieu, et d'assurer ainsi le salut de leur âme. L’humanisme mettait donc en avant une confiance dans l’homme et considérait que le savoir et les arts alliés à la charité chrétienne permettraient une amélioration continue de l’humanité et du monde, qui assurerait le salut de l’âme de chaque fidèle. Cela supposait le retour aux textes originaux de la Bible et de l’Antiquité gréco-latine, dépouillés de toutes les erreurs de transcriptions du Moyen Age qui en obscurcissaient le sens. Il convenait de les compléter par la réalisation d’expériences scientifiques et médicales permettant de mieux connaître l’homme et le monde. Le savoir ancien enrichi des expériences nouvelles circulait largement grâce à l’imprimerie inventé en 1455 par Gutenberg. L’objectif était de mieux connaître Dieu et la création (à savoir le monde créé par Dieu).
Cependant, cette volonté de connaitre la création de Dieu eut des conséquences inattendues. La volonté de connaitre le corps humain conduisit certains scientifiques et certains artistes à opérer des dissections clandestines de cadavres. En 1543, le flamand Vésale fonda l'anatomie moderne en publiant son livre De humani corporis fabrica constitué de planches de corps écorchés donnant à voir les muscles et les tendons du corps humain. En 1545, le médecin militaire Ambroise Paré mit au point la ligature des artères pour stopper les hémorragies provoquées par les boulets de canons qui arrachaient les jambes et les bras et qui, jusque-là, étaient stoppée par la cautérisation au fer rouge ou à l'huile bouillante. En 1553, Michel Servet découvrit "la petite circulation sanguine" depuis le cœur vers les poumons. Sur le plan de l'astronomie le polonais Copernic présenta les preuves scientifiques du fait que la terre tournait autour du soleil, et non l'inverse. dans son De Revolutionibus Orbium Coelestium publié en 1543, peu après sa mort. Ces découvertes firent considérablement avancer la science mais accrurent en même temps l'angoisse religieuse : si la terre n'est plus au centre de l'univers et si les êtres humains sont d'abord des êtres de chair et d'os, alors où Dieu se trouve-t-il et qu'en est-il de l'âme ?
L’humanisme se développa d’abord en Italie avec Pétrarque, Lorenzo Valla (1405-1457), Marsile Ficin, Pic de la Mirandole (1463-1492). Jacques Lefèvre d’Étaples fut sans doute l’humaniste français le plus célèbre. Mais la figure principale de l’humanisme européen était celle de Didier Érasme (Rotterdam vers 1478 - Bâle 1539). Théologien, philologue, éditeur et commentateur d’un grand nombre de textes de l’Antiquité, il a publié notamment une version grecque du Nouveau testament (1516) réalisée à partir de plusieurs manuscrits, afin d’en retrouver le texte original. Il reste célèbre pour son Éloge de la folie (1511), une satire des hommes d’Église et des courtisans. Comme il entretenait une correspondance assidue avec des princes, des théologiens et des savants dans toute l’Europe, il est parfois considéré comme l’un des premiers européens et son nom fut donné au programme d’échanges européen ERASMUS+. Mais il fut ensuite accusé par l’Église d’avoir ouvert la voie à la critique luthérienne.
En effet, la dénonciation des travers d’un clergé ignorant, jouisseur, considéré comme incapable d’assurer le salut de l’âme des fidèles, et la volonté de retrouver le texte originel et non corrompu des textes sacrés, a conduit certains humanistes vers la réforme religieuse. Ainsi, Martin Luther considérait que seule la foi pouvait assurer le salut de l’âme (le salut par foi) et que les fidèles devaient établir une relation directe à Dieu par la lecture des textes et la participation au culte dirigé par un pasteur. C’est pourquoi il traduisit la Bible en allemand pour la mettre à la portée du plus grand nombre. En incitant chaque fidèle à lire la Bible, il rendait inutile le clergé catholique dirigé par le pape et qui se considérait comme un intermédiaire nécessaire entre Dieu et les fidèles. L’autre grande figure de la Réforme fut celle de Jean Calvin qui rédigea notamment plusieurs versions de L'Institution de la religion chrétienne (1536). Il rejetait lui aussi le clergé catholique et considérait notamment que le salut de l’âme des fidèles était décidé par Dieu (la prédestination). La pensée de Calvin constitua une rupture majeure dans l'histoire des religions : les œuvres humaines (bien agir ici-bas pour gagner sa place au paradis) ne garantissait pas le salut de l'âme, le culte de la Vierge Marie et des saints n'étaient d'aucune utilité et, en conséquence, leurs images devaient être bannies des temples. Seule la lecture de la Bible garantissait le lien entre les fidèles et Dieu. Bien entendu, l'imprimerie joua un rôle essentiel dans la diffusion des exemplaires de la Bible en langue vernaculaire, mais également des pamphlets contre le clergé catholique.
La réforme protestante donna lieu en retour à la réforme catholique, longtemps appelée contre-réforme. Elle découla du concile de Trente, dans le nord de l’Italie, réuni sous l’autorité du pape de 1545 à 1563 pour répondre au défi de la réforme protestante. Ce concile rappela les principaux dogmes de la fois catholique (les sept sacrements, le culte de la Vierge, des saints, et des reliques, la transsubstantiation, le salut par les œuvres, etc.), il interdisait aux fidèles la lecture de la Bible (en latin) réservée aux seuls membres du clergé. Il organisa surtout une véritable formation des prêtres dans les séminaires diocésains. Pour marquer une différence accrue avec l'austérité des temples protestants, les églises de la réforme catholique de l'époque baroque furent chargées de statues, de peintures et de dorures.
L'objectif de toutes ces réformes était le même : rassurer les fidèles en leur permettant de trouver une voie spécifique (salut par la foi, prédestination, salut par les œuvres) pour le salut de leur âme.
Cette présentation de la Réforme est évidemment simpliste. Pour davantage de précisions, la lectrice ou le lecteur peut se référer à la bibliographie. Ce fichier n’est pas le lieu pour un exposé de théologie ou d’histoire des religions. Dans la logique de la définition des faits religieux en vigueur dans l’Éducation nationale, il s’agit de présenter quelques thèmes qui permettent de comprendre le problème politique posé par la réforme religieuse dans le royaume de France au XVIe siècle, que nous aborderons plus loin.
2.2.2 Un prince de la Renaissance
Après la bataille de Marignan, François Ier souhaita adopter le modèle des cours qu’il avait rencontrées en Italie. Depuis la Moyen Age, la cour du roi rassemblait les proches du roi qui le conseillaient pour la direction du royaume. Durant la Renaissance, la cour entra dans une nouvelle dimension. En raison de la complexification constante de la direction de l’État, les conseillers du roi et les administrateurs à son service devinrent de plus en plus nombreux. Les courtisans devaient être de plus en plus instruits et devaient avoir reçu une éducation humaniste. Progressivement, la cour fut gérée par une étiquette que seules les personnes éduquées maîtrisaient, ce qui prouvait leur distinction et justifiait leur présence à la cour. En outre, une cour brillante, où les courtisans portaient de riches habits, où des fêtes somptueuses étaient données, où les artistes (Léonard de Vinci, Buenvenuto Cellini, Le Primatice, Jean Clouet…) étaient accueillis, manifestait également la distinction du roi lui-même et participait de la propagande royale. François Ier considérait également que les femmes étaient indispensables à la vie de la cour. Il aimait être entouré de femmes et il pensait qu’elles contribueraient au rayonnement artistique et culturel de la cour en incitant les courtisans à y dépenser leur fortune.
Les deux œuvres suivantes de Jean Clouet, le portraitiste de la cour, montrent bien en quoi François Ier était un prince de la Renaissance. La magnificence de ses vêtements signale son goût, sa posture signale sa sagesse et son autorité. Il n'était même pas utile de représenter les regalia (seule la couronne figure sur la tapisserie en arrière-plan) pour montrer qu’il était le souverain.

François Ier vers 1530 (par Jean Clouet, huile sur toile, 96 × 74 cm, Paris, musée du Louvre).

François Ier à Cheval. Enluminure attribuée à Jean Clouet, vers 1540, 27 x 22 cm. BnF Cabinet des dessins. MI 1092
Source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:François_1er_attribué_à_Jean_Clouet_MI_1092.jpg?uselang=fr
De même, le portrait équestre de François Ier renvoie à la tradition de la représentation de l’empereur romain conquérant sur son cheval et arborant les insignes de son pouvoir : le bâton de commandement et l’épée. La splendeur du cheval ainsi que de l’armure du roi révèlent la magnificence du prince de la Renaissance, homme de goût mais également brillant cavalier capable de faire produire un mouvement gracieux par son destrier.
2.2.3 Un roi humaniste
Durant sa jeunesse, François Ier reçut une éducation qui fit de lui un homme cultivé. Sa mère Louise de Savoir lui transmit son goût pour l’art et la collection d’œuvres d’arts. Sa sœur Marguerite de Navarre, protectrice notamment de Rabelais et poétesse elle-même, eut une grande influence sur François Ier. Le roi favorisa la création de bibliothèques. En 1530, à l’instigation de l’humaniste Guillaume Budé, le roi créa le Collège des lecteurs royaux payés par le roi et chargés d’enseigner les disciplines ignorées par l’université : le grec, l’hébreu, puis les mathématiques, la médecine, la philosophie grecque, les langues orientales, etc. Ce collège est à l’origine du Collège de France, qui aujourd’hui encore, est l’institution universitaire la plus prestigieuse en France et qui emploie les meilleurs scientifiques de chaque spécialité. Sur le plan religieux, par l’intermédiaire de sa sœur Marguerite de Navarre, le roi soutenait les humanistes du Cercle de Meaux, dirigé par Lefèvre d’Etaples qui souhaitaient retrouver la pureté des textes originels. Il souhaitait maintenir un compromis entre l’Église catholique et les humanistes évangélistes.
Document : Noël Bellemare (vers 1495-1546) et François Clouet (vers 1515-1572)
François Ier, entouré de sa cour, reçoit un ouvrage de son auteur Gouache rehaussée d’or sur vélin - 26,3 x 20,2 cm. 1534.
Mais le compromis devint difficile à tenir à la fin du règne. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, des affiches dénonçant le pape et le dogme catholique furent collées sur les murs de plusieurs villes et jusqu’aux portes de la chambre du roi au château d’Amboise. Cette « affaire des Placards » (pour désigner les affiches placardées sur les murs) fut perçue par le roi comme un crime de lèse-majesté et entraîna l’organisation de grandes processions d’expiation. A l’occasion de l’une d’elles, le 21 janvier 1535, les reliques de la Sainte-Chapelle qui avaient été achetées par Louis IX (la couronne d’épine, le morceau de la Vraie-Croix, la Sainte-Eponge, le fer de la Sainte-Lance, etc.) furent portées en procession. Le roi prononça un discours contre les réformés. Pour marquer les esprits, trente-cinq réformés, considérés désormais comme hérétiques, furent brûlés vifs.
2.2.4 Un roi bâtisseur
François Ier fit venir auprès de lui Léonard de Vinci (1452-1519) qu’il installa au Clos-Lucé, à proximité du château d’Amboise. Ce dernier apporta avec lui La Joconde mais aussi La Vierge, l’enfant Jésus et Sainte Anne. Il se vit chargé d’organiser quelques fêtes et, peut-être, les plans de l’escalier à double révolution du château de Chambord. Le roi fit également venir les peintres Rosso Fiorentino et Le Primatice. Il inaugura également la collection d’art de la couronne en achetant des tableaux de Michel-Ange, du Titien ou de Raphaël.
Son action de mécène s’illustra principalement dans la construction ou la reconstruction de nombreux châteaux : Amboise, Blois (1515), Chambord (1519), Fontainebleau (1528), Villers-Cotterêts (1532), Saint-Germain en Laye (1539), Le Louvre (1545), etc. En effet, la cour était itinérante, elle allait de château en château. Le roi devait se montrer dans son royaume et en avoir également une connaissance personnelle. L’état des circuits commerciaux de l’époque contraignait la cour (entre 5 000 et 15 000 personnes) à se déplacer une fois les ressources locales épuisées. En raison des conditions sanitaires, il était également nécessaire d’abandonner périodiquement un château pour procéder à son nettoyage. En outre, du fait de son augmentation quantitative, la cour devait pouvoir être hébergée dans des résidences de plus en plus grandes. Mais il s’agissait également de représenter, de mettre en scène le pouvoir du roi. Comme la guerre était désormais expulsée du royaume, les murs furent percés de fenêtres et les éléments défensifs furent remplacés par des éléments décoratifs. Les pièces furent plus nombreuses, mieux aménagées et préservèrent désormais l'intimité. Ces châteaux s’inspiraient partiellement de la Renaissance italienne mais présentaient certaines spécificités qui permettent de parler d’une Renaissance française sur le plan architectural.

Source : La Renaissance de François Ier. L’histoire, les collections n°68, juillet-septembre 2015, p. 62.
Comme le montre la carte ci-dessus, on distingue deux périodes dans la construction/reconstruction de ces châteaux. La première génération de châteaux se situe dans le val de Loire. Elle accueillait une cour composée de gentilshommes et de négociants. La seconde génération, occupée au retour de la captivité du Roi à Madrid, à la fin des années 1520, se situe autour de Paris, alors que les organismes d’État devenaient plus lourds à gérer et réduisirent leur itinérance à l’Île-de-France. Le nombre de nuits passées dans chaque château montre au final la prééminence des châteaux de la région parisienne dans l'histoire du règne de François Ier. Cette évolution apparaît avec l’examen du château de Chambord et du château de Fontainebleau.

Vue aérienne du château de Chambord
Le château de Chambord fut construit à partir de 1519 (les travaux durèrent près de vingt ans) sous la supervision du roi qui aimait chasser dans la région. Ce château est inspiré d’une part de la tradition française : le plan d’un château fort autour d’un donjon central et flanqué de tours, les décoration gothiques des fenêtres. Il emprunte d’autre part des éléments de la Renaissance italienne : à l'extérieur des clochetons, des pilastres et des tourelles, à l'intérieur des plafonds à caissons, des éléments décoratifs évoquant des dauphins, des oiseaux, des cornes d’abondance autour du motif principal de la salamandre (un animal mythique sensé survivre au feu), l’emblème de François Ier. La magnificence du château de Chambord était en soi un véritable programme politique : elle manifestait la puissance du roi incarnée dans la pierre par la multitude de F couronnés et de salamandres elles aussi couronnées.
Mais surtout, l’escalier à double révolution entourant un puit de lumière, situé au centre du massif donjon du château, constitue l’un des joyaux architecturaux de ce château. Il est possible, mais pas certain, que Léonard de Vinci en conçut le plan. En effet, comme il ne subsiste aucun plan du château, nous ignorons tout des architectes qui le conçurent. Cet escalier était un élément central de l’architecture mais également de la vie de cour car il permettait de se montrer tout en observant les personnes qui empruntaient l’autre escalier, et réciproquement.

Partie inférieure de l’escalier à double révolution (ou double hélice ou double colimaçon) du château de Chambord.
Une explication simple et claire de la structure de cet escalier sur : https://www.lumni.fr/video/chambord-les-secrets-de-son-escalier-revolutionnaire
Le château de Fontainebleau fut rénové à partir de 1531. A la suite de la défaite de Pavie et du paiement de sa rançon, François Ier décida de se rapprocher de Paris. Il fit venir Giovanni Battista di Iacopo (1494-1540), dit le Rosso Fiorentino en raison de la couleur de ses cheveux, et Francesco Primaticcio (1504-1570) dit Le Primatice. Il furent chargé de la décoration du château : les fresques, les tapisseries, les fontaines, les sculptures, etc. La galerie François Ier du château de Fontainebleau, d’une longueur de 60 mètres, est particulièrement intéressante car les fresques du Rosso détaillent le programme politique du roi.

Château de Fontainebleau : la galerie François Ier
Source : https://www.chateaudefontainebleau.fr/les-grands-appartements-des-souverains/les-salles-renaissance/

Rosso Fiorentino (1494-1540) : La fresque de l’éléphant royal 1533/1539. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fontainebleau_interior_francois_I_gallery_02.JPG?uselang=fr
La fresque de l’éléphant royal, ou L'éléphant fleurdelysé, est placée sous une salamandre, emblème de François Ier. L’éléphant, symbole de force et de sagesse symbolise la royauté. D’ailleurs, il porte une salamandre sur le front et un F majuscule sur son caparaçon. A ses pieds se trouvent trois dieux symbolisant les éléments qui caractérisent les espaces sur lesquels règne le roi : de gauche à droite, Jupiter et la foudre à ses pieds (le feu), Neptune avec un trident (l’eau) et Pluton avec Cerbère (la terre). La cigogne symbolise la piété filiale à l’égard de la mère du roi, Louise de Savoie.
Fiorentino Rosso : Le roi garant de l’unité de l’État
Crédit Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) / Gérard Blot
La fresque intitulée l’unité de l’État représente le roi en costume d’empereur romain, au centre. Il tient dans sa main gauche une grenade tandis qu’un nain, à ses pieds, lui en présente une autre. Les graines de la grenade renvoient à la société tenue en main par le roi qui dirige l’État. Les personnages entourant le roi, sont issus de plusieurs milieux socio-professionnels (soldats, marchands, religieux…) et symbolisent à nouveau l’unité de la société autour de la personne du roi. La centralité de la personne du roi détenteur de l’imperium hérité des empereurs romains est vue par certains historiens comme une première représentation de la marche vers la monarchie absolue.
Bien entendu, lors des guerres de religion, les châteaux retrouvèrent leurs vertus défensives, comme le montre le château de Kerjean, construit en 1598, dans le nord-Finistère actuel, entouré d'une muraille défensive et de casemates abritant des batteries d'artillerie.
2.2 La poursuite de la construction de l’État moderne
2.2.1 Le renforcement de l’administration et du pouvoir du roi
Sous le règne de François Ier, la formule « Le sire, notre roi » (considérant le roi comme le suzerain d’un ordre féodal) fut abandonnée au profit de la formule « Sa majesté » (jusque là réservée à l’empereur du Saint-Empire) pour affirmer la toute puissance du souverain sur l'ensemble de ses sujets. Pour cette raison, il est possible de voir (mais avec des précautions) le règne de François Ier comme une étape décisive vers la construction de la monarchie absolue.
Cependant, il ne faut pas voir en François Ier un monarque absolu semblable à Louis XIV. Les juristes du XVIe siècle considéraient que François Ier, étant désigné par Dieu, détenait le pouvoir d’édicter les lois et de les faire appliquer. Mais le roi ne gouvernait pas seul et s’appuyait sur ses conseillers, qu'il réunissait tous les jours, et sur les magistrats des parlements pour prendre les décisions les plus justes, c’est-à-dire conformes à ce que l’on pensait être la justice divine.
Encart : Qu’est-ce qu’un parlement en France à l’époque moderne ?
A la fin du Moyen Age et à l’époque moderne, ce que l’on nommait un parlement avait peu à voir avec le parlement britannique et avec le parlement au sens contemporain du terme, composé d’un ou deux chambres regroupant des membres élus détenant le pouvoir législatif et budgétaire. En France, ce type de parlement aurai pu naître des États généraux composés d’élus qui, au XIVe siècle notamment, conseillaient le roi sur le budget et la levée des impôts. L’évolution absolutiste de la monarchie française n’a pas permis cette évolution.
Dans le royaume de France, en raison du développement de la justice royale, la cour du roi (curia regis) ne trouvait plus le temps de juger toutes les affaires judiciaires importantes. Cette fonction fut déléguée aux parlements, composés de juristes professionnels, qui étaient donc initialement une émanation de la cour du roi (Curia in Parlamento). Louis IX institua le Parlement de Paris au milieu du XIIIe siècle, puis treize autres parlements furent créés au XVe siècle. La compétence de chacun s’exerçait sur un territoire donné pour juger en appel les affaires judiciaires remontant des tribunaux des bailliages et des sénéchaussées relevant de sa compétence. Comme il était la cour du justice du roi lui-même, le Parlement de Paris exerçait une prééminence sur les autres parlements.
Le Parlement de Paris avait également pour fonction d’enregistrer les édits et les ordonnances du roi. S’il ne les jugeait pas conformes au droit, il disposait d’un droit de remontrance consistant à refuser de les enregistrer. A partir du XVIIe siècle, au terme d’une procédure complexe, le roi pouvait imposer l’enregistrement de ses édits et de ses ordonnances en tenant au Parlement de Paris un lit de justice. Ce pouvoir du Parlement de Paris fut à l’origine de très nombreux conflits avec le roi.
Le Conseil du roi réunissait de grands princes mais également des juristes spécialistes de différents domaines. Ce conseil fut dirigé par des personnalités marquantes qui secondaient efficacement le roi : Louise de Savoie, duchesse d'Angoulême, la mère du roi, de 1515 à 1531, puis le connétable Anne de Montmorency puis, à partir de 1541, les amiraux Chabot et d'Annebaut et le cardinal de Tournon, soutenus en fait par Anne de Pisseleu, duchesse d'Etampe, la favorite du roi.
Le règne de François Ier se déroula après une série de mesures qui contribuèrent à renforcer le pouvoir monarchique. Sous Louis IX, l’autorité du roi s’exprimait surtout par l’exercice de la justice. La Guerre de Cent Ans (1337-1453) contribua à renforcer les prérogatives financières de l’État en imposant le prélèvement régulier d’impôts destinés à financer les guerres du roi et en mettant en place à cet effet une administration fiscale de plus en plus efficace. En 1523, François Ier créa le Trésor de l’épargne, institution financière qui centralisait de façon plus rationnelle toutes les recettes et toutes les dépense de l’État. En 1539, il créa la première loterie d’État dont on sait qu’elle sert toujours à remplir les caisses de l’État avec les mises des joueurs. On suppose que l’État employait entre 7 000 et 8000 agent en 1515 et près de 20 000 au milieu du XVIe siècle, pour une population totale estimée à 17 ou 18 millions d’habitants.
L’État de justice de la fin du Moyen Age devint donc également un État de finances. Cette évolution fut renforcée par un accroissement de l'activité législative de la monarchie. Certes, le roi n'était pas la seule source du droit car les coutumes locales se maintinrent. Le roi ne devait légiférer que pour remédier aux insuffisances de ces coutumes et dans le sens du bien commun, ce qui constituait un prétexte commode pour légiférer sur un grand nombre de sujets. Alors que François Ier émit environ 1 000 actes législatifs par an en moyenne, son successeur Henri II en émit environ 2 400 par an. L'Etat devint également un Etat législateur.
Une mesure important fut le Concordat de Bologne signé avec le pape Léon X en 1516, après la victoire de Marignan. Ce concordat organisa les rapports entre le roi et la religion catholique jusqu’en 1790. Ce concordat attribuait au roi de France le droit de nommer les évêques, les archevêques et les abbés (dirigeants des abbayes) français qui étaient ensuite confirmés par le pape. Il s’agit d’une décision essentielle qui permettait aux rois de France de contrôler le haut clergé et l’Église de France.
Enfin, le domaine royal avait continué à s’étendre. Comme la carte ci-dessous le montre, le règne de François Ier marqua lui aussi une extension considérable du domaine royal qui recouvrait désormais la plus grande partie du royaume. L’événement le plus marquant à ce sujet est évidemment l’acte d’union du duché de Bretagne au royaume en 1532. Cette évolution contribua à réduire l’importance financière du domaine royal. Il ne représentait plus que 2 % des recettes de la monarchie à la fin du XVe siècle. L’essentiel des recettes venait de la taille (impôt créé au XIVe siècle pour financer la guerre), des aides et de la gabelle (impôt sur le sel) , des impôts à la consommation pesant sur tous les sujets. A titre d’exemple, la taille rapportait 3,9 millions de livres à la fin du règne de Louis XI en 1483, et 4,4 à la fin du règne de François Ier en 1547.

2.2.2 L’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539)
En 1539, François 1er édicta l’ordonnance de Villers-Cotterêts, un texte juridique de 192 articles portant notamment sur l’exercice de la justice. Les articles 110 et 111 imposent l’usage du français (c’est-à-dire la langue du roi parlée en Île-de-France) à la place du latin dans la rédaction de tous les actes publics. Ces deux articles, les plus anciens de tous les textes législatifs toujours en vigueur aujourd’hui en France, sont considérés comme la marque d’un processus d’unification linguistique du royaume.
Document : Ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice (dite ordonnance de Villers-Cotterêts). Articles toujours en vigueur aujourd’hui :
François, par la grâce de Dieu, roy de France, sçavoir faisons, à tous présens et advenir, que pour aucunement pourvoir au bien de notre justice, abréviation des proçès, et soulagement de nos sujets avons, par édit perpétuel et irrévocable, statué et ordonné, statuons et ordonnons les choses qui s'ensuivent.
Article 110. Et afin qu'il n'y ait cause de douter sur l'intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et écrits si clairement, qu'il n'y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation.
Article 111. Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement.
Cité par Isambert, Decrusy, Armet, Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789, Tome XII, Paris, Belin-Le Prieur, 1828, p. 600
Cette ordonnance obligeait également les curés à inscrire les baptêmes, les mariages et les enterrements de leur paroisse dans les registres paroissiaux qui devenaient un outil de gouvernement essentiel pour connaitre l'état de la population du royaume. Cette mesure est essentielle car elle est à l'origine de notre Etat civil qui a succédé aux registres paroissiaux lors de la Révolution française, en 1792). Cette mesure contribua également à fixer les noms de famille puisqu'il fallait désormais donner un nom aux personnes inscrites sur ces registres. Les patronymes furent attribués en fonction des caractéristiques psychologiques ou physiques des chefs de famille (le roux, le gros, le petit, etc.) de leur lieu de résidence (du bois, du pont, du chemin, etc.), de leur métier (boulanger, Febvre (forgeron), etc.)...
Certes, le roi ne disposait d’aucun moyen d’imposer par la force le français à tous ses sujets. Si le français gagna la bataille contre les parlers locaux, c’est parce que les notables souhaitaient se distinguer du peuple en parlant la langue de l’administration. Le français était utile également aux marchands qui commerçaient au-delà de leur propre province. L’ordonnance de Villers-Cotterêts correspond également au souhait des humanistes de défendre la langue vernaculaire face au latin. De même que Luther traduisit la Bible en allemand, Lefèvre d’Etaples traduisit la Bible en français. Rabelais et les poètes publièrent leurs œuvres en Français. N’oublions pas la célèbre Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay, en 1549. Désormais, le français était la langue de l’administration, de la justice et de la littérature tandis que le latin restait la langue de l’Église, de l’Université et de la science.
Si nous suivons les analyses de l'anthropologue américain James C. Scott dans L'œil de l'Etat. Moderniser, uniformiser, détruire (La Découverte, 2024), il n'y a rien d'étonnant à ce que ces diverses mesures figurent ensemble dans l'ordonnance de Villers-Cotterêts. Les balbutiements de la simplification linguistique (le français à la place du latin et des parlers locaux) visaient un meilleur contrôle de l'Etat naissant sur les actes juridiques et sur les institutions locales. La tenue des registres paroissiaux et l'invention de patronymes fixes et transmis héréditairement allait progressivement permettre d'identifier et de contrôler les individus afin de les soumettre à l'impôt. En outre, comme le patronyme familial était celui du père de famille, sujet fiscal vis-à-vis de l'Etat, son autorité légale sur sa femme (obligée d'adopter le patronyme de son mari) et sur ses enfants (auxquels il transmettait son patronyme) était considérablement renforcée.
3. Henri IV et l’édit de Nantes
3.1 Les guerres de religion (1562-1598)
Le programme du CM1 nous conduit à envisager le règne d’Henri IV dans la perspective de la fin des guerres de religion.
Il est impossible de résumer simplement les guerres de religion et il ne nous appartient pas de le faire ici. Disons, pour simplifier très grossièrement, qu’il s’agit d’une guerre civile atroce aux motivations certes religieuses, mais également sociales et politiques. Elles durèrent plus de trente-cinq ans car elles exprimaient des revendications sociales, politiques et culturelles de tous les milieux. L'aristocratie et la bourgeoisie urbaine y trouvèrent le moyen de chercher à s'émanciper de l'autorité royale de plus en plus pesante soit en s'orientant vers le protestantisme, soit en adhérant à la Ligue catholique dans les années 1580. Quelques grands seigneurs utilisèrent la question religieuse pour mobiliser leurs clientèles contre les autres grands seigneurs. A leur niveau, les artisans souvent alphabétisés, prirent la tête de la contestation sociale des classes populaires. En 1560, un Français sur dix environ était protestant, surtout dans le Sud du royaume.
Ces guerres de religion se déroulèrent de 1562 à 1598. Ces guerres opposèrent essentiellement le camps catholique aux réformés, principalement calvinistes en France, que l’on nommait aussi protestants ou huguenots. Sur le plan religieux et politique, les protestants mettaient directement en cause l’organisation de l’Église et de la monarchie. Rappelons que, par le Concordat de Bologne en 1516, le roi était le chef de l'Eglise de France. L'Edit de Fontainebleau, en 1540, considéra l'hérésie protestante comme un crime de lèse-majesté et confia sa répression à des juges royaux. Comme nous l'avons vu plus haut, le calvinisme promouvait un rapport direct à Dieu par la lecture des textes religieux par chaque fidèle et par les cérémonies religieuses dirigées par de simples pasteurs, des laïcs désignés par la communauté. Il remettait en cause le rôle du clergé catholique, des saints et de la Vierge Marie considérés par les catholiques comme des intermédiaires et des intercesseurs entre les fidèles et Dieu. Précisons au passage que cet élément fut réaffirmé par la réforme catholique à l’occasion du Concile de Trente.
Ce qui nous intéresse le plus ici, c’est la conséquence politique de la théologie calviniste. Selon Calvin, aucun chrétien n’était supérieur à un autre et ne pouvait s’arroger une autorité sacrée en se présentant comme un intermédiaire entre les hommes et Dieu. En conséquence, les protestants remettaient directement en cause la légitimité religieuse du roi. C’est sans doute ce point qu’il faut retenir avant tout.
Les historien·nes distinguent huit guerres de religion entrecoupées d'édits de pacification précaires promulgués par les rois successifs, en 1562, 1563, 1568, 1570, 1573, 1576, 1577, 1579. Si ces guerres durèrent aussi longtemps, c’est aussi parce qu’elles répondaient aux intérêts de grandes familles nobiliaires, catholiques et protestantes, qui accaparèrent, à la faveur des troubles, des postes prestigieux et des subsides considérables par les pillages et les levées d’impôts. L’épisode le plus atroce fut sans doute le massacre de la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572 et les jours suivants. Le mariage du protestant Henri de Navarre (futur Henri IV) et de la catholique Marguerite de Valois avait eu lieu à Paris le 18 août. La monarchie espérait ainsi réconcilier les deux camps. Cependant, les catholiques les plus intransigeant, soutenus sans doute par le roi Charles IX et sa mère Catherine de Médicis, profitèrent de l’occasion pour massacrer les protestants venus participer au mariage princier. Près de 3 000 protestants furent massacrés à Paris entre le 24 et le 29 août, et environ 10 000 durant les jours qui suivirent, dans le reste du royaume. Ces massacres furent souvent commis par des voisins qui en profitèrent pour régler des comptes mais le but était surtout d'extirper de la communauté ceux qui remettaient en cause les croyances majoritaires. Cela explique sans doute l'extrême violence des mutilations infligées aux corps des des hommes, des femmes et des enfants victimes des massacres. Les historien·nes restent en désaccord sur les raisons et le déroulement du massacre.

Document : François Dubois (1529-1584) . Le massacre de la Saint-Barthélemy. Musée cantonal des Beaux-arts, Lausanne.
En tout cas, il est fort utile de visionner à ce propos le magnifique film La reine Margot (1994) de Patrice Chéreau, avec Isabelle Adjani dans le rôle titre.
A la suite de l’avènement du roi Henri III en 1584, le parti catholique dirigé par les Guise constitua la Sainte-Ligue catholique qui voulait éradiquer le protestantisme et empêcher le roi Henri III de mener une politique de conciliation avec les protestants. La Ligue se présentait comme un parti fanatisé, ultra-catholique, qui avait pour objectif l'extermination des protestants. Elle peut être envisagée également comme une forme d'opposition à l'affermissement de la monarchie : elle réclamait une monarchie limitée, le vote des impôts par des Etats généraux réunis régulièrement, l'indépendance des villes à l'égard du roi et une certaine forme de démocratie locale. Dans diverses régions, les revendications politiques des protestants étaient relativement similaires. Le 15 mai 1588, pour empêcher l'armée du roi d'occuper Paris, le peuple parisien gagné aux idées de la Ligue bloqua les rues de Paris avec des barriques. Cette "journée des barricades" fut à l'origine d'une pratique politique fréquente au XIXe siècle et jusqu'en mai 1968 au moins.
3.2 L’avènement et le règne d’Henri IV (1589-1610)
Le roi Henri III fut assassiné le 1er août 1589 par un moine ligueur fanatique, Jacques Clément, qui lui reprochait d’être trop conciliant avec les protestants. Comme le roi n’avait pas d’héritier direct, le plus proche prétendant à la couronne était son cousin Henri de Navarre, un prince protestant de la branche des Bourbon, celui-là même que l'on avait marié quelques jours avant la Saint-Barthélemy de 1572. Pour accéder au trône de France, ce dernier dût affronter les armées de la Ligue catholique (bataille d’Arques en 1589, bataille d’Ivry en 1590, où il aurait proclamé : « Ralliez vous à mon panache blanc, vous le trouverez au chemin de la victoire », bataille de Fontaine Française en 1595). De fait, l'écharpe blanche devint le signe de ralliement des partisans du roi contre les ligueurs. Mais ces victoires militaires ne suffisaient pas et Paris restait toujours aux mains des ligueurs. Hanri IV abjura sa foi protestante et se convertit au catholicisme dans la basilique de Saint-Denis, le 25 juillet 1593. En ce lieu, il se présenta comme l’héritier des rois des dynasties des Mérovingiens, des Capétiens et des Valois inhumés dans la basilique. Henri IV fut ensuite sacré à Chartres le 27 février 1594 car Reims restait aux mains de la Ligue. Puis il effectua son entrée à Paris le 22 mars 1594 afin de se faire reconnaître par le peuple de Paris qui se trouvait auparavant du côté de la Ligue. On a raconté qu’il aurait dit à cette occasion : « Paris vaut bien une messe ». Fort de cette légitimité religieuse et désormais populaire, le roi Henri IV obtint progressivement la soumission de la plupart des chefs ligueurs.

Le sacre de Henri IV dans la cathédrale Notre-Dame de Chartres, 1594.Paris, BNF
Apportant la paix religieuse et la stabilité, Henri IV connut une grande popularité forgée également par la reconstruction patiente de sa propre image car le roi était autrefois présenté comme un démon protestant. La propagande royale le présenta par exemple comme le nouvel Hercule qui avait terrassé l’hydre de la Ligue soutenue par le roi d’Espagne.

Toussaint Dubreuil (1561-1602) Henri IV en Hercule terrassant l'hydre de Lerne, c'est-à-dire la Ligue catholique. Huile sur toile, 91 x 74 cm. Musée du Louvres
Source :
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Henry_IV_en_Herculeus_terrassant_l_Hydre_de_Lerne_cad_La_ligue_Catholique_Atelier_Toussaint_Dubreuil_circa_1600.jpg
Une fois la paix revenue après la rédaction de l’édit de Nantes en 1598, que nous abordons plus loin, Henri IV s’attacha à restaurer les finances et l’autorité de l’État. Avec l’aide de son ministre, le duc de Sully, il s’efforça de redresser l’agriculture et le commerce. On doit à Sully ce superbe aphorisme : « Pâturage et labourage sont les deux mamelles de la France ».
Les horreurs perpétrées durant les guerres de religion incitèrent un certain nombre de penseurs à défendre un renforcement du pouvoir monarchique garant de la paix civile et à imposer un rapport d'obéissance totale des sujets à leur roi. Le principal d'entre eux fut Jean Bodin qui, dans ses Six livres de la République, publiés en 1572, peut être considéré comme le premier théoricien de l'absolutisme. Il définissait les pouvoirs du roi non plus par le catalogue de ses attributions et de ses possessions territoriales, mais par le concept abstrait de souveraineté. Il considérait que la souveraineté du roi était absolue, c'est-à-dire supérieure à celle des seigneurs, des provinces, des villes, du parlement, etc. Surtout, il faisait dériver l'adjectif absolu du verbe absoudre : le pouvoir du roi est absolu en ce sens que le roi est absout de la puissance des lois humaines. Seule s'impose à lui la loi divine.
Dans cette logique, le règne de Henri IV constitua une nouvelle étape vers la monarchie absolue par la limitation du droit de remontrance des parlements. La composition du Conseil du roi, dont les grands du royaume furent exclus, fut limitée à douze conseillers nommés par le roi. Enfin, la Paulette (du nom de son instigateur, Charles Paulet) en 1604, institutionnalisa l’hérédité de la vénalité des offices. Depuis le règne de François Ier, les officiers au service du roi (les magistrats, les avocats, les notaires, les greffiers, les membres de administration fiscale, les officiers de l’armée) pouvaient en effet acheter leur office. Cette pratique (la "vénalité des offices") permettait de remplir les caisses de l’État et les officiers se remboursaient par l’exercice de leur charge. Elle présentait également l'intérêt de lier des dizaines de milliers de familles d'officiers au destin de la monarchie. Désormais, un office pouvait être transmis de père de fils, contre le paiement annuel de la Paulette, à savoir un soixantième de la valeur de l’office chaque année. Les fonctions de l’État étaient désormais assumées par des spécialistes compétents et assidus. Certains offices, les plus chers, tels que ceux de membre d’un parlement par exemple, permettaient même d’obtenir un titre de noblesse. Cela contribua au développement de la noblesse de robe, par opposition à la noblesse d’épée plus ancienne. Certains mauvaises langues nommaient ces offices anoblissants « la savonnette à vilains ». Vers 1515, il y avait environ 4 000 officiers, soit 1 pour 4 750 habitants, en 1665, il y en avait 46 047 (dix fois plus), soit 1 pour 380 habitants.
Henri IV fut également un roi bâtisseur. Il fit achever le Pont neuf, il fit construire l’actuelle place des Vosges et la place Dauphine à Paris, contribuant à la transition de l'usage du bois vers la pierre comme matériau de construction des maisons parisiennes, afin de réduire le risque d'incendie en ville.
Le 14 mai 1610, Henri IV fut à son tour assassiné de trois coups de couteau par un catholique fanatique, François Ravaillac, rue de la Ferronnerie à Paris. Ce dernier avait été élevé dans un milieu ligueur très hostile aux protestants. « Questionné » (torturé) durant plusieurs jours par le premier président du Parlement de Paris, il indiqua que son geste était motivé par la volonté de contraindre le roi à reprendre la guerre contre les protestants. Il fut écartelé pour parricide (il avait tué le Père) et sacrilège (il avait porté la main sur une personne sacrée) le 27 mai 1610, en place de Grève. Il apparaît donc que deux rois successifs, Henri III et Henri IV furent assassinés, au moment où les catholiques fanatiques instillaient le doute sur la légitimité de ces rois qu’ils accusaient de favoriser la religion protestante. Jamais aucun autre roi de France ne fut assassiné. Cela montre a contrario la force de la légitimation du pouvoir des rois de France par le sacre et la religion.
Paradoxalement, le geste de Ravaillac contribua à établir pour la postérité la légende du « bon roi Henri IV ». Il constitua surtout une étape décisive dans la construction de l’absolutisme en France : lors des États généraux de 1614, les derniers avant ceux de 1789, les délégués des trois ordres, craignant qu’un nouvel attentat de ce type ne replonge le royaume dans les affres de la guerre civile, réaffirmèrent la nécessité de l’autorité absolue du roi. Ils réclamèrent un roi « souverain en son État, ne tenant sa couronne que de Dieu seul ».
3.3 L’édit de Nantes (1598)
L’édit de Nantes est un texte essentiel de l’histoire de France. Le programme nous incite à aborder le règne d’Henri IV par le prisme de l’édit de Nantes qui constitue effectivement l’apport majeur de ce règne. Il fut promulgué à Nantes le 30 avril 1598 par Henri IV qui venait de signer la paix dans cette ville avec le duc de Mercœur, chef des derniers ligueurs et gouverneur de la Bretagne dont le siège était à Nantes (puisque, comme chacun sait, Nantes est la capitale de la Bretagne historique). Cet édit marquait la fin des guerres de religion et permit le retour à une certaine stabilité politique. Nous en proposons quelques extraits :
Document : Le texte de l’édit de Nantes (extraits), 30 avril 1598
(…) Pour ces causes, ayant avec l'avis des princes de notre sang, autres princes et officiers de la Couronne et autres grands et notables personnages de notre Conseil d'État étant près de nous, bien et diligemment pesé et considéré toute cette affaire, avons, par cet Édit perpétuel et irrévocable, dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons :
1. Premièrement, que la mémoire de toutes choses passées d'une part et d'autre, depuis le commencement du mois de mars 1585 jusqu'à notre avènement à la couronne et durant les autres troubles précédents et à leur occasion, demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue. Et ne sera loisible ni permis à nos procureurs généraux, ni autres personnes quelconques, publiques ni privées, en quelque temps, ni pour quelque occasion que ce soit, en faire mention, procès ou poursuite en aucunes cours ou juridictions que ce soit.
2. Défendons à tous nos sujets, de quelque état et qualité qu'ils soient, d'en renouveler la mémoire, s'attaquer, ressentir, injurier, ni provoquer l'un l'autre par reproche de ce qui s'est passé, pour quelque cause et prétexte que ce soit, en disputer, contester, quereller ni s'outrager ou s'offenser de fait ou de parole, mais se contenir et vivre paisiblement ensemble comme frères, amis et concitoyens, sur peine aux contrevenants d'être punis comme infracteurs de paix et perturbateurs du repos public.
3. Ordonnons que la religion catholique, apostolique et romaine sera remise et rétablie en tous les lieux et endroits de cestui notre royaume et pays de notre obéissance où l'exercice d'icelle a été intermis pour y être paisiblement et librement exercé sans aucun trouble ou empêchement. Défendant très expressément à toutes personnes, de quelque état, qualité ou condition qu'elles soient, sur les peines que dessus, de ne troubler, molester ni inquiéter les ecclésiastiques en la célébration du divin service, jouissance et perception des dîmes, fruits et revenus de leurs bénéfices, et tous autres droits et devoirs qui leur appartiennent; et que tous ceux qui, durant les troubles, se sont emparés des églises, maisons, biens et revenus appartenant auxdits ecclésiastiques et qui les détiennent et occupent, leur en délaissent l'entière possession et paisible jouissance, en tels droits, libertés et sûretés qu'ils avaient auparavant qu'ils en fussent dessaisis. Défendant aussi très expressément à ceux de ladite religion prétendue réformée de faire prêches ni aucun exercice de ladite religion ès églises, maisons et habitations desdits ecclésiastiques.
9. Nous permettons aussi à ceux de ladite religion faire et continuer l'exercice d'icelle en toutes les villes et lieux de notre obéissance où il était par eux établi et fait publiquement par plusieurs et diverses fois en l'année 1596 et en l'année 1597, jusqu'à la fin du mois d'août, nonobstant tous arrêts et jugements à ce contraires.
13. Défendons très expressément à tous ceux de ladite religion faire aucun exercice d'icelle tant pour le ministère, règlement, discipline ou instruction publique d'enfants et autres, en cestui notre royaume et pays de notre obéissance, en ce qui concerne la religion, fois qu'ès lieux permis et octroyés par le présent Édit.
14. Comme aussi de faire aucun exercice de ladite religion en notre Cour et suite, ni pareillement en nos terres et pays qui sont delà les monts, ni aussi en notre ville de Paris, ni à cinq lieues de ladite ville. Toutefois ceux de ladite religion demeurant esdites terres et pays de delà les monts, et en notre ville, et cinq lieues autour d'icelle, ne pourront être recherchés en leurs maisons, ni astreints à faire chose pour le regard de leur religion contre leur conscience, en se comportant au reste selon qu'il est contenu en notre présent Édit.
15. Ne pourra aussi l'exercice public de ladite religion être fait aux armées, sinon aux quartiers des chefs qui en feront profession, autres toutefois que celui où sera le logis de notre personne.
(...)
Source : http://www.museeprotestant.org
Remarquons tout d'abord l’obligation d’oublier les événements des guerres de religion (articles 1 et 2). Une telle décision est assez rare dans les sociétés humaines et elle intervient lorsqu’une société sort de conflits internes tellement graves qu’ils ne permettent pas la réconciliation des différents partis. L’oubli devient alors le seul moyen de vivre ensemble et de reconstruire une société.
Il s’agit ensuite d’un édit de « tolérance ». Ce mot ne doit pas être entendu au sens où nous l’utilisons aujourd’hui, mais dans son sens littéral, c’est-à-dire le fait de « supporter » quelqu'un en espérant que cela ne durera pas trop longtemps. Le texte de l’édit considérait que la religion naturelle du royaume était le catholicisme. La religion protestante était tolérée en attendant qu’elle disparaisse d’elle-même et que tous les sujets du royaume reviennent d’eux-mêmes à la religion catholique (article 3). C’est pourquoi le culte protestant fut autorisé uniquement là où il existait en 1596-1597 et pas ailleurs (article 9). En conséquence, le culte protestant était notamment interdit à Paris et dans les environs, à la cour du roi et dans les armées, sauf si le chef d’un corps d’armée était protestant. L’édit de Nantes figeait donc la situation afin de rétablir la paix civile. Il consiste essentiellement en un compromis très fragile. La carte ci-dessous indique les lieux autorisés au culte protestant.

France catholique, France protestante à la fin du XVIe siècle.
Source : El Kenz, David (2014) La Réforme. Textes et documents pour la classe n°1072, SCEREN, p. 20.
Mais l’édit de Nantes s’intégrait également dans la construction de l’État monarchique qui constitue le fil rouge de notre étude. Les historien.nes considèrent que, par ce texte, Henri IV a refondé la monarchie. Elle était désormais perçue comme un État absolu, placé au dessus des factions et des deux religions professées dans le royaume, unique garant de l’intérêt commun, de la stabilité, de l'ordre public et de la concorde entre les partis rivaux. L’État monarchique se trouva alors doté d’une nouvelle sacralité qui conduisit à la religion royale de Louis XIV.
En outre, l’édit de Nantes introduisait une distinction entre le sujet obéissant à la loi du roi et le croyant, libre de ses choix religieux. Des historien·nes voient dans ce texte une première ébauche, certes très relative, de la laïcité.
4. Louis XIV, le Roi-soleil à Versailles
4.1 La monarchie absolue de droit divin
4.1.1 L’avènement du roi
Le surnom de Roi-soleil fut inventé au milieu du XIXe siècle. Ce terme nous est resté car il résume bien les caractéristiques du règne de Louis XIV.
Louis XIV est né le 5 septembre 1638. Il est mort le 1er septembre 1715. Au regard de l’espérance de vie moyenne de l’époque, nous pouvons considérer qu'il vécut trois vies. Il vit mourir ses fils et ses petits-fils si bien que c'est son arrière-petit-fils qui lui succéda sous le nom de Louis XV. On peut également considérer que Louis XIV fut le souverain de trois règnes successifs : celui de l'enfant qui vécut la Fronde, celui du jeune souverain qui imposa son pouvoir en 1661 et qui fit donner des fêtes somptueuses à Versailles, celui du vieux souverain austère qui révoqua l'édit de Nantes en 1685.
Louis XIV n’avait pas cinq ans à la mort de son père Louis XIII en 1643. La reine Anne d’Autriche secondée par le cardinal Mazarin exerça la régence jusqu’à la majorité du roi. Toute période de régence produit un affaiblissement du pouvoir royal et permet l’expression des mécontentements. Ce fut le cas avec la Fronde (1648-1653). On distingue par commodité la « Fronde parlementaire » (1648-1650) menée par des officiers du Parlement hostiles au renforcement absolutiste du pouvoir royal, au cours de laquelle le futur louis XIV dut fuir Paris et se réfugier au château de Saint-Germain, puis la « Fronde des princes » (1650-1653) dirigée par le prince de Condé et par laquelle les grands du royaume revendiquèrent davantage de place dans l’État. Mazarin parvint à réduire les oppositions et à restaurer l’autorité du jeune roi qui resta durablement traumatisé par cet épisode. Louis XIV fut alors sacré à Reims le 7 juin 1654.
Notons au passage que la Fronde fut contemporaine de la première révolution anglaise, à l'occasion de laquelle le roi Charles Ier fut décapité, le 30 janvier 1649. Cet évènement traumatisa la famille royale française.
Le 10 mars 1661, le lendemain de la mort de Mazarin, au château de Vincennes, Louis XIV annonça sa décision de gouverner seul, sans premier ministre. Il congédia les membres du conseil royal, sa mère et ancienne régente, la reine Anne d'Autriche, les princes et les ducs et les grands ministres. A partir de cette date, il exerça une forme de monarchie absolue à l’état pur, pourrait-on dire, aboutissement de l’évolution en germe depuis la fin du XVe siècle et surtout depuis le règne d’Henri IV (aidé du duc de Sully) et de Louis XIII (aidé du cardinal de Richelieu puis du cardinal Mazarin). Désormais, Louis XIV fut aidé par des ministres qui n'étaient pas issus de la grande noblesse, qui lui devaient tout et ne pouvaient pas contester ses décisions. De fait Louis XIV gouverna en fonction des structures sociales de l'époque, toujours fondées sur les relations d'homme à homme et que nous qualifierions aujourd'hui de claniques. Il s'appuya sur le clan des Colbert et sur le clan des Le Tellier pour imposer son autorité à la noblesse.

Hyacinthe Rigaud : Portrait de Louis XIV en costume de sacre (1700-1701). Huile sur toile, 277 x 194 cm. Musée du Louvre.
Le célèbre tableau de Hyacinthe Rigaud est d’un grand intérêt pédagogique. Il sert à définir la monarchie absolue de droit divin avec les élèves. Il permet de repérer les regalia (le sceptre, la couronne, la main de justice, l’épée dite de Charlemagne) qui symbolisent l’autorité du roi et les pouvoirs qu’il exerce. Le manteau évoque plutôt la monarchie de droit divin. Il évoque le manteau du grand prêtre du temple de Jérusalem dans la Bible. La doublure blanche symbolise la pureté tandis que les fleurs de lys sur fond d’azur évoquent aussi bien Marie que les astres et les cieux. Le roi paraît comme appartenant aussi bien au monde terrestre au qu’au monde céleste.
4.1.2 La monarchie de droit divin
Le roi se considérait comme le lieutenant de Dieu sur terre par la vertu du sacre (monarchie de droit divin) et, en conséquence, comme le détenteur de tous les pouvoirs, source de la législation, de la justice et comme le chef de l’administration (monarchie absolue). Il convient toutefois de ne pas confondre la monarchie absolue avec un régime totalitaire ou arbitraire. L’adjectif absolu vient du latin ab-solutus (détaché, délié des lois). Le roi ne connaissait pas de limite externe à son pouvoir car il ne dépendait ni de l’empereur ni du pape, et il exerçait une pleine souveraineté. Mais il pensait devoir rendre des comptes à Dieu, il devait gouverner dans la perspective du bien commun, il devait rendre une bonne justice et il était contraint par certaines règles. On ne doit donc pas considérer que le roi faisait ce qu’il voulait ni que la monarchie absolue était une dictature au sens moderne du terme.
La conception religieuse du pouvoir conduisit Louis XIV à intervenir dans les affaires religieuses de son temps. Il interdit le jansénisme, une doctrine catholique austère, considérant que le salut de l’âme était lié à l’intention de Dieu et non pas au salut par les œuvres des catholiques qui sont attachés au libre arbitre, et prônant une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir royal. Mais la grande mesure religieuse du règne de Louis XIV fut la révocation de l’édit de Nantes par l’édit de Fontainebleau enregistré par les parlements le 17 et le 18 octobre 1685. En effet, le compromis mis en place par l’édit de Nantes était considéré comme provisoire et se révéla difficile à tenir. Des conflits avec les protestants avaient éclaté sous le règne de Louis XIII et avaient conduit à la paix d’Alès en 1629. Or, l’unité religieuse semblait nécessaire au roi et à ses conseillers pour garantir la stabilité du royaume et le respect de l’autorité du roi. On institua par exemple les dragonnades : des soldats du roi étaient logés chez des protestants. Leur comportement indigne produisait fréquemment la conversion de ces derniers au culte catholique.
Par l’édit de Fontainebleau, le culte protestant fut donc totalement interdit. On pense que 200 000 protestants environ quittèrent le royaume alors que l’exil leur avait été interdit par l’édit de Fontainebleau. En effet, seuls les pasteurs refusant d’abjurer leur foi étaient incités à quitter le royaume. Dans les Cévennes, les Camisards se révoltèrent en 1702 pour pouvoir garder leur foi.
Document : La révocation de l’édit de Nantes par l'édit de Fontainebleau (1685)
Édit du roi, portant défenses de faire aucun exercice public de la R.P.R. dans son royaume
1. Faisons savoir que Nous pour ces causes et autres à ce nous mouvant et de notre certaine science, pleine puissance, et autorité royal, avons par ce présent édit perpétuel et irrévocable, supprimé et révoqué, supprimons et révoquons l’édit du roi notre aïeul, donné à Nantes au mois d’avril 1598, en toute son étendue (…). Et en conséquence, voulons et nous plaît que tous les temples de ceux de ladite R.P.R. situés dans notre royaume, pays terres et seigneurie de notre obéissance, soient incessamment démolis.
2. Défendons à nos dits sujets de la R.P.R. de ne plus s’assembler pour faire l’exercice de ladite religion en aucune lieu ou maison particulière, sous quelque prétexte que ce puisse être (…).
3. Défendons pareillement à tous seigneurs de quelque condition qu’ils soient de faire l’exercice dans leurs maisons et fiefs, de quelque qualité que soient lesdits fiefs, le à peine contre nos dits sujets qui feraient ledit exercice, de confiscation de corps et de biens.
4. Enjoignons à tous les ministres de ladite R.P.R. qui ne voudront pas se convertir et embrasser la religion catholique, apostolique et romaine, de sortir de notre royaume et terres de notre obéissance, quinze jours après la publication de notre présent édit, dans y pouvoir séjourner au-delà, ni pendant ledit temps de quinzaine de faire aucun prêche, exhortation ni autre fonction, à peine de galères.
7. Défendons les écoles particulières pour l’instruction des enfants de la dite R.P.R. et toutes les choses généralement quelconques, qui peuvent marquer une concession, quelle que ce puisse être, en faveur de la dite religion.
8. A l’égard des enfants qui naîtront de ceux de ladite R.P.R. voulons qu’ils soient dorénavant baptisés par les curés des paroisses. Enjoignons aux pères et mères de les envoyer aux églises à cet effet là à peine de cinq cents livres d’amende (…).
10. Faisons très expresses et itératives défenses à tous nos sujets de ladite R.P.R. de sortir, eux, leurs femmes et enfants de notre dit royaume, pays et terres de notre obéissance, ni d’y transporter leurs biens et effets, sous peine pour les hommes des galères et de confiscation de corps et de bien pour les femmes (…)
Donné à Fontainebleau au mois d’octobre l’an de grâce 1685 et de notre règne le 43eme. Signé Louis, visa Le Tellier. Par le Roi, Colbert.
Les protestants restés en France furent ensuite obligés de se convertir au catholicisme, ainsi que le dénonce le dessin ci-dessous.

Le dragon missionnaire, d’après une gravure de 1686
La monarchie de droit divin fut illustrée durant tout le règne par le thème solaire et l’évocation du dieu Apollon. L’une des premières évocation de ce thème eut lieu lors du Ballet de la nuit, donné le 23 février 1653, alors que la Fronde n’était pas encore terminée. Grand amateur de danse et de musique, qu’il pratiquait assidûment, le jeune roi apparut lors du final du ballet revêtu d’un costume doré dans le rôle du soleil. Il était accompagné des génies de l’Honneur, de la Grâce, de l’Amour, de la Valeur, de la Victoire, de la Renommée, de la Justice et de la Gloire. Tous ces génies étaient bien entendu à son service et étaient joués par les fils des grands du royaume. Ce ballet annonçait le programme politique de la monarchie absolue de droit divin et Louis XIV mit fréquemment les arts au service de son pouvoir.

Ballet royal de la nuit. Louis XIV en costume d’Apollon. BnF, Paris
Pour un commentaire détaillé : https://histoire-image.org/etudes/roi-danse-louis-xiv-mise-scene-pouvoir-absolu
Cette scène est reprise au début du film Le roi danse (2000) de Gérard Corbiau avec Benoît Magimel dans le rôle titre. A voir absolument sur : https://www.youtube.com/watch?v=PdeqbpfXaK8
Le thème solaire apparaît également autour de la devise du roi : « Nec pluribus impar » (A nul autre pareil).

La devise « Nec pluribus impar » sur un fût de canon dans la cour des Invalides à Paris
Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Prise_sur_un_des_canon_dans_la_cours_des_Invalides_%C3%A0_Paris-_2013-12-03_13-11.jpg
4.1.3 Une monarchie absolue
Comme nous l'avons vu plus haut, il est erroné d'assimiler la monarchie absolue à un pouvoir totalitaire. L'adjectif absolu signifie que le roi est absous de la domination du pape et de l'empereur.
La centralisation administrative devint la règle de l’exercice de la monarchie absolue. En 1661, après la mort de Mazarin, Louis XIV décida de gouverner sans premier ministre, même si le rôle de Colbert et de Le Tellier fut essentiel durant plus de vingt ans. Dès lors, le roi dirigeait lui-même trois des quatre conseils du gouvernement : Conseil d’en haut (conseil restreint et principal lieu de décision politique), Conseil des finances, Conseil des parties (la justice dirigée par le chancelier Séguier) et Conseil des dépêches (assurant la transmission en direction des intendants créés par Richelieu et qui dirigeaient les généralités, l'équivalent des provinces ou des régions). Dans la continuité de l’exercice du pouvoir monarchique hérité du Moyen Age, il continuait à diriger la justice. Plus précisément il exerçait la justice « retenue" (lettres de cachet, droit de grâce) et les Parlements exerçaient la justice « déléguée » à eux par le roi.
Document : Le métier de roi selon Louis XIV
Quant aux personnes qui devaient seconder mon travail, je résolus sur toutes choses de ne point prendre de Premier ministre, rien n’étant plus indigne que de voir d’un côté toutes les fonctions et de l’autre le seul titre de roi. Pour cela, il était nécessaire de partager ma confiance et l’exécution de mes ordres sans la donner tout entière à une seule, appliquant diverses personnes à diverses choses, selon leurs divers talents (…). J’aurais pu sans doute jeter les yeux sur des gens de plus haute considération, mais pour découvrir toute ma pensée, il n’était pas de mon intérêt de prendre des hommes d’une qualité plus éminente. Il fallait faire connaître au public que mon intention n’était pas de partager mon autorité avec eux. Quand, dans les occasions importantes, les ministres nous ont rapporté tous les partis et toutes les raisons contraires, c’est à nous, mon fils, à choisir ce qu’il faut faire car la décision a besoin d’un esprit de maître (…).
C’est à la tête seulement qu’il appartient de délibérer et de résoudre, et toutes les fonctions des autres membres ne consistent que dans l’exécution des commandements qui leur sont donnés. Voilà pourquoi on me vit toujours vouloir être informé de tout ce qui se faisait, traiter immédiatement avec les ministres étrangers, recevoir les dépêches, faire moi-même une partie des réponses et donner à mes secrétaires la substance des autres, me faire rendre compte à moi-même par ceux qui étaient dans les emplois les plus importants, conserver en moi seul mon autorité.
D’après Louis XIV, Mémoires pour servir à l’instruction du Dauphin, 1661.

Source : Cornette, Joël (2003). Louis XIV et Versailles. Textes et documents pour la classe n° 850, Scéren, p. 43.
Le roi s’entoura de conseillers d’autant plus fidèles qu’il les choisissait dans la petite noblesse de robe et que ces derniers lui devaient leur carrière : le contrôleur général des finances (Colbert, 1619-1683) et les quatre secrétaires d’État (l'équivalent des ministres) à la guerre (Le Tellier puis son fils Louvois), à la marine, aux affaires étrangères et à la maison du roi. Pour faire fonctionner l’État, le nombre des officiers serait passé de 45 000 dans les années 1660 à 60 000 à la fin du règne de Louis XIV, en 1715. Toujours traumatisé par la période de la Fronde, le roi réduisit encore plus le pouvoir des parlements dénommées « cours supérieures » et non plus « cours souveraines » à partir de 1665. Les 32 intendants dirigeaient les généralités au nom du roi et ils faisaient également remonter les informations nécessaires à l'administration du royaume. La centralisation administrative s’appuya également sur la rédaction de codes et d’ordonnances qui servirent à homogénéiser les pratiques dans divers domaines : code Louis (1667) sur la justice civile, ordonnance des Eaux et Forets (1669), ordonnance criminelle (1670), code marchand (1673), ordonnance maritime (1681), code noir (1685) sur la religion et les esclaves dans les colonies. Toutes ces réformes mirent en place une véritable monarchie administrative.

Anonyme : Louis XIV tenant les sceaux en présence des conseillers d’État et des maîtres des requêtes. Huile sur toile, 110 x 128 cm. Musée national du château de Versailles.
Pour un commentaire détaillé : https://histoire-image.org/etudes/autorite-louis-xiv
Le tableau ci-dessus est considéré comme une bonne représentation des pratiques de pouvoir de Louis XIV. Après la mort du chancelier (ministre de la justice) Séguier, le roi exerça quelques temps la charge de chancelier. Il préside donc ici le Conseil des parties (de la justice). Le roi, assis sur un fauteuil, est mis en valeur par son costume coloré et par le jeu de la lumière. Le geste de sa main suggère la prise de décision. Les secrétaires d’État sont assis sur des tabourets. Ils sont assistés par les maîtres des requêtes qui se tiennent debout derrière eux. A l’autre bout de la table, des greffiers préparent les documents. A l’arrière-plan, se trouvent les secrétaires du roi, coiffés d’une perruque, qui ont acheté leur office très cher. Ils présentent des rapports sur l’administration de l’armée, de la justice et des provinces et s’initient ainsi à la direction des affaires de l’État. Enfin, dans le fond à droite se tiennent trois gentilshommes dont le petit nombre sert à montrer en réalité leur éviction du service du roi. Ce dernier leur préférait des hommes issus de la petite noblesse de robe compétents et dévoués. A l’arrière plan deux statues représentent la justice (à gauche) et la tempérance (à droite).
Le tableau montre que le roi ne prenait pas ses décisions seul. Il s’appuyait sur les rapports des secrétaires du roi et sur l’avis des secrétaires d’État et des maîtres des requêtes pour prendre des décisions qui devaient théoriquement aller dans le sens de l’intérêt général du royaume.
Encart : Pourquoi Louis XIV portait-il une perruque ?
Alors qu’il avait 19 ans, le roi fut atteint de typhus exanthématique. A l’article de la mort, il reçut un vomitif à base d’antimoine (un produit proche de l’arsenic) et de vin. Le traitement lui sauva miraculeusement la vie mais lui coûta définitivement sa chevelure. Le roi fut contraint de porter des perruques à fenêtres (laissant passer les mèches de cheveux qui lui restaient) puis des perruques à balcon faites à partir de cheveux féminins qu’il fallait régulièrement faire bouillir et poudrer pour en chasser les poux et les odeurs. Elles devinrent de plus en plus grandes, jusqu’à peser près de 2 kg. Les courtisans et les officiers détenteurs d’une quelconque autorité imitèrent le roi et les perruques devinrent un signe de distinction.
(D’après Le Monde, mardi 19 juillet 2022).
La monarchie absolue s’exerça également à travers le contrôle des arts et des lettres. S’affirmant en cela l’héritier de François Ier, Louis XIV soutint l’art et la littérature avec Jean de La Fontaine, Molière, Jean Racine, Boileau, Lully, Charles Le Brun, André Le Nôtre, etc. Dans les années 1660-1670, les pièces de théâtre, les bals, les carrousels, les feux d’artifices servaient la glorification du roi. Certaines fêtes restées célèbres, comme le Ballet d’Hercule amoureux (1662) ou les Plaisirs de l’île enchantée (1664) donnés à Versailles, coûtèrent une fortune et associaient tous les corps de métiers : musiciens, comédiens, danseurs, sculpteurs, décorateurs, jardiniers, cuisiniers, artificiers, etc.
Les académies devinrent l’instrument principal de l’absolutisme culturel. Le cardinal Richelieu avait créé l’Académie française en 1635. Elle rassemblait des serviteurs de l’État et des écrivains dont le rôle était de donner des règles à la langue française tant sur le plan grammatical que lexical. L’absolutisme s’exerçait donc également par la codification de la langue. Comme c’est toujours le cas aujourd’hui, l'Académie devait produire un dictionnaire de la langue française et contribua à la normalisation de cette dernière. En 1648 fut créée l’Académie royale de peinture et de sculpture à laquelle tous les peintres du roi devaient adhérer s’ils voulaient bénéficier de commandes officielles. Conçue comme un lieu de formation, elle contribua à définir les contours d’un art officiel tout entier dévolu au service et à la glorification du roi. L’Académie d’architecture, créée en 1671, joua un rôle équivalent. L’Académie de danse fut créée par Louis XIV lui-même en 1662 pour former les danseurs des ballets de la cour et l’Académie royale de musique, dirigée par Lully, fut créée en 1672.
Cependant, il ne faut pas voir dans la monarchie absolue un régime centralisé implacable et parfaitement rationnel qui se serait exercé sur des populations totalement dominées. Cette image forgée par les historiens du XIXe siècle est aujourd’hui fortement remise en cause. Le roi devait respecter tout d’abord les "lois fondamentales" du royaume : la transmission de la couronne par primogéniture mâle, la non aliénabilité du domaine royal, le principe de catholicité. Le roi obtenait l’obéissance des nobles en leur accordant des pensions, des titres et des offices. Mais la désobéissance de ces derniers était fréquente. Le bon fonctionnement de l’administration dépendait de la bonne (ou de la mauvaise) volonté des officiers qui étaient propriétaires héréditaires de leur charge par le paiement de la Paulette et s'estimaient donc relativement indépendants. En outre le roi devait respecter les privilèges fiscaux de certaines villes et provinces. Ainsi, dans les « pays d’États », les régions rattachées tardivement au royaume (Languedoc, Provence, Bretagne), le prélèvement de l’impôt était soumis à l’accord du parlement de la province. Les populations rechignaient fréquemment à payer des impôts très lourds et les révoltes contre la fiscalité royale furent nombreuses. La fiscalité absorbait près de la moitié des revenus des paysans.
L'une des dernières et des plus importantes révoltes antifiscales fut la "révolte du papier timbré" appelée aussi "révolte des bonnets rouges" en Bretagne, en 1675. Afin de financer la guerre de Hollande, Colbert avait décidé de rendre obligatoire l'usage du papier timbré (c'est-à-dire un timbre attestant le paiement d'une taxe) dans toutes les transactions officielles telles que les testaments et les ventes de biens. Il y ajouta une taxe sur le tabac dont la Bretagne était dispensée jusque-là. Ces mesures signalent la capacité nouvelle du pouvoir monarchique à imposer sa volonté jusque dans les régions les plus reculées du royaume. La révolte partit de Bordeaux (dont la population obtint vite satisfaction), de Nantes et de Rennes et se répandit dans toutes les campagnes bas-bretonnes au cours de l'été. La révolte antifiscale se mua localement en révolte antiseigneuriale. Il fallut faire venir une armée de 20 000 hommes dirigée par le duc de Chaulnes, le gouverneur de Bretagne, pour ramener les révoltés à la raison. La tradition raconte que des centaines de paysans furent pendus, mais aucune source n'atteste une répression aussi massive. Il semblerait que quelques dizaines de révoltés furent pendus ou condamnés aux galères. Les clochers de sept églises ou chapelles des environs de Quimper furent rasés sur l'ordre du duc de Chaulnes. Toujours est-il que la révolte des bonnets rouges fut la dernière des révoltes antifiscales qui avaient débuté dans les années 1630. La puissance de l'Etat était telle qu'il devint désormais impossible aux paysans de se révolter.
Pourtant, à partir de la guerre de Hollande, en 1672, les ressources manquèrent en permanence et l’État devait constamment s’endetter auprès des financiers du royaume qui en tiraient un grand profil. Les dépenses militaires étaient soldées en réalité par l'emprunt car les levées d'impôts servaient surtout à cautionner de nouveaux emprunts. A la mort de Louis XIV, en 1715, l’État était endetté pour la somme de 1,5 milliards de livres. Il n'empêche que le royaume de France était alors le pays le plus peuplé et le plus riche du continent.
Les historien·nes considèrent désormais que l’État monarchique fonctionnait tant bien que mal par des négociations permanentes avec les élites détentrices de la dette de l’État et qui finançaient ainsi l'Etat, avec le clergé, avec les oligarchies urbaines et les officiers. Loin d’imposer brutalement sa volonté (ce qui fut néanmoins le cas avec les protestants et lors des guerres de conquêtes) le roi et ses conseillers cherchèrent constamment le consensus pour permettre le fonctionnement de l’État.
4.1.4 Le roi de guerre
La guerre joua également un rôle important dans la centralisation et le renforcement du pouvoir royal. Sur 43 ans de règne personnel, Louis XIV fut en guerre durant près de 30 ans.
Encart : Les guerres du règne de Louis XIV
Guerre de Dévolution (1667-1668) ; nombre de soldats du roi : 150 000
Guerre de Hollande (1672-1678)
Guerre de la ligue d’Augsbourg (1688-1697) ; nombre de soldats du roi : 450000
Guerre de succession d’Espagne (1701-1714) ; nombre de soldats du roi : 350000
Cet état de guerre quasi permanent contribua au renforcement du pouvoir royal. En effet, les historien·nes ont montré que la guerre et le violence d'Etat furent les moteurs de la construction de l'Etat et de l'affirmation des souverains. La guerre justifia l'accroissement considérable du prélèvement des impôts et du développement de l'administration chargée de leur recouvrement. En outre, il fallut mettre en place une lourde administration militaire au service du roi chargée de recruter, d'équiper, de ravitailler, de déplacer des troupes de plus en plus nombreuses. Enfin, l'usage massif de canons et de fusils donna la primauté à l'infanterie constituée de militaires professionnels, au détriment de la cavalerie, apanage traditionnel de la noblesse.
La carte des annexions réalisées sous le règne de Louis XIV laisse percevoir une évolution vers la forme moderne des frontières de la France. Il n’était désormais plus question de contrôler le domaine royal. Il s’agissait d’annexer des territoires pour agrandir le royaume, le rendre plus riche et plus puissant pour peser davantage sur la scène européenne.

Ces frontières furent partiellement stabilisées par les fortifications réalisées par l’ingénieur du roi Vauban (1633-1707), et nommées la « ceinture de fer ».
Brest participait de cet ensemble défensif. Richelieu avait déjà installé un arsenal sur la Penfeld, mais le véritable essor de la ville et de son arsenal fut impulsé par Louis XIV. En 1681, il réunit à la ville de Brest le quartier de Recouvrance situé sur la rive droite de la Penfeld et qui appartenait jusque-là à la commune de Saint-Pierre. Il transféra également à Brest le siège du tribunal, les foires et les marchés qui se tenaient jusque-là à Saint-Renan. Dès lors, la Penfeld abrita l'un des principaux arsenaux du royaume, situé à proximité de l'Angleterre, le principal rival maritime de la France. Par la suite, pour protéger la rade et l’arsenal de Brest, Vauban fit abaisser les murailles du château médiéval de Brest et les tailla en biseau pour les adapter aux tirs de l’artillerie, il entoura Brest de murailles qui furent détruites après la Seconde Guerre mondiale et il fit construire un série de forts (Portzic, Le Minou, Le Mengan, Bertheaume) et la tour de Camaret pour interdire l’accès à la rade de Brest à des ennemis potentiels.

L e plan-relief de Brest avec le château modifié par Vauban et les fortifications de Vauban. Un fragment de cette muraille subsiste à côté du monument aux morts situé place de la Liberté. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Brest_-_plan-relief_1811.jpg?uselang=fr

La tour Vauban à Camaret, construite en 1693-1695. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008.

A l’occasion de ces guerres, les troupes françaises commirent de nombreuses atrocités : le sac du Palatinat (la destruction systématique de villes telles que Mannheim, Heidelberg, Spire, Stuttgart, Tübingen, etc. accompagnée de pillages, de viols et d’exécutions de masse) fut ordonné par le roi en 1688-1689. La Franche-Comté fut également dévastée avant son annexion par la France. Dans ces deux régions, la mémoire des guerres de Louis XIV reste encore très douloureuse. Comme nous l’avons vu pour les règnes précédents, le financement de la guerre toujours plus coûteuse justifiait la création et le prélèvement d’impôts toujours plus nombreux (la capitation en 1695, le dixième en 1710) ainsi que l’accroissement de l’administration chargée de gérer les recette et les dépenses. Pour la population, la fin du règne de Louis XIV fut des plus terribles : les prélèvements d’impôts toujours plus lourds alliés à au passage des armées et à des crises de subsistances (notamment en 1693 et lors du « Grand Hiver » de 1709-1710) provoquèrent une augmentation considérable de la misère et de la mortalité dans les campagnes.
4.2 Versailles, miroir de la monarchie absolue de droit divin
4.2.1 La structure du château de Versailles
La troisième partie du règne de Louis XIV débuta avec l'installation de la cour dans le château de Versailles, qui précéda de peu la mort de Colbert en 1683 et la révocation de l'édit de Nantes en 1685.
Louis XIV fit du château de Versailles sa résidence principale en 1682. Il avait fait édifier un premier château dans les années 1660 à partir du pavillon de chasse de Louis XIII pour servir de cadre aux fêtes somptueuses telles que Les plaisirs de l’île enchantée qui furent données du 7 au 12 mai 1664 devant 600 personnes, durant lesquels fut joué le Tartuffe de Molière (pour une description précise voir :
Mais ces fêtes montrèrent que ces bâtiments étaient trop exigus pour accueillir la cour. Il fut alors décidé d’agrandir ce château selon les plans de Louis Le Vau (1612-1670) puis de Jules Hardouin-Mansart. De nombreuses raisons expliquent ce choix : la proximité de la forêt pour les chasses du roi, la méfiance du roi à l’égard du peuple de Paris et à l’égard des grandes familles nobiliaires depuis la Fronde, la nécessité de regrouper en un même lieu la famille royale, le gouvernement et l’administration du royaume, ainsi que la cour et les grands seigneurs, au total près de 6 000 personnes. Les travaux durèrent jusqu'en 1789.

Vue aérienne du château de Versailles

La façade du château de Versailles (coll. part.)
Mais le château de Versailles servait surtout à représenter et à magnifier le pouvoir du roi. Le plan ci-dessous montre que le château est une représentation parfaite de la monarchie absolue de droit divin. Les jardins réalisés par Le Nôtre, alternant bosquets, jardins à la française, bassins et fontaines, relèvent de la mythologie et de la figure d’Apollon. Ils se situent du côté du divin et symbolisent la monarchie de droit divin. Du côté de la ville, les ailes des ministres accueillent les organes du gouvernement et les trois avenues rectilignes qui en partent symbolisent le rayonnement de l’autorité du roi sur le royaume. En 1701, la chambre du roi fut située exactement au milieu du château, à côté de la salle du Conseil, au croisement de l’axe matérialisé par le château et de l’axe qui structure les jardins et les avenues situées devant le château. La chambre du roi se situait donc exactement au cœur du royaume et elle abritait le culte quotidien de la personne royale à travers les cérémonies du lever et du coucher du roi.

L e « système-Versailles »
Source : Cornette, Joël (2007). La monarchie absolue. De la Renaissance aux Lumières. Documentation photographique, n°8057, p. 59.
Le thème solaire se retrouve partout, sur les décorations intérieures du château comme sur les grilles extérieures.

Détails d'une grille du château de Versailles (coll. part.)


Détail d'une des grilles dorées du château de Versailles

Moulures d'une porte dans les appartements du château de Versailles (coll. part.)
La grande chapelle, dédiée à Saint-Louis, fut achevée en 1710. Elle ne se trouve pas au centre du château organisé autour de la chambre du roi. L'austérité de son style s'explique par le changement du goût à la fin du règne de Louis XIV marqué par les difficultés financières, les guerres et les famines, mais aussi par une conception plus rigoriste de la religion, sous l'influence de sa dernière favorite, Mme de Maintenon. Le roi assistait tous les matins aux offices depuis la tribune située au même niveau que le Grand Appartement, tandis que les courtisans étaient massés dans la nef. Le roi se tenait ainsi entre les fidèles et la voute où le Christ était représenté, entre la terre et le ciel.

La chapelle du château de Versailles, vue depuis la tribune (coll. part.)
4.2.2 La Galerie des glaces : un programme politique
L’espace le plus somptueux du château de Versailles et le plus représentatif est sans doute la Galerie des glaces, de 76 m de long, 10 m de large et 13 m de haut, le long de la façade du château, côté jardins. Elle fut conçue par Le Brun entre 1678 et 1684, après la guerre de Hollande et le traité de Nimègue de 1678. La galerie est pavée de marbre et ornée de miroirs réalisés par la manufacture de Saint-Gobain sur lesquels se reflète la lumière venant des 17 fenêtres qui ouvrent la galerie sur les jardins. Le 25 août, jour de la Saint-Louis, le soleil se couche exactement face à la Galerie des glaces, selon un axe qui passe par le bassin d’Apollon et de le bassin de Latone, sa mère.

La Galerie des glaces
(pour une description précise : https://www.chateauversailles.fr/decouvrir/domaine/chateau/galerie-glaces#la-galerie-des-glaces)

Le plafond de la galerie des glaces (coll. part.)
Le plafond de la Galerie des glaces est recouvert de 27 tableaux réalisés par le Le Brun qui illustrent l’histoire des campagnes militaires de Louis XIV lors des guerre de Dévolution (1667-1668) et de Hollande (1672-1678). Ces peintures représentent le programme politique de la monarchie absolue de droit divin et servent à exalter la personne du roi.

« Le roi gouverne par lui-même »
Source et analyse détaillée : https://galeriedesglaces-versailles.fr/html/11/collection/c17.html
La fresque de Le Brun intitulée "Le roi gouverne par lui-même" est située au milieu du plafond de la Galerie des Glace. Louis XIV est assis au centre, en habits d’empereur romain, accompagné des trois Grâces. Au-dessus de lui, Saturne, le maître du temps brandissant une faux et un sablier, s’apprête à révéler les actions héroïques du roi. Minerve, la déesse de la sagesse, à sa gauche, pointe du doigt la Gloire assise sur un nuage et tend vers le roi la couronne d’immortalité. Mars, le dieu de la guerre, désigne également la Gloire. Le roi accède donc à la Gloire par sa sagesse et son courage. Au pied du trône, des Amours écrivent, jouent de la musique, jouent aux cartes tandis que la France, en bas à gauche, tient un rameau d’olivier symbolisant la paix et est appuyée sur un faisceau symbolisant la justice. Paix et justice étant bien évidemment apportées par le roi.

Prise de la ville et de la citadelle de Gand en six jours, 1678 (coll. part.)
Sur cette autre fresque, le roi porté par l’aigle de Jupiter lance la foudre qui effraie les défenseurs de Gand. Les rayons du soleil apparaissent derrière lui et illustrent à nouveau le thème solaire qui accompagne Louis XIV. Minerve, la déesse de la sagesse casquée, tient l’étendard de Gand et s’efforce d’arracher les clés de la ville pour les remettre au roi.
Cette galerie était un lieu de passage et de rencontre pour les courtisans. Elle servit également à éblouir certains ambassadeurs reçus par le roi. La gravure ci-dessous décrit la réception des ambassadeurs du royaume de Siam qui avaient débarqué à Brest en 1686.

Nicolas de Larmessin : La réception des ambassadeurs du royaume de Siam, le 1er septembre 1686. Source : ttps://commons.wikimedia.org/wiki/File:SiameseEmbassyToLouisXIV1686NicolasLarmessin.jpg
(pour une analyse précise : https://www.chateauversailles.fr/decouvrir/histoire/grandes-dates/reception-ambassade-siam)
4.2.3 La vie à la cour
La vie à la cour était strictement réglée par « l’étiquette » organisant toutes les cérémonies, dont le lever et le coucher du roi, réglementant le droit de s’asseoir sur un fauteuil, une chaise ou un tabouret (seules les duchesses avaient le droit de s’asseoir lors du souper du roi), le type de vêtements à porter selon les heures de la journée, les divers signes de respect, etc. Le sociologue Norbert Elias a montré que cette « société de cour », en tant que « processus de civilisation » servait à dresser les corps et à imposer des règles de bienséance à des fins de contrôle social.

Louis XIV en compagnie des dames de la cour. Gravure d’un almanach royal de 1687.
Source : Cornette, Joël (1995). Versailles et Louis XIV. Le miroir de l’absolutisme. Textes et documents pour la classe, CNDP, p. 32.
Mais aujourd’hui les historien·nes tendent à nuancer cette approche, sans la nier. Il n’est pas certain que la noblesse fut totalement domestiquée par le roi à Versailles. D'une part, 10 000 nobles environ se trouvaient à Versailles vers 1690 sur un total de 200 000 environ dans tout le royaume. D'autre part, le roi n’était pas le seul dispensateurs des faveurs et des postes rémunérateurs. Le clientélisme organisé par les grandes familles nobiliaires organisait des réseaux d’influence selon un principe de réciprocité. Les principaux conseillers du roi (Colbert, Le Tellier, par exemple) bénéficièrent du soutien de leur famille élargie et de grands personnages qu’ils ont récompensés en retour une fois arrivés au sommet de l’État. Dans les correspondances des puissants revenait fréquemment l'expression "Cet homme est à moi", caractéristique des relations de patronage dans toute société aristocratique. Enfin, l'Etat manquait constamment d'argent car le prélèvement des impôts se faisait difficilement. L'Etat empruntait donc aux nobles et aux bourgeois fortunés, charge à eux de récupérer leur mise (augmentée d'un fort intérêt) en prélevant eux-mêmes les impôts du roi, par le système de la ferme (affermage du prélèvement des impôts). La noblesse fut donc domestiquée, mais elle trouva un grand intérêt à l'affermissement de la monarchie absolue et à sa propre domestication.
De même, les historien·nes insistent davantage sur l’importance du spectacle par lequel le pouvoir se représentait afin de susciter l’adhésion à une forme de religion royale. Les pièces de théâtre (Molière, Racine), les ballets (le roi dansa jusqu’en 1670) et la musique (Lully, Marc-Antoine Charpentier, François Couperin), les opéras, les spectacles les plus divers rythmaient la vie de la cour. Mais la vie de la cour était en soi un spectacle dont le metteur en scène et le principal acteur était le roi lui-même. La représentation permanente du pouvoir servait à affirmer l’autorité et la gloire du roi d’une manière éclatante.

Concert de musique dans le jardin de Trianon. Gravure, Paris, BnF.
Source : Cornette, Joël (2003). Louis XIV et Versailles. Textes et documents pour la classe n° 850, Scéren, p. 9.
Conclusion
Quelques thèmes transversaux peuvent être mis en évidence dans ce long chapitre.
Nous avons tout d’abord assisté à un contrôle accru du territoire, depuis l’extension du domaine royal de mieux en mieux administré (prévôts, baillis, sénéchaux) pour le service du roi, jusqu’à l’accroissement du territoire du royaume par la guerre, notamment sous le règne de Louis XIV.
Parallèlement au contrôle du territoire, l’administration se développa et se complexifia. La cour du roi constituée des grands du royaume se spécialisa en plusieurs conseils où officiaient des personnels de plus en plus compétents, dévoués au service de l’État. De la cour du roi se détachèrent les parlements, ces cours souveraines de justice exerçant la justice au nom du roi. L’État de justice originel fut complété d’un État de finances employant un personnel de plus en plus nombreux, les officiers, devenu nécessaire pour gérer la levée des impôts au service des dépenses croissantes du roi pour la guerre et pour les arts.
L’accroissement considérable de l’État monarchique s’accompagna d’une transformation de sa justification. Au Moyen Age, le roi se présenta comme « empereur en son royaume » (libéré de tout pouvoir supérieur au sien, celui de l’empereur et du pape) et l’évolution de l’exercice du pouvoir conduisit à la théorisation de la monarchie absolue de droit divin. La religion catholique joua un rôle essentiel dans la légitimation du pouvoir monarchique depuis le sacre, les croisades et la canonisation de Louis IX, jusqu’à l’exercice de la monarchie de droit divin par Louis XIV, en passant par le refus de la religion protestante dans le royaume.
Cette légitimation passait également par les arts mis au service de la splendeur du roi mécène, protecteur des artistes et constructeur de palais, depuis François Ier jusqu’à Louis XIV. Le pouvoir se représentait autant qu’il s’exerçait.
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