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La France dans la Deuxième Guerre mondiale

  • didiercariou
  • 29 août 2023
  • 83 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 juil.

Résistance et collaboration. Les persécutions des Juifs et des Tsiganes






Par Didier Cariou, maître de conférence HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Bretagne occidentale





Références bibliographiques :

AGLAN Alya (2017). La France défaite 1940-1945. Documentation photographique n° 8120. La documentation française.

BEAUPRE, Nicolas (2012/2019). 1914-1945 Les Grandes Guerres. Rééd. Histoire de France, Folio.

NOIRIEL, Gérard (2019). Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours. Agone.

ROUSSO, Henry (2007). Le régime de Vichy. PUF, Que-sais-je ?

ROUSSO, Henry (2015). Le régime de Vichy. Textes et documents pour la classe n°1088, Canopé Éditions.


Mort-clés :

Débâcle, Exode, Maréchal Pétain, général De Gaulle, Armistice, Zone occupée, Zone non-occupée, Prisonniers de guerre, Tirailleurs sénégalais

Régime de Vichy, État français, Laval, Pleins pouvoirs constitutionnels, Actes constitutionnels, Tribunaux d’exception, Maréchal, nous voilà, Révolution nationales, « Travail, famille, patrie », 1er mai, Charte du travail, « La terre, elle, ne ment pas », Comités d’organisation, Fête des mères, Collaborationnistes, Collaboration d’État, Entrevue de Montoire, Collaboration économique, STO, Collaboration militaire, LVF, Collaboration policière, Bousquet, Milice, Rationnement, Marché noir.


Génocide des Juifs, Révision des naturalisations, Statut des Juifs, Recensement des Juifs, Aryanisation, Commissariat général aux question juives, Drancy, Étoile jaune, Rafle du Vel’d’Hiv’, Discours de Chirac en 1995, Livret de circulation des Tsiganes, Camps.


Résistance, Appel du 18 juin 1940, France libre, FFL, Grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais, Actes de résistance, Graffitis, Tracts, Réseaux, Mouvements, Sabotage, Attentats, Exécutions, FTP, FTP-MOI, Affiche rouge, Jean Moulin, CNR, CFLN, GPRF, FFI, Programme du CNR, Libération, Épuration.


Que dit le programme ?


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Comme pour la Première Guerre mondiale, il est attendu que l’étude de la Seconde Guerre mondiale parte des traces qui en sont restées dans les paysages, dans les archives, dans la mémoire familiale. Pour le reste, la fiche Eduscol est assez elliptique :


Extrait de la fiche Eduscol, « La France des guerres mondiales à l’Union européenne » :


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Introduction

Aujourd'hui encore, la vie politique et la société française sont largement structurées par la référence à la période de l’Occupation, de la collaboration et de la résistance. La connaissance de cette période historique est nécessaire à la compréhension d’un passé vécu par nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents, qu’ils aient vécu en France ou dans les anciennes colonies. Pour ces raisons, ce chapitre est sans dote le plus essentiel de tous les chapitres d’histoire figurant dans le programme du cycle 3.

Étudier la France dans la Deuxième Guerre mondiale permet également de comprendre des enjeux politique essentiels pour la société française d’aujourd’hui et de se défier des thèses nauséabondes qui polluent régulièrement le champ politique. La persécution et la déportation des Juifs, qui furent largement le fait du régime de Vichy, posent plus largement la question des discriminations et de la citoyenneté : que signifie concrètement le fait de discriminer des personnes et de leur ôter l’accès à la citoyenneté en raison de leur appartenance à une supposée race ? L’opposition entre la collaboration et la résistance pose la question des valeurs que nous devons défendre : fallait-il profiter de la défaite de l’armée française face à l’armée allemande pour mettre en place une dictature d’extrême-droite supprimant la démocratie et les principes issus de la Révolution française, ou fallait-il au contraire s’engager pour défendre ces derniers ?


1. La Débâcle de mai-juin 1940

1.1. La Débâcle et l'Exode

Rappelons que l’armée allemande attaqua les Pays-Bas et la Belgique le 10 mai 1940, puis la France le 13 mai en passant par les Ardennes. Elle prit à revers l’armée française qui se pensait protégée par les fortifications de la ligne Maginot. Malgré des combats parfois acharnés, l’armée française, que l’on pensait la première au monde, fut battue en un mois. C’est ce que l’on appela la Débâcle. Au même moment, les populations civiles du Nord-Est de la France fuirent l’avancée de l’armée allemande pour se réfugier au sud de la Loire, dans un chaos généralisé. C’est l’Exode, qui vit huit à dix millions de personnes partir sur les routes, essentiellement des femmes, des enfants et des personnes âgées, puisque les hommes combattaient. Par exemple, 180 000 Lillois sur un total de 200 000 habitants quittèrent la ville de Lille. Il est important de rappeler ce double traumatisme pour expliquer pourquoi Pétain a pu être accueilli comme un sauveur pour les populations désemparées.

Au sein du gouvernement français dirigé par Paul Reynaud, se posa alors la question de la poursuite de la guerre. Deux options étaient possibles : la capitulation militaire ou l’armistice. La capitulation supposait la reconnaissance de la défaite sur le terrain, mais n’excluait pas la poursuite des hostilités, par exemple en Afrique du Nord. Cette option était défendue par le général de Gaulle (récent sous-secrétaire d’État à la guerre depuis le 5 juin) et par Paul Reynaud, le président du Conseil (équivalent de notre premier ministre). L’armistice, quant à elle, engageait la responsabilité politique du gouvernement et mettait fin à toute hostilité. Cette option était défendue par Pétain, ministre de la guerre. Reynaud démissionna le 16 juin. Le président de la République Albert Lebrun nomma alors le maréchal Pétain président du Conseil. Le 17 juin 1940, par un discours radiodiffusé, Pétain annonça son intention de demander l’armistice à l’Allemagne.


Document : Le discours radiodiffusé du maréchal Pétain, le 17 juin 1940


Français !


À l’appel de M. le président de la République, j’assume à partir d’aujourd’hui la direction du gouvernement de la France. Sûr de l’affection de notre admirable armée, qui lutte avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires contre un ennemi supérieur en nombre et en armes, sûr que par sa magnifique résistance elle a rempli son devoir vis-à-vis de nos alliés, sûr de l’appui des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.

En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés, qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat.

Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités.

Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n’écouter que leur foi dans le destin de la patrie.


Source : https://www.france-libre.net/discours-petain/


Le 18 juin 1940, le général de Gaulle, éphémère sous-secrétaire d’État du gouvernement Reynaud, arrivé en Angleterre la veille, prononça son appel à la résistance sur les ondes de la BBC, qui fut en réalité très peu entendu, afin de contredire le discours tenu la veille par Pétain. Ces deux discours témoignent d’analyses diamétralement opposées sur la situation internationale. Pétain partageait l’avis du théoricien d’extrême-droite Charles Maurras pour qui la défaite fut une « divine surprise » qui permettrait d’en finir avec la République (la « gueuse ») et les mesures du Front populaire. Pétain considérait également que l’Allemagne allait gagner la guerre et que la défaite de la Grande-Bretagne était proche. Il fallait donc se placer du côté du futur vainqueur pour ménager une bonne place à la France dans la future Europe allemande. L’annonce de l’armistice soulagea la plupart des français égarés sur les routes de l’Exode. Pour De Gaulle au contraire, il fallait poursuivre le combat aux côté des Britanniques en s’appuyant sur les ressources de l’empire colonial, en attendant l’engagement des États-Unis qui renverserait le rapport des forces à l’échelle mondiale.

2.2. L'armistice du 22 juin 1940

Le traité d’armistice fut signé le 22 juin 1940 dans le wagon de Rethondes (à côté de Compiègne), là où avait été signé l’armistice de 1918. La France fut coupée en deux zones de part et d’autre de la ligne de démarcation séparant la zone occupée (le nord et tout le littoral atlantique, rassemblant toutes les régions industrielles) de la zone non-occupée (on disait alors la « zone nono »). Cette ligne de démarcation fut étroitement surveillée et il fallait présenter un laissez-passer (Ausweis), très difficile à obtenir, aux rares points de passage autorisés.

A l’intérieur de la zone occupée, les départements du Nord et du Pas-de-Calais furent rattachés aux autorités d’occupation allemandes de Bruxelles, l’Alsace et la Moselle furent annexées par le Reich. Les juifs en furent expulsés et les Alsaciens-mosellans subirent une germanisation forcée (interdiction de parler français, changement du nom des rues et des villes, nazification de l'enseignement, service militaire obligatoire dans l'armée allemande à partir de 1941). La France dut payer des frais d’occupation d’un montant exorbitant de 20 milliards de marks (400 millions de Francs) par jour pour financer l’entretien des troupes d’occupation. En outre, le taux de change du mark passa arbitrairement à 20 francs pour un mark, contre 12 pour un avant la guerre. La zone occupée fut placée sous l’autorité d’une administration allemande dépendant du Haut commandement de l’armée de terre (Oberkommando der Wermacht, OKW) et dirigée par une administration militaire (Militärbefehlshaber im Frankreich, MBF) à la tête de la laquelle fut placé le général Otto von Stülpnagel, puis son cousin le général Karl-Heinrich von Stülpnagel à partir de février 1942 (ces deux personnages sont restés tristement célèbres car leur nom figurait en bas des affiches annonçant les condamnations à morts et les exécutions des résistants). Le MBF était installé à l’hôtel Majestic, à Paris. Dans chaque chef-lieu de département, une Feldkommandantur administrait le département sous l’autorité du MBF. A l’échelon inférieur venaient les Kreiskommandantur.

La zone non-occupée serait administrée par un gouvernement français reconnu par la communauté internationale. En zone occupée, l’administration française devait se mettre au service des autorités allemandes tout en se trouvant sous l’autorité du futur régime de Vichy. De même, la propagande du régime de Vichy s’exerçait en zone occupée aux cotés de la propagande allemande. Comme nous le verrons plus loin, la collaboration avec l’occupant était présentée par la propagande de Vichy comme un moyen d’établir l’autorité du régime de Vichy sur la totalité du territoire national.

L’armée française fut réduite à 100 000 hommes et les 1,6 millions de prisonniers de guerre ne seraient pas libérés avant la signature d’un traité de paix définitif. L’empire colonial restait sous l’autorité du futur régime de Vichy. Au total, ces clauses très dures constituaient le pendant des clauses du traité de Versailles.



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Document : Carte de la France occupée 1940-1944

Source : http://www.enseigner-histoire-shoah.org/outils-et-ressources/chronologie-et-cartes/cartes.html


Encadré : les prisonniers de guerre français


Environ 1,8 millions de soldats français furent faits prisonniers en mai-juin 1940 et 1,6 furent transférés en Allemagne. Un million étaient toujours captifs en 1945. Ils constituaient la plus grande partie des hommes français âgés de 20 à 40 ans, leur moyenne d’âge étant de trente ans. La plupart étaient pères de famille. Les soldats et les sous-officiers furent enfermés dans des Stalag (Stammlager), les officiers dans des Oflag (Ofitzierlager), répartis dans toute l’Allemagne. Les soldats furent très vite mis au travail dans des usines, des mines ou sur des exploitations agricoles et les sous-officiers furent « démilitarisés » pour les soustraire aux clauses de la Convention de Genève qui interdit de faire travailler les sous-officiers prisonniers de guerre. La captivité fut très difficile en raison de la dureté des conditions de travail, de l’éloignement de la famille et de la sous-alimentation (pour les prisonniers travaillant dans les usines et les mines). Ces conditions n’avaient bien entendu rien à voir avec celles des déportés politiques dans les camps de concentration et encore moins avec celles des Juifs exterminés dans les centres de mise à mort. Lorsqu’ils rentrèrent dans leurs foyers en 1945, les prisonniers de guerre représentaient une armée vaincue, ils étaient en mauvaise santé et vêtus d’uniformes dépareillés. Ils faisaient pâle figure à côté des soldats britanniques et américains victorieux. Il leur fut souvent difficile de reprendre leur place sur le marché du travail et surtout dans leur famille. Il leur fallu retisser les liens avec leur femme et leurs enfants qui avaient su se débrouiller sans eux pendant cinq ans. Il s’agit de l’un des traumatismes majeurs de la société française au cours du XXe siècle, et qui demeure peu évoqué encore aujourd’hui. L’un des rares films sur ce sujet est La vache et le prisonnier, un film de Henri Verneuil (1959) avec Fernandel. Cette comédie dramatique a mal vieilli mais elle rend bien compte de la misère des prisonniers de guerre français qui avaient bien accueilli ce film lors de sa sortie.


Au cours de la campagne de France, les soldats allemands commirent des atrocités à l'encontre les soldats français venus d’Afrique, que l’on nommait les Tirailleurs sénégalais. Ces actes signalent le racisme des soldats allemands envers les Africains et commencent seulement à être vraiment connus. Le fait le plus connu, mais rarement raconté dans sa globalité, a trait à un premier acte d’héroïsme de Jean Moulin, alors préfet de l’Eure-et-Loir. Des civils avaient été tués par un bombardement allemand, le 14 juin 1940, dans un village proche de Chartres. Un colonel allemand voulut obliger Jean Moulin à signer un protocole reconnaissant faussement qu’une section du 26e Régiment de Tirailleurs Sénégalais, qui avait vaillamment combattu les troupes allemande aux alentours de Chartres à la mi-juin 1940, aurait commis des atrocités contre ces civils et les avaient exécutés. Frappé par les officiers allemands parce qu’il refusait de signer ce protocole mensonger, Jean Moulin tenta de se suicider en se tranchant le cou avec un débris de verre. Il se rétablit rapidement puis, révoqué de ses fonctions de préfet, rejoignit la Résistance. Il convient de préciser que, jusqu’à une date très récente, les manuels d’histoire de lycée expliquaient que Jean Moulin avait tenté de suicider pour ne pas avoir à signer un document remettant en cause l’honneur de l’armée française, sans plus de précisions.


Document : Jean Moulin évoque son refus de signer le protocole


Le nazi, prenant la feuille qu’il m’a tendue tout à l’heure : - Aux termes du protocole, des effectifs français et notamment des soldats noirs ont emprunté, dans leur retraite, une voie de chemin de fer près de laquelle ont été trouvés, à 12 km environ de Chartres, les corps mutilés et violés de plusieurs femmes et enfants.

Moi – Quelles preuves avez-vous que les tirailleurs sénégalais sont passés exactement à l’endroit où vous avez découvert les cadavres ?

Le nazi – On a retrouvé du matériel abandonné par eux.

Moi – Je veux bien le croire. Mais en admettant que des troupes noires soient passées par là, comment arrivez-vous à prouver leur culpabilité ?

Le nazi – Aucun doute à ce sujet. Les victimes ont été examinées par des spécialistes allemands. Les violences quelles ont subies offrent toutes les caractéristiques des crimes commis par les nègres.

Malgré l’objet tragique de cette discussion, je ne peux m’empêcher de sourire : « Les caractéristiques des crimes commis par les nègres ». C’est tout ce qu’ils ont trouvé comme preuves (…).

Le petit officier blond, que j’appelle désormais mon bourreau n°1, fait un geste au soldat qui pointe sa baïonnette sur ma poitrine en criant en allemand : « Debout ! » Dans un sursaut douloureux, je me redresse. J’ai terriblement mal. Je sens que mes jambes me portent difficilement. Instinctivement, je m’approche d’une chaise pour m’asseoir. Le soldat la retire brutalement et me lance sa crosse sur les pieds. Je ne peux m’empêcher de hurler : « Quand ces procédés infâmes vont-ils cesser ? dis-je après avoir quelque peu repris mes esprits.

- Pas avant, déclare mon bourreau n°1, que vous n’ayez signé le protocole ». Et à nouveau il me tend le papier (…). Ils me traînent maintenant jusqu’à une table où est placé le « protocole ».

- Moi – Non je ne signerai pas. Vous savez bien que je ne peux apposer ma signature au bas d’un texte qui déshonore l’armée française ».


Source : Jean Moulin, Premier combat (hiver 1940-1941), Minuit, 1983 (Cité dans : I. Bournier et M. Pottier, Paroles d’indigènes. Les soldats oubliés de la Seconde Guerre mondiale, Librio, 2006, p. 25-26)


Dans la région de Lyon, où ils avaient résisté à l’avancée allemande, 188 tirailleurs sénégalais, 6 tirailleurs nord-africains et 2 légionnaires furent exécutés à la mitrailleuse de char, le 20 juin 1940. Ils sont toujours inhumés à Chasselay, dans une enceinte militaire qui leur est consacrée. Cet épisode fut relaté dans un article du journal Le Monde du 16 juin 2020.


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Document : Le 20 juin 1940 dans l’après-midi, des tirailleurs faits prisonniers et désarmés sont conduits à l’écart de Chasselay (Rhône). COLLECTION BAPTISTE GARIN



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Document : Deux tanks les exécutent avec leurs mitrailleuses. COLLECTION BAPTISTE GARIN


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Document : Les corps abandonnés sur place. COLLECTION BAPTISTE GARIN


Au total, entre 1 500 et 3 000 soldats africains furent massacrés en France par les SS ou les soldats de la Wehrmacht au mois de juin 1940.


Une dernière précision. Les 7 et 8 novembre 1942, les Américains débarquèrent en Algérie et au Maroc, dont ils s'emparèrent assez facilement, en dépit d'un début de résistance des troupes françaises favorables au régime de Vichy. En mesure de rétorsion, les Allemands envahirent la zone non-occupée.

2. Le régime de Vichy et la collaboration


2.1. L’installation du régime de Vichy

Le régime de Vichy présente deux faces complémentaires. D’une part, ce régime servit à gérer les conséquences de la défaite et de l’occupation des deux tiers de la France par l’armée allemande, tout en s’efforçant de ménager une place pour la France dans la future Europe allemande. Cette perspective explique la politique de la collaboration. D’autre part, ce régime chercha à profiter de la situation pour changer en profondeur la vie politique et la société française selon les orientations des courants d’extrême-droite français, anti-démocratiques et antisémites.

Le gouvernement français s’installa, pour toute la durée de la guerre, à Vichy, une ville thermale proche de la ligne de démarcation et dont les nombreux hôtels pouvaient accueillir les services de l’État. L’ancien président du Conseil Pierre Laval intrigua pour obtenir l’effacement du Parlement et pour mettre en place un gouvernement dirigé par lui-même, sous l’autorité du maréchal Pétain. Le 10 juillet, la chambre des Députés et le Sénat réunis en Assemblée nationale au casino de Vichy votèrent par 570 voix contre 80 (dont le sénateur-maire de Brest, Victor Le Gorgeu, qui mérite bien qu'un boulevard de Brest, le long de la fac de sciences, porte son nom) et 17 abstentions (sachant que les élus communistes avaient été déchus de leur mandat et que 27 parlementaires étaient absents car ils s’étaient rendus en Afrique du Nord) les pleins pouvoirs constitutionnels au maréchal Pétain, âgé de 84 ans. Ils adoptèrent le texte de la loi constitutionnelle suivante :


Document : Loi constitutionnelle votée le 10 juillet 1940

L’Assemblée nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille, de la patrie. Elle sera ratifiée par la nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées.


Remarquons au passage que la future devise du régime de Vichy, "travail, famille, patrie", figure déjà dans ce texte.

Le 11 juillet le président de la République Albert Lebrun dût résigner ses fonctions, laissant la voie libre à Pétain qui devint l’équivalent, en même temps, du président du Conseil et du président de la République. Les 11 et 12 juillet, Pétain promulgua quatre « actes constitutionnels » qui abrogèrent les institutions républicaines et qui instaurèrent sa dictature sous le nom de « l’État français » et son programme de la « Révolution nationale ».


Document : les actes constitutionnels des 11 et 12 juillet 1940


Acte constitutionnel n°1

Nous, Philippe Pétain, maréchal de France,

Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Déclarons assumer les fonctions de chef de l’État français.

En conséquence, nous décrétons :

L’article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est abrogé.


Acte constitutionnel n°2 fixant les pouvoirs du chef de l’État français

Nous, maréchal de France, chef de l’État français;

Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Décrétons:

Article 1er – § premier. Le chef de l’État français a la plénitude du pouvoir gouvernemental, il nomme et révoque les ministres et secrétaires d’État, qui ne sont responsables que devant lui.

§ 2. Il exerce le pouvoir législatif, en conseil des ministres: 1° Jusqu’à la formation de nouvelles Assemblées;. 2° Après cette formation, en cas de tension extérieure ou de crise intérieure grave, sur sa seule décision et dans la même forme. Dans les mêmes circonstances, il peut édicter toutes dispositions d’ordre budgétaire et fiscal.

§ 3. Il promulgue les lois et assure leur exécution.

§ 4. Il nomme à tous les emplois civils et militaires pour lesquels la loi n’a pas prévu d’autre mode de désignation.

§ 5. Il dispose de la force armée.

§ 6. Il a le droit de grâce et d’amnistie.

§ 7. Les envoyés et ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. Il négocie et ratifie les traités.

§ 8: Il peut déclarer l’état de siège dans une ou plusieurs portions du territoire.

§ 9. Il ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment préalable des Assemblées législatives.

Article 2 – Sont abrogées toutes dispositions des lois constitutionnelles des 24 février 1875, 25 février 1875 et l6 juillet 1875, incompatibles avec le présent acte.


Acte constitutionnel n°3 prorogeant et ajournant les chambres

Nous, maréchal de France, chef de l’État français ;

Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Décrétons :

Article 1er – Le Sénat et la Chambre des. députés subsisteront jusqu’à ce que soient formées les Assemblées prévues par la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940.

Art. 2 – Le Sénat et la Chambre des députés sont ajournés jusqu’à nouvel ordre. Ils ne pourront désormais se réunir que sur convocation du chef de l’État

Art. 3 – L’article 1er de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 est abrogé.


Acte constitutionnel n°4 relatif à la suppléance et à la succession du chef de l’État

Nous, maréchal de France, chef de l’État français ;

Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,

Décrétons :

Article 1er – Si pour quelque cause que ce soit avant la ratification par la Nation de la nouvelle Constitution, nous sommes empêché d’exercer la fonction de chef de l’État, M. Pierre Laval, vice-président du conseil des ministres, l’assumera de plein droit.

Art. 2 – Dans le cas où M. Pierre Laval serait empêché pour quelque cause que ce soit, il serait à son tour remplacé par la personne que désignerait, à la majorité de sept voix, le conseil des ministres. Jusqu’à l’investiture de celle-ci, les fonctions seraient exercées par le conseil des ministres


Source : https://www.legifrance.gouv.fr/download/securePrint?token=Pb9sv@3yGv0vf6eXBOpB


Ces actes débutaient donc par un « Nous, maréchal de France » très monarchique et très militaire. Les deux premiers actes constitutionnels mettaient fin à la République en abrogeant les lois constitutionnelle de 1875 et en instaurant la dictature personnelle de Pétain : il s’arrogeait le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et une partie du pouvoir judiciaire. Le troisième acte ajournait la Chambre des députés et le Sénat et le quatrième acte organisait sa succession en désignant Pierre Laval comme son « dauphin ».

Ces actes abolirent le principe de la souveraineté nationale et du mandat électif puisque, désormais, l’autorité était conférée par l’échelon hiérarchique supérieur. Selon ce principe, les conseils généraux des départements (12 octobre 1940) furent remplacés par des commissions administratives départementales nommées par les préfets qui devaient eux-mêmes prêter serment de fidélité à Pétain. Dans les communes de plus de 2 000 habitants, le maire et les adjoints devaient également être nommés par le préfet (16 novembre 1940). En avril 1941, furent créées dix-huit préfectures régionales censées recréer les provinces de l’Ancien Régime. Elles servirent surtout à renforcer le contrôle de l’État car les préfets régionaux possédaient des pouvoirs étendus en matière de police et de ravitaillement. A cette occasion le département de Loire-inférieure fut détaché de la région Bretagne et rattaché à la nouvelle région qui serait nommée plus tard Pays de la Loire.

Sur le plan judiciaire, les magistrats durent prêter un serment de fidélité à Pétain (contre le principe de séparation des pouvoirs) et des tribunaux d’exception furent mis en place : en 1941, la Cour suprême de justice réunie à Riom jugea les dirigeants de la Troisième république (les présidents du Conseil Léon Blum et Édouard Daladier, le général Gamelin, etc.) qui furent condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par Pétain, et les Sections spéciales jugèrent les résistants (assimilés à des terroristes). Pour assurer une plus grande efficacité répressive, la police fut centralisée et placée sous l’autorité de l’État. Ainsi, la loi du 23 avril 1941, tout d’abord dans la zone non-occupée, centralisa les polices municipales dans une police nationale qui ne dépendrait plus des maires mais de l’État.

Ces mesures, inspirées par les idées antiparlementaires d’extrême-droite, marquèrent la fin de la démocratie représentative et le rejet des élections remplacées par les nominations. En outre, les principales libertés publiques furent suspendues : les partis politiques et les syndicats furent dissous et les opposants furent pourchassés. Les symboles républicains perdurèrent (la Marseillaise, interdite en zone occupée, la fête nationale du 14 juillet, le drapeau tricolore).

Mais une symbolique alternative se développa : le chant Maréchal nous voilà ! devint l'hymne du régime, les bustes du maréchal remplacèrent les bustes de Marianne dans les mairies. La propagande fut intense à la radio où l'on entendant fréquemment le Maréchal, aux actualités cinématographiques, dans les écoles et par la voie d’affichages. De nombreuses furent rebaptisées du nom de Pétain. Par exemple, la rue de la République à Saint-Denis devint la rue du Maréchal Pétain. Le 11 novembre ne fut plus férié, en revanche, la fête de Jeanne d'Arc fut officiellement mise en place. Un exemple de film de propagande : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe01000825/une-page-d-histoire-les-88-ans-de-petain


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Document : Bustes de Pétain pour les mairies et les préfectures, mars 1943.

Source : Textes et documents pour la classe n° 1088, 2015, p. 17.


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Document : Bon point à l'effigie du Maréchal Pétain distribué aux enfants par la Légion française des combattants (1940-1944)Recto et verso. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bon_point.jpg

2.2. Les caractéristiques du régime de Vichy

2.2.1. Dictature traditionaliste ou dictature fasciste ?

L’État français était une dictature dirigée par la figure charismatique du maréchal Pétain (1856-1953), le « vainqueur de Verdun », figure paternelle apte à rassurer la population perturbée par une défaite sans précédent. Pétain assuma une extrême personnalisation du pouvoir marquée par une très forte propagande exaltant sa figure et son action. Cependant, les historien·nes ne considèrent pas qu’il exerçait réellement une dictature personnelle car il n’était pas la source de toutes les décisions du régime de Vichy où s’affrontaient des hommes politiques de diverses obédiences. Pétain incarnait surtout la figure de l’homme providentiel en un moment où tous les repères politiques et sociaux avaient disparu. De fait, les dirigeants de Vichy comptaient sur l’aura de Pétain pour faire accepter leurs propres décisions à la population. Ils pensaient que si ces décisions étaient perçues comme émanant de Pétain (et non pas de Laval, par exemple, qui était globalement détesté), alors elles passeraient mieux auprès de l’opinion publique.

Un débat a longtemps animé les historien·nes : le régime de Vichy s’apparentait-il à une dictature d’extrême droite traditionaliste (culte du chef, refus des libertés fondamentales et des droits de l’homme, nationalisme, répression des oppositions, soutien de la religion, vision réactionnaire de la société) ou à une dictature fasciste (culte du chef, nationalisme, appui sur un parti unique contrôlant l’ensemble de la population, terreur policière et répression de toute opposition) ?

De fait, aucun régime politique n’est chimiquement pur et l’on considère souvent que le régime de Vichy évolua de la dictature traditionaliste vers une fascisation relative. Au départ, Pétain assumait l’essentiel du pouvoir et il mit en avant l’idéologie réactionnaire de la Révolution nationale. La création d’un parti unique qui aurait pu servir à la fascisation du régime avait été refusée. Certes, une Légion française des combattants fut crée par la loi du 29 août 1940 pour fédérer toutes les associations d’anciens combattants, sous la direction de Xavier Vallat, qui devaient relayer la propagande du régime. Les anciens combattants devaient prêter serment de fidélité à Pétain. En 1941, cette légion comptait 600 000 membres en métropole, 500 000 en Algérie et dans les colonies. Mais son rôle resta finalement limité et cette légion ne servit pas à la création d'un parti fasciste. En outre, Pétain n'exerçait pas le pouvoir seul. Il était assisté d’un « vice-président du Conseil », à savoir Pierre Laval (ancien politicien radical de la Troisième république) jusqu’en décembre 1940 puis l’amiral Darlan jusqu’en avril 1942, puis d’un « chef du gouvernement » (doté des pleins pouvoirs), à savoir Pierre Laval à nouveau, jusqu’à la Libération. A partir de 1942, Laval prit l’ascendant et promut une collaboration encore plus active avec les Allemands qui le soutenaient, tandis que Pétain n’exerçait plus qu’un rôle symbolique.

Alors que la défaite de l’Allemagne nazie devenait prévisible, le régime de Vichy lia son sort à celui du régime nazi et prit une orientation plus fasciste. Plus la défaite se rapprochait et plus le régime de Vichy liait son destin à celui de l'Allemagne nazie. Cette fascisation fut marquée le 1er janvier 1944 par l’entrée au gouvernement de Joseph Darnand, le chef de la Milice (qui tendait à devenir le parti unique contrôlant toute la population) et officier de la Waffen SS, en tant que secrétaire général au Maintien de l’ordre, de Philippe Henriot son porte-parole, à l’Information puis, en mars 1944, de Marcel Déat, en tant que Secrétaire d’État au travail.


2.2.2. La Révolution nationale

Le programme de la Révolution nationale portée par le régime de Vichy était résumé par le slogan « Travail, Famille, Patrie » qui remplaçait la devise « liberté, égalité, fraternité ». Ce slogan était celui des Croix-de-feu, mouvement politique anti-républicain des années 1930. Le programme de Vichy visait la « régénération morale » de la France par un retour aux valeurs défendues par l’extrême-droite hostile aux idées des Lumière et à la Révolution française. Rappelons que la défaite de l’armée française était imputée par les dirigeants de Vichy à la décadence de la société française depuis la Révolution française qui avait développé l’individualisme, le refus des hiérarchies, l’égalité. Cette décadence avait été accélérée, selon eux, par le complot de « l’anti-France » (expression de Maurras), à savoir les juifs, les communistes et les francs-maçons. Ces derniers auraient donné toute la mesure de leur nocivité lors de l’épisode du Front Populaire, gouvernement dirigé par Léon Blum et soutenu par les communistes, qui mit en place des mesures sociales (congés payés, semaine de 40 heures, conventions collectives dans les entreprises) qui auraient favorisé la paresse des ouvriers et affaibli la France en empêchant notamment son réarmement (or, on sait que c’est justement le Front populaire qui remit en ordre de marche les industries d’armement françaises). La défaite de l’armée française présentait donc l’occasion de refonder la société sur les valeurs traditionnelles et catholiques du sacrifice, de la souffrance et de la rédemption à venir. Présentée ainsi, l’idéologie du régime de Vichy était très proche du courant politique légitimiste (orientation monarchiste, refus des Droits humains et de la démocratie, catholicisme traditionaliste) tel qu’il a été défini par l’historien René Rémond.

Tous ces éléments figuraient déjà dans le discours programmatique prononcé par le maréchal Pétain, le 25 juin 1940. Ce discours exprime un corps de doctrine déjà très élaboré et puisant aux sources des thèmes de l’extrême-droite française.


Document : Appel radiodiffusé du maréchal Pétain (25 juin 1940)

(…) L’armistice est conclu. Le combat a pris fin.

En ce jour de deuil national, ma pensée va à tous les morts, à tous ceux que la guerre a meurtris dans leur chair et dans leurs affections. Leur sacrifice a maintenu haut et pur le drapeau de la France. Ils demeurent dans nos mémoires et dans nos cœurs.

Les conditions auxquelles nous avons dû souscrire sont sévères.

Une grande partie de notre territoire va être temporairement occupée. Dans tout le Nord, et dans l’Ouest de notre pays, depuis le lac de Genève jusqu’à Tours, puis le long de la côte, de Tours aux Pyrénées, l’Allemagne tiendra garnison. Nos armées devront être démobilisées, notre matériel remis à l’adversaire, nos fortifications rasées, notre flotte désarmée dans nos ports. En Méditerranée, des bases navales seront démilitarisées. Du moins l’honneur est-il sauf. Nul ne fera usage de nos avions et de notre flotte. Nous gardons les unités terrestres et navales nécessaires au maintien de l’ordre dans la métropole et dans nos colonies. Le gouvernement reste libre, la France ne sera administrée que par des Français (…).

C'est vers l’avenir que, désormais, nous devons tourner nos efforts. Un ordre nouveau commence. Vous serez bientôt rendus à vos foyers. Certains auront à le reconstruire. Vous avez souffert. Vous souffrirez encore. Beaucoup d'entre vous ne retrouveront pas leur métier ou leur maison. Votre vie sera dure. Ce n’est pas moi qui vous bernerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal.

La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c'est une portion de la France qui meurt. Une jachère de nouveau emblavée, c'est une portion de la France qui renaît.

N'espérez pas trop de l’État. Il ne peut donner que ce qu'il reçoit. Comptez, pour le présent, sur vous-même et, pour l'avenir, sur les enfants que vous aurez élevés dans le sentiment du devoir. Nous avons à restaurer la France. Montrez-le au monde qui l'observe, à l'adversaire qui l'occupe, dans tout son calme, tout son labeur et toute sa dignité.

Notre défaite est venue de nos relâchements. L'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de sacrifice a édifié. C'est à un redressement intellectuel et moral que, d'abord, je vous convie. Français, vous l'accomplirez et vous verrez, je vous le jure, une France neuve surgir de notre ferveur.



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Document : Image de propagande du régime de Vichy. Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/ed/Imagerie_de_la_R%C3%A9volution_nationale.jpg/414px-Imagerie_de_la_R%C3%A9volution_nationale.jpg?20181031202958



Examinons la signification politique de la devise "travail, famille, patrie".

Le travail était tout d’abord exalté par le régime. Une mesure symbolique fut de déclarer jour férié le 1er mai et de lui enlever son caractère syndical et revendicatif. Le travail mis en valeur était celui d’une société traditionnelle, celui de l’agriculture et de l’artisanat. Le régime se méfiait évidemment des ouvriers qui votaient pour la SFIO ou le PCF et qui avaient fait grève en 1936. L’un des slogans du régime était une phrase prononcée par Pétain le 25 juin 1940 : « La terre, elle, ne ment pas ». Par hostilité aux organisations traditionnelles considérées comme des facteurs de division de la société, les partis et les syndicats (ouvriers et patronaux) furent interdits dès 1940. Ainsi que la grève, considérées comme un instrument de division de la société. Le 4 octobre 1941 fut promulguée une Charte du travail qui visait le regroupement des employeurs, des cadres, des employés et des ouvriers dans un ensemble de vingt-neuf corporations, une pour chaque grande branche d’activité économique. L’objectif était de créer des rapports harmonieux entre tous les acteurs de l’économie réunis dans ces corporations, pour mettre fin à la lutte des classes. Cette charte eut un grand retentissement à l’époque car elle était considérée comme un outil puissant de réorganisation de la société qui serait ainsi débarrassée des conflits sociaux et politiques.

En même temps, pour des raisons d’efficacité économique, des Comités d’organisation avaient été créés dès le 16 août 1940 pour remettre en route l’industrie désorganisée par la guerre, pour la restructurer, pour gérer au mieux son approvisionnement et pour répondre au mieux aux commandes de l’armée allemande. Ces comités d’organisation étaient des organismes semi-publics pilotés par le ministre du Travail René Belin, un transfuge de la CGT, et des représentants du grand patronat. Ces mesures contribuèrent en fait à moderniser certains secteurs de l’industrie sous l’autorité des grands industriels alors que la grève était interdite aux ouvriers. Les rapports harmonieux entre le capital et le travail ne restèrent que du domaine de la propagande. Enfin, le thème du travail fut également un argument pour enrégimenter les jeunes hommes. Les chantiers de jeunesse devinrent obligatoires en 1941 pour tous les jeunes hommes de vingt ans, en remplacement du service militaire. Ils effectuaient des travaux agricoles dans des camps en plein air, loin de l'atmosphère corruptrice des villes.


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Document : image de propagande exaltant la vie rurale extraite de l’Imagerie du Maréchal, 1942. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:La-terre-elle-ne-ment-pas-marechal-petain.jpg


La famille était également une valeur traditionnelle défendue par Vichy. La fête des mères, pratique déjà existante mais peu suivie jusque-là, fut instituée pour valoriser le rôle de la mère de famille qui restait au foyer pour s’occuper de ses enfants. Des mesures financières furent décidées pour inciter les femmes à avoir plus d’enfants. Cependant, en l’absence des maris souvent prisonniers de guerre en Allemagne, les mesures natalistes eurent peu d’effets puisque les femmes devaient travailler pour subvenir aux besoins de leur famille. Cependant, à partir de 1942, les femmes ne pouvaient plus être recrutées dans la fonction publique, mesure destinée à les ramener dans leur foyer. Le divorce fut interdit durant les trois premières années du mariage, l'homosexualité et l'adultère (surtout concernant les femmes de prisonniers de guerre) furent criminalisés ainsi que l’avortement. Il devint en 1942 un « crime contre la société, l’État et la race ». Deux personnes furent guillotinées pour avoir permis des avortements. Toutes ces mesures visaient à réduire les femmes à un rôle de mère dominée.

Le régime de Vichy se préoccupa également de l’école, sans y apporter de grands changements. Il favorisa l’enseignement privé catholique. Il supprima surtout les Écoles normales d’instituteurs et d’institutrices considérées comme les vecteurs d’une idéologie républicaine néfaste.



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Affiche pour la fête des mères, mai 1943. Source : Catalogue de l’exposition La propagande sous Vichy, BDIC, 1990, p. 23.


Dans la même logique une logique moralisatrice imprégnait la propagande en direction des enfants et des élèves, leur assignant des rôles sociaux bien déterminés.


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Affiche de P. Prudhon, 1944. Source : Catalogue de l’exposition La propagande sous Vichy, BDIC, 1990, p. 23.




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Affiche de Bernard Aldebert, 1943. Source : Catalogue de l’exposition La propagande sous Vichy, BDIC, 1990, p. 151.


Enfin, la patrie était centrale pour le régime de Vichy. La patrie n’était pas assimilée à la communauté nationale, selon la conception héritée de 1789, car elle devait être enracinée dans le sol. En conséquence, un « vrai Français » ne pouvait être que né sur le sol français. La patrie s’incarnait également dans la personne du maréchal Pétain, lui-même fils de paysans, comme l’indique l’affiche ci-dessous, très largement diffusée. Cette dimension nationaliste s’illustra essentiellement par la chasse aux éléments de « l’anti-France » qui pervertissaient la patrie (Juifs, communistes, francs-maçons), dont nous aborderons la persécution plus loin.


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Document : Affiche en couleurs, 1943. Source: https://museedelaresistanceenligne.org/media6476-Affiche-de-propagande-Etes-vous-plus-Franais-que-lui#zoom-tab


2.3. La collaboration

2.3.1. La mise en place de la collaboration

Le régime de Vichy s’est également discrédité par sa politique de collaboration avec l’Allemagne nazie. Comme nous l’avons vu plus haut, la défaite de l’armée française permit aux individus se réclamant de l’idéologie de la Révolution nationale de régler leurs comptes avec ce qu’ils nommaient « l’anti-France ». Mais cette orientation politique doit être envisagée dans le contexte plus général de la défaite de l’armée française et de la construction de l’Europe allemande.

Les Allemands ne furent pas demandeurs de la collaboration des Français. Leur priorité était d’assurer la sécurité des troupes d’occupation allemandes en France, de maintenir l’ordre public, de piller l’économie française au service de la machine de guerre allemande, et de mettre en place l’exclusion des Juifs. Selon les Allemands, la gestion de la zone occupée aurait très bien pu être menée dans sa totalité par le Commandement militaire en France (Militarbefehlshaber in Frankreich, MBF) dont dépendaient les feldkommandantur installées dans chaque chef-lieu de département de la zone occupée. Le MBF, l'administration militaire en zone occupée, puis sur l'ensemble du territoire à partir de la fin 1941, avait tous les pouvoirs et exerça la mainmise sur l'économie française. Mais le pouvoir de police lui était contesté par le Sipo-SD, service de la SS dirigé par Heydrich et regroupant la police de sureté (Sipo, dont faisait partie la Gestapo, police secrète d'Etat) et le service de sécurité, le service secret de la SS (SD). Le texte ci-dessous signale la faible estime que le maréchal Goering portait à la politique de collaboration de la France.


Document : Goering et la collaboration de la France

En ce qui concerne la France, j’affirme que sa terre n’est pas encore cultivée au maximum. La France pourrait avoir un rendement agricole bien différent si messieurs les paysans étaient contraints de travailler davantage. D’autre part, la population française s’empiffre de nourriture que c’en est une honte. J’ai vu des villages où ils ont défilé avec leurs longs pains blancs sous le bras. Dans les petits villages, j’ai vu des oranges à pleins paniers, des dattes fraîches d’Afrique du Nord. Hier, quelqu’un a dit : « C’est vrai. La nourriture normale de ces gens s’obtient par le marché noir et le troc, la carte n’est qu’un appoint pour ces gens. » C’est là le secret pourquoi les gens sont si gais en France. Sans cela, ils ne le seraient pas… Il n’est pas question ici du seul ravitaillement, mais je m’époumone pour affirmer que je considère, au fond, toute la France occupée par nous comme pays conquis. Il me semble qu’autrefois la chose était plus simple. Autrefois, on pillait. Celui qui avait conquis le pays disposait des richesses de ce pays. À présent, les choses se font de façon plus humaine. Quant à moi, je songe tout de même à piller et rondement… La Collaboration, c’est seulement M. Abetz qui en fait, moi pas. La collaboration de messieurs les Français, je la vois seulement de la façon suivante. Qu’ils livrent tout ce qu’ils peuvent jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus ; s’ils le font volontairement, je dirai que je collabore ; s’ils bouffent tout eux-mêmes, alors ils ne collaborent pas. Il faut que les Français s’en rendent compte… Dites aux usines qui ne livrent pas qu’elles n’auront plus rien à se mettre sous la dent. Je leur enverrai des vieilles selles de cosaques. Les Russes en ont bien bouffé.

Compte rendu de la Conférence du Reichsmarschall Goering avec les commissaires du Reich pour les territoires occupés et les commandants militaires sur la situation alimentaire (6 août 1942)

Source : https://clio-texte.clionautes.org/collaboration-france-vue-par-goering.html


La collaboration était souhaitée par des individus qui se situaient dans deux mouvances qu’il est souvent difficile de distinguer. D’un côté, un certain nombre d’individus tels que Jacques Doriot (dirigeant du parti fasciste le Parti du Peuple Français, le PPF, 30 000 membres), Marcel Déat (dirigeant du parti fasciste le Rassemblement National populaire, le RNP, 20 000 membres), Alphonse de Chateaubriand (dirigeant du groupe Collaboration, 43 000 membres) et des hommes de lettres tels que Robert Brasillach, Pierre Drieu La Rochelle, Louis-Ferdinand Céline, Lucien Rebatet, étaient appelés les « collaborationnistes » (terme inventé par Déat dans un éditorial de L’Œuvre le 4 novembre 1940). Ils souhaitaient collaborer avec l’Allemagne nazie par adhésion à son idéologie. Ils s’exprimaient dans la presse collaborationniste dont le titre hebdomadaire le plus connu, et le plus répugnant, était Je suis partout. Les collaborationnistes soutenaient Pétain au départ puis s’en démarquèrent progressivement. C’est pourquoi ils quittèrent Vichy pour Paris afin de se rapprocher des autorités d’occupation et de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, Otto Abetz, qui les finançait. Ils souhaitaient surtout mener la collaboration beaucoup plus loin que ne le faisait le régime de Vichy.

Parmi ces individus, il est utile de citer les membres du Parti national breton, fondé à Guingamp en 1931. Dès 1934, ce parti adhéra aux idées autoritaires, racistes et antisémites de l’extrême-droite française. Il fut interdit après l'entrée en guerre car il défendait une entente avec l’Allemagne nazie. Le PNB se reconstitua à l’automne 1940, mais les Allemands interdirent à leurs militants de militer pour l’autonomie de la Bretagne, ce qui aurait pu remettre en cause l’autorité du régime de Vichy. Le PNB, fort de 2 000 à 3 000 militants, se structura et se dota d’une organisation de jeunes en uniforme, les Bagadou Stourm (« groupes de combats »), dotés d’uniforme noir avec des brassards portant un triskell à la place de la croix gammée, faisant le salut nazi et arborant le Gwen ha du. Si certains militants rejoignirent ensuite la Résistance, les dirigeants du PNB, tels Olier Mordrel et Alan Heussaf s’engagèrent délibérément dans la collaboration. Une soixantaine de militants s’enrôlèrent dans le Bezen Perrot, organisation portant l’uniforme SS et participant aux côtés de l’armée allemande à la lutte contre les maquis implantés en Bretagne. Certains infiltraient les mouvements de Résistance afin de les dénoncer. A la Libération, plusieurs militants furent condamnés à la dégradation nationale, une vingtaine de dirigeants du PNB furent condamnés à mort pour des faits de collaboration. Ceux qui avaient été condamnés par contumace s’étaient enfuis en Irlande. Inutile de préciser que les militants autonomistes bretons furent durablement discrédités par leurs accointances avec le nazisme durant l’Occupation.

D’un autre côté, les dirigeants du régime de Vichy avaient fait l’analyse suivante : l’Allemagne allait gagner la guerre, la collaboration garantirait à la France une place de choix dans la future Europe allemande et nazie. Le 24 octobre 1940, le maréchal Pétain rencontra Hitler à la gare de Montoire, alors que ce dernier revenait en train d’Espagne où il avait tenté, en vain, de convaincre Franco de s’engager dans la guerre à ses côtés. A l’occasion de la fameuse « poignée de main de Montoire », Pétain proposa la collaboration de la France à Hitler, ce que l’on nomme la collaboration d’État et que Pétain exposa dans un discours radiodiffusé le 30 octobre 1940. Il présenta la collaboration comme le moyen d’atténuer les effets de l’occupation allemande et d’accélérer le retour en France des prisonniers de guerre. Nous verrons que la collaboration eut en réalité l’effet inverse.


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Document : la poignée de main entre Philippe Pétain et Adolf Hitler, à Montoire, le 24 octobre 1940.Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Petain_Hitler.jpg

Voir aussi : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/24-octobre-1940-la-poignee-de-main-entre-petain-et-hitler


Document : Le discours radiodiffusé du maréchal Pétain annonçant la collaboration, le 30 octobre 1940

Français, j'ai rencontré, jeudi dernier, le chancelier du Reich. Cette rencontre a suscité des espérances et provoqué des inquiétudes. Je vous dois à ce sujet quelques explications. Une telle entrevue n'a été possible, quatre mois après la défaite de nos armes, que grâce à la dignité des Français devant l'épreuve, grâce à l'immense effort de régénération, auquel ils se sont prêtés, grâce aussi à l’héroïsme de nos marins, à l'énergie de nos chefs coloniaux, au loyalisme de nos populations indigènes. La France s'est ressaisie. Cette première rencontre, entre le vainqueur et le vaincu, marque le premier redressement de notre pays. C'est librement que je me suis rendu à l'invitation du Führer. Je n'ai subi, de sa part, aucun "diktat", aucune pression.

Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays. J'en ai accepté le principe. Les modalités en seront discutées ultérieurement. A tous ceux qui attendent aujourd'hui le salut de la France, je tiens à dire que ce salut est d'abord entre nos mains. A tous ceux que de nobles scrupules tiendraient éloignés de notre pensée, je tiens à dire que le premier devoir de tout Français est d'avoir confiance. A ceux qui doutent comme à ceux qui s'obstinent, je rappellerai qu'en se raidissant à l'excès, les plus belles attitudes de réserve et de fierté risquent de perdre de leur force. Celui qui a pris en main les destinées de la France a le devoir de créer l'atmosphère la plus favorable à la sauvegarde des intérêts du pays.

C'est dans l'honneur et pour maintenir l'unité française, une unité de dix siècles dans le cadre d'une activité constructive du nouvel ordre européen, que j'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration. Ainsi, dans un avenir prochain, pourrait être allégé le poids des souffrances de notre pays, amélioré le sort de nos prisonniers, atténuée la charge des frais d'occupation. Ainsi pourrait être assouplie la ligne de démarcation et facilités l'administration et le ravitaillement du territoire. Cette collaboration doit être sincère. Elle doit être exclusive de toute pensée d'agression. Elle doit comporter un effort patient et confiant. L'armistice, au demeurant, n'est pas la paix. La France est tenue par des obligations nombreuses vis-à-vis du vainqueur. Du moins reste-t-elle souveraine. Cette souveraineté lui impose de défendre son sol, d'éteindre les divergences de l'opinion, de réduire les dissidences de ses colonies. Cette politique est la mienne. Les ministres ne sont responsables que devant moi. C'est moi seul que l'histoire jugera. Je vous ai tenu jusqu'ici le langage d'un père. Je vous tiens aujourd'hui le langage du chef. Suivez-moi. Gardez votre confiance en la France éternelle.


Source : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/30-octobre-1940-petain-annonce-l-entree-dans-la-collaboration


Cette orientation fut également défendue par Laval, redevenu chef du gouvernement le 18 avril 1942. Il estimait que la collaboration, et notamment, au départ, l'envoi de travailleurs français en Allemagne pour participer à son effort de guerre, permettrait de ménager une place favorable à la France dans la future Europe nazie. Il pensait que l'Allemagne nazie gagnerait la guerre et prononça dans le discours suivant, la phrase fatidique qui lui fut beaucoup reprochée : "Je souhaite la victoire de l'Allemagne".


Document : Allocution radiodiffusée de Pierre Laval, chef du gouvernement de la France de Vichy, le 22 juin 1942 (extraits)

(…) Ma présence au gouvernement a une signification qui n’échappe à personne , ni en France ni à l’étranger. J’ai la volonté de rétablir avec l’Allemagne et avec l’Italie des relations normales et confiantes.

De cette guerre surgira inévitablement une nouvelle Europe.

On parle souvent d’Europe, c’est un mot auquel, en France, on n’est pas encore très habitué. On aime son pays parce qu’on aime son village. Pour moi, Français, je voudrais que demain nous puissions aimer une Europe dans laquelle la France aura une place qui sera digne d’elle. Pour construire cette Europe, l’Allemagne est en train de livrer des combats gigantesques. Elle doit, avec d’autres, consentir d’immenses sacrifices. Et elle ne ménage pas le sang de sa jeunesse. Pour la jeter dans la bataille, elle va la chercher à l’usine et aux champs. Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parce que, sans elle, le bolchevisme demain, s’installerait partout.

Ainsi donc, comme je vous le disais le avril dernier, nous voilà placés devant cette alternative : ou bien nous intégrer, notre honneur et nos intérêts vitaux étant respectés, dans une Europe nouvelle et pacifiée, ou bien nous résigner à voir disparaître notre civilisation (…).


Source : O. Wieviorka et C. Prochasson (1994). La France du XXe siècle. Documents d’histoire. Nouvelle histoire de la France contemporaine n°20. Seuil, Points, p. 382-383

2.3.2. Les domaines de la collaboration

Cette collaboration d’État, menée par le régime de Vichy, se manifesta dans trois domaines.

Un premier domaine était celui de la collaboration économique. Les clauses de l’armistice avaient fixé le versement de frais d’occupation au montant très élevé : 400 millions de francs par jour, puis 500 millions après l’invasion de la zone non-occupée par l’armée allemande, le 10 novembre 1942, soit 36 % du revenu national. De nombreuses entreprises se mirent également au service de la machine de guerre allemande, telles que Renault (automobiles), Berliet (camions) ou Gnôme et Rhône (moteurs d’avions) qui furent confisquées et nationalisées à la Libération. Les entreprises de travaux publics profitèrent également de la construction du Mur de l'Atlantique.


Document : Montant des frais d’occupation

payés par la France à l’Allemagne

1940 : 80 millions de francs

1941 : 121,5 milliards de francs

1942 : 109 milliards de francs

1943 : 194 milliards de francs

1944 : 126 milliards de francs

Total : 630,5 milliards de francs


Source : Durand (1989). La France dans la deuxième guerre mondiale. Cursus, p. 65


Les historien·nes ont montré que la collaboration n’avait pas du tout protégé la population française contre les prélèvements opérés par l’armée d’occupation. Ce fut plutôt le contraire. Le tableau ci-dessous montre que les rations alimentaires disponibles furent toujours inférieures en France aux rations disponibles en Belgique et aux Pays-Bas, deux pays sous administration directe de l’armée allemande.


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Dans le cadre de la collaboration économique, le régime de Vichy contribua également au recrutement de la main d’œuvre dont avait besoin l’industrie d’armement allemande. Fritz Saukel, le responsable des services de la main-d’œuvre du Reich, exigea en 1942 l’envoi de 250 000 travailleurs français en Allemagne. Pour le satisfaire, le gouvernement organisa tout d’abord la « relève » en 1942 : l’engagement de trois ouvriers français volontaires partant travailler en l’Allemagne permettrait la libération d’un prisonnier de guerre. Cette mesure eut peu d’effets car rares furent les personnes qui crurent à cette fable. (Le petit frère, célibataire, de mon grand-père, père de famille et prisonnier de guerre en Allemagne, y crut. Il partit dans la "relève" en 1942 dans l'espoir de faire libérer mon grand-père, qui fut libéré... en 1945, par les Américains). Pour répondre davantage aux besoins de l’industrie allemande en main-d’œuvre, le 4 septembre 1942, le gouvernement de Vichy adopta une loi instituant le Service du travail obligatoire (STO) réquisitionnant sur la base du volontariat les hommes âgés de 18 à 50 ans et les femmes âgées de 21 à 35 ans. Cette mesure permit le départ de près de 200 000 volontaires (qui durent se justifier lors de leur retour à la fin de la guerre), ce qui se révéla toujours insuffisant. Le 17 février 1943, une nouvelle loi sur le STO prévoyait la mobilisation obligatoire de tous les jeunes hommes nés en 1920, 1921 et 1922. Des rafles dans la rue ou à la sortie des salles de spectacle contraignirent un certain nombre de jeunes hommes à partir contre leur gré en Allemagne. La déportation du travail touchait désormais tous les secteurs de la société et elle contribua à la désaffection définitive de l’opinion publique à l’égard du régime de Vichy. Mais cette mesure eut surtout pour effet de conduire les nombreux « réfractaires du STO » dans la clandestinité et, pour certains, dans les maquis de la résistance au début de 1944.

La collaboration fut également militaire. Elle fut initiée par l’amiral Darlan, président du Conseil de février 1941 à avril 1942. En mai 1941, le gouvernement de Vichy mit les bases françaises en Syrie à la disposition de l’armée allemande qui en avait besoin pour combattre les Britanniques au Proche-Orient. Mais il hésita à s’engager davantage sur cette voie car il ne souhaitait pas engager la France dans une nouvelle guerre. Les collaborationnistes parisiens favorisèrent de leur côté le développement de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) fondée en juillet 1941 et qui participa, sous uniforme allemand, à la guerre sur le front russe. La LVF recruta des volontaires essentiellement au sein du Parti populaire français (PPF) de Doriot et du Rassemblement national populaire (RNP) de Déat. D’ailleurs, Doriot passa plusieurs mois sur le front russe sous l’uniforme allemand en 1943-1944. Il semblerait que les Allemands se seraient volontiers passé de cette contribution. A la fin de 1944, en raison de leurs pertes militaires, les Allemands versèrent directement les survivants de la LVF et de la Milice, soit environ 2 500 Français, dans la Waffen SS (Brigade Frankreich composante de la division Charlemagne). La division Charlemagne est tristement célèbre pour avoir défendu Berlin jusqu'au dernier moment.


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Document : Affiche de la LVF, anonyme. Musée Carnavalet. Source : https://www.parismuseescollections.paris.fr/en/node/152898

Un document d’actualité de l’époque sur la LVF : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe86001438/le-premier-contingent-de-la-lvf


La collaboration fut enfin policière. Elle fut lancée par Pierre Laval, président du Conseil d’avril 1942 à la Libération. La figure majeure de cette collaboration fut René Bousquet, secrétaire général à la police du gouvernement de Vichy à partir de 1942. La collaboration policière lui permit d’obtenir auprès des Allemands une autorité sur l’ensemble du territoire français ainsi qu’une relative autonomie. La police français joua un rôle essentiel dans les rafles de juifs de l’été 1942. Ensuite, elle prit largement part à la traque des résistants. L’efficacité de Bousquet rendit un grand service aux autorités d’occupation. La chasse aux résistants fut également dévolue à la Milice française, créée par Laval le 5 janvier 1943. La Milice, dirigée par Joseph Darnand, lui-même officier dans la Waffen SS, sévissait au départ en zone sud. Cette force armée de 15 000 hommes environ, dotée d’un uniforme spécifique et armée par les Allemands, joua un rôle important dans la chasse aux juifs et surtout dans la chasse aux résistants aux côté des forces de répression allemandes. Les miliciens pratiquaient le pillage des biens juifs, les exécutions sommaires et la torture. En 1944, ils s’engagèrent militairement contre les maquis de la résistance aux côtés de l’armée allemande. Certains miliciens étaient de jeunes égarés mais un grand nombre d’entre eux s’étaient engagés par adhésion à l’idéologie nazie, tels Darnand, Henriot ou Touvier. L'objectif de Darnand était de faire évoluer la Milice dans le sens d'un mouvement fasciste de masse, antisémite, anti-communiste, anti-républicain. Fortement haïs par l’ensemble de la population, un grand nombre de miliciens qui n'avaient su fuir au bon moment furent fusillés sans procès lors des combats de la Libération.


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Document : Arrestation de résistants par les hommes de la Milice, juillet 1944 (photographie allemande). Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bundesarchiv_Bild_146-1989-107-24,_Frankreich,_Einsatz_gegen_die_Resistance.jpg


L’interprétation historique de la Collaboration fit longtemps l’objet de débats. Après la guerre fut ébauché la fiction du glaive et du bouclier. De Gaulle aurait tenu le glaive pour combattre l’occupation allemande tandis que Pétain aurait tenu le bouclier qui protégeait la population française contre les exactions nazies (voir son discours du 30 octobre 1940, plus haut). Sans lui, affirmait-on, l’Occupation aurait eu des effets encore plus négatifs pour la population. De fait, l’historien américain Robert Paxton a montré dans son ouvrage La France de Vichy paru en 1973, que le régime de Vichy avait collaboré de son plein gré, par affinité politique avec le régime nazi, et pas du tout sous la contrainte. D’autres historiens ont montré ensuite que les prélèvements allemands sur l’économie française ont été largement favorisés et aggravés par le régime de Vichy (voir plus haut).


Encadré : les ambiguïtés des artistes français durant l’Occupation

Durant l’Occupation, les artistes français continuèrent à travailler pour gagner leur vie, à l'exception des artistes et techniciens juifs qui furent licenciés. Le cinéma français était alors contrôlé par la société allemande Continental, filiale de la UFA créée par Goebbels. La censure des films était très stricte. Et le public des théâtres parisiens était souvent vêtu de l’uniforme allemand. Quelques artistes s’affichèrent avec des officiers allemands. La grande comédienne Arletty fut un temps emprisonnée à la Libération pour cette raison. Aux FFI qui la molestaient alors, elle aurait répondu : « Mon cœur est français et mon cul est international ». Des artistes se produisirent en Allemagne (Maurice Chevalier, Edith Piaf) ou y réalisèrent une tournée promotionnelle en 1942 pour le compte de la Continental (Danielle Darrieux, Suzy Delair, Viviane Romance). A la Libération, certain·es artistes connurent quelques problèmes. Maurice Chevalier partit faire une longue tournée aux États-Unis pour se faire oublier un peu.

A l’inverse, Michèle Morgan et Jean Gabin quittèrent la France pour Hollywood en 1941 à la fin du tournage du film Remorques, tourné en partie à Brest par Jean Grémillon. Jean Gabin y rencontra Marlène Dietrich puis s’engagea dans les FFL et revint en France en tant que chef de char dans la 2e division blindée du général Leclerc. Deux grandes figures s’engagèrent délibérément dans la résistance intérieure : le cinéaste Jean-Paul Le Chanois, proche du parti communiste, et Joséphine Baker. A son sujet, voir : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/josephine-baker-resistante-de-la-seconde-guerre-mondiale

Deux très grands films furent cependant tournés durant cette période. Les Enfants du paradis de Marcel Carné sur un scénario de Jacques Prévert, où jouait également Arletty incarnant un superbe personnage féminin épris de la liberté. Le corbeau d'Henri-Georges Clouzot dénonçant la délation qui avait court durant l'Occupation. Il fut accusé à la Libération d'avoir présenté une mauvaise image des Français et fut frappé d'interdiction professionnelle durant deux ans.

2.3.3. La désaffection de la population à l’égard du régime de Vichy

Proportionnellement à la totalité de la population, très peu de Français s'engagèrent dans la collaboration. La majorité s’efforçait de surmonter les difficultés de l’existence quotidienne. en effet, l’ampleur des prélèvements allemands produisit une pénurie de biens de consommations et surtout de nourriture. Dès l'automne 1940, un rationnement fut mis en place : les mairies distribuaient des tickets donnant droit à l’achat de certaines quantités (toujours insuffisantes) de pain, de lait, de viande, de vin, de vêtements, de charbon, etc. Les quantités autorisées différaient selon les catégories : enfants, adultes, travailleurs de force, etc. Malgré cela, il était nécessaire de faire la queue pendant des heures devant les boulangeries et les épiceries avant leur ouverture pour être en bonne place dans la file et pour être certain de pouvoir acheter des produits en nombre et en volume toujours insuffisants. Il reste peu de traces de ces tickets de rationnement qui ont été utilisés dans leur totalité pour se nourrir (chichement). Les tickets encore accessibles sont les tickets distribués au début de l’année 1949, et qui n’ont pas été utilisés, car la reprise de la production agricole avait permis la levée du rationnement cette année-là.


Les catégories des tickets de rationnement

E : enfants de moins de trois ans

J1 : enfants de 3 à 5 ans

J2 : Enfants de 6 à 13 ans

J3 : Adolescents de 14 à 21 ans

A : Adultes de 21 à 70 ans

T : Travailleurs de force (supplément de viande et de vin)

C : Cultivateurs

V : vieux (plus de 70 ans) (rations réduites)


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Document : Organisation de la distribution des tickets de rationnement par la mairie de Brest. La dépêche de Brest, 25 octobre 1940. Source : La Dépêche de Brest : journal politique et maritime ["puis" journal de l'Union républicaine "puis" journal républicain quotidien "puis" quotidien républicain du matin]... | 1940-10-30 | Yroise












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Document : Trois carnet de tickets de rationnement de pain pour un adulte (A), un jeune (J) et un enfant (E). Ces carnets ont été émis en janvier 1949 et conservés par la famille car le rationnement du pain venait d’être levé. Pour avoir le droit d’acheter une certaine quantité de pain, il fallait détacher un coupon et le donner au boulanger qui transférait ensuite les coupons de sa clientèle à la mairie, pour contrôle. (Coll. Part.)


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Document : Carnet de tickets pour l’achat de chaussures et d’articles textiles pour un adulte (A), émis en 1946. (Coll. Part.)


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Document : Carnet de tickets de rationnement pour le lait pour un adulte (A) émis en avril 1949 et pas utilisé à la faveur de la levée du rationnement à cette date. (Coll. Part.).


En 1942, les rations fournies par les tickets de rationnement furent réduites à 1 100 calories par jour dans les grandes villes. Pour compenser cette faible quantité de nourriture accessible avec les tickets de rationnement, la population était contrainte de recourir au marché noir où les produits étaient davantage disponibles mais à des prix exorbitants. Ces restrictions alimentaires (qui durèrent en France jusqu’en 1949) eurent des effets notables sur l’état de santé des populations et surtout des jeunes enfants.

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La France se trouvait dans la moyenne basse des pays d'Europe occidentale. Mais il convient de rappeler que les tickets de rationnement fournissaient 600 calories par jour aux Polonais et 148 aux juifs du ghetto de Varsovie.

La population était sujette à des contrôles d’identité incessants. En effet, la loi du 27 octobre 1940 avait rendu obligatoire la carte d’identité pour tous les Français. En 1941, fut créé le Service national de la statistique qui commença à établir un fichier concernant les données de tous les français (avec une identification spécifique des juifs) à l’aide d’un numéro d’identification à treize chiffres, à l’origine de notre numéro de sécurité sociale.

D’autre part, la population eut à subir les bombardements britanniques et américains qui visaient les nœuds de communications et les installations industrielles. Mais les bombes tombaient bien souvent à côté, sur les quartiers d’habitations car les bombardiers lâchaient leurs bombes depuis la haute altitude, afin d’échapper aux canons de la DCA allemande. Les familles prirent l’habitude de passer des heures et des nuits entières dans les abris aménagés dans les caves des immeubles. Par exemple, les 16 et 23 septembre 1943, en pleine journée, les bombardements américains qui visaient des navires allemands amarrés dans le port de Nantes touchèrent en réalité le centre de Nantes et firent au total 1 463 victimes civiles.

Les difficultés de la vie quotidienne, la crainte des bombardements, la séparation des famille d’avec les hommes adultes maintenus en captivité en Allemagne, le spectacle des rafles et des arrestations, la présence de l’armée allemande d’occupation firent de ces années une période particulièrement sombre et difficile pour l’ensemble de la population. Bien entendu, cela ne peut pas être comparé au destin des juifs durant l’Occupation.


2.4. La persécution des juifs et des Tsiganes

2.4.1 L’application des idées de l’extrême-droite et de la politique de la collaboration

Il convient de lire le post sur les génocides pour intégrer ce point dans un contexte européen plus large et pour le relier à la politique nazie d’extermination.

Selon les autrices et les auteurs, le mot "juif" est écrit ou non avec une majuscule. La majuscule sert à désigner un peuple (par exemple les Tziganes), comme on le voit dans les documents produits par le régime de Vichy qui considérait les juifs comme un peuple étranger. Comme le terme "juif" sert à désigner les personnes pratiquant la religion juive, on a préféré ici utiliser une minuscule, à tort ou à raison.

Le régime de Vichy, sous l’impulsion de l’occupant nazi, mais également de sa propre initiative, mena une politique de persécutions contre les juifs. Comme ce fut le cas également au Danemark, aux Pays-Bas, en Belgique et en Italie, cette politique ne visa pas immédiatement l’anéantissement total des communautés juives observé en Europe de l’Est. Sur 330 000 personnes considérées comme juives et vivant en France, 76 000 environ furent déportées, bilan proportionnellement l’un des plus faibles d’Europe. Mais ce bilan aurait pu être encore moins élevé sans l’aide apportée par le régime de Vichy à la politique d’extermination des nazis. Cette politique antisémite était voulue par les Allemands et elle correspondait également à l’idéologie de l’extrême-droite française qui s’était notamment manifestée lors de l’Affaire Dreyfus et qui avait été exprimée par les ligues d’extrême-droite au cours des années 1930.

Au passage, il convient de rappeler que les discriminations, aux conséquences moins dramatiques que celles qui touchèrent les juifs, s’appliquèrent également à d’autres populations. Comme nous le verrons plus loin, les Tsiganes furent internés dans des camps durant toute la durée de la guerre, mais la plupart échappèrent à la déportation. Les personnes d’origine africaine subirent également des discriminations, comme l’indique le document ci-dessous :


Document : L’exclusion des noirs de la première classe du métro parisien


A afficher : Chemin de fer métropolitain de Paris

Service du mouvement

Note aux gares et stations

Réseaux urbains et ligne de Sceaux

Dorénavant, les personnes de race noire ne seront plus admises à voyager en 1ère classe. En conséquence, les receveurs ne devront pas vendre de billets de 1ère classe à ces voyageurs. Les surveillants de contrôle devront aviser ceux qui seraient porteurs de billet de 1ère classe qu’ils ne pourront en faire usage.

Les gardiens ou contrôleurs qui en trouveraient en 1ère classe devront les inviter poliment à monter dans une voiture de 2ème classe à la prochaine station.

Nota : La présente note devra être émargée par tous les agents

Paris, le 31 août 1940

L’ingénieur en chef du service du Mouvement

Signé : Descloquemant


On distingue deux grandes phases chronologiques dans la politique anti-juive du régime de Vichy. De juillet 1940 au printemps 1942, une phase d’identification, de stigmatisation et d’exclusion sociale. De juillet 1942 à août 1944, une phase d’arrestations massives, de regroupement, principalement dans le camp de Drancy, et de déportation, essentiellement vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau.


2.4.2. La phase d’identification, de stigmatisation et d’exclusion

La phase d’identification, de stigmatisation et d’exclusion sociale fut organisée par une série de textes législatifs promulgués par le régime de Vichy. Ces textes furent adoptés par le régime de Vichy conformément à son idéologie antisémite mais également pour plaire à l’occupant allemand qui n’en attendait pas tant. En outre, comme ils s’appliquaient aussi bien en zone non-occupée qu’en zone occupée, ils contribuèrent à renforcer l’autorité du régime de Vichy sur la zone occupée. Selon l’historien Gérard Noiriel, le régime de Vichy fut saisi d’une véritable « frénésie identitaire » en promulguant sept lois sur la nationalité entre juillet et octobre 1940, soit avant la date de l’entrée officielle dans la collaboration avec l’Allemagne nazie. L’objectif était d’exclure les « indésirables » de la communauté nationale en leur retirant leur nationalité et en les excluant d’un nombre croissant d’emplois, au premiers rang desquels les emplois de la fonction publique.

Le 22 juillet 1940, fut créée une commission pour la révision rétroactive des naturalisations accordées depuis 1927. Ces naturalisations avaient été accordées surtout à des immigrés italiens et Polonais. Parmi ces derniers, des juifs (souvent communistes) qui avaient trouvé refuge en France pour fuir les persécutions antisémites. Cette commission n’avait pas obligation de motiver ses décisions et ces dernières pouvaient également s’appliquer au conjoint et aux enfants (nés sur le sol français) des personnes visées. Un total de 15 154 personnes perdirent alors la nationalité française, dont environ 8 000 personnes considérées comme juives. Elles devinrent de ce fait apatrides et furent traitées désormais comme les juifs étrangers. Cette mesure de « dénaturalisation » fut complétée le 7 octobre 1940 par l’abolition du décret Crémieux de 1870 qui avait accordé la nationalité française aux juifs d’Algérie. Cette mesure revenait à ne plus considérer comme citoyens français les 110 000 Juifs vivant en Algérie et qui retombèrent au statut d’indigènes au même titre que les musulmans. Le 27 août 1940 fut abrogé le décret Marchandeau qui réprimait les propos racistes et antisémites. Le racisme et l’antisémitisme devenaient de ce fait des opinions légitimes qui pouvaient s’exprimer librement, notamment dans la presse collaborationniste sous la plume de Céline, Brasillach, Rebatet, etc.

Rappelons au passage que la proposition du président Hollande en 2016 de déchoir de leur nationalité les délinquants d’origine étrangère, provoqua dans l’opinion publique une très forte et très légitime émotion. Même si le contexte était très différent, un président de la République, garant des institutions et, parait-il, de gauche, avait apparemment oublié le précédent constitué par les mesures de "dénaturalisation" du régime de Vichy qui inaugura des mesures discriminatoires aux conséquences tragiques.

Le 3 octobre 1940 fut adopté le Statut des Juifs destiné à exclure de la société française les Juifs français non dénaturalisés, et valable pour les deux zones. A l’instar de la définition nazie des lois de Nuremberg, ce statut établissait une définition juridique des juifs fondée sur une supposée race. Une personne juive n’était plus définie par la pratique de la religion juive (le régime de Vichy ne voulait pas donner l’impression d’organiser une répression religieuse) mais comme une personne ayant trois grands-parents de « race juive » ou deux grands-parents juifs si le conjoint de la personne était juif. Ce statut était donc clairement raciste. Des personnes de religion catholique pouvaient donc être considérées comme juives. Les personnes ainsi définies selon des critères de « race » furent exclues de la fonction publique (enseignement, justice, administration), des professions liées aux médias et de la culture. Ce statut créait donc une catégorie à part de Français diminués. Au même moment, une ordonnance allemande rendit obligatoire le recensement des juifs en zone-occupée. Ce type de mesure est en effet nécessaire pour savoir où logent les personnes que l’on souhaite ensuite arrêter. Enfin, la loi du 4 octobre 1940 donnait le droit aux préfets d’interner les Juifs étrangers dans les camps qui avaient été déjà aménagés sous la Troisième République pour interner les réfugiés espagnols puis les ressortissants allemands.


Document : La loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs

Nous, Maréchal de France, chef de l’État français,

Le conseil des ministres entendu,

Décrétons :


Article premier : Est regardé comme Juif, pour l'application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est Juif.


Article 2 : L'accès et l'exercice des fonctions publiques et mandats énumérés ci-après sont interdits aux Juifs :

Chef de l'État, membre du gouvernement, Conseil d'État, Conseil de l'Ordre national de la Légion d'honneur, Cour de Cassation, Cour des comptes, Corps des Mines, Corps des Ponts et Chaussées, Inspection générale des Finances, Cours d'appel, Tribunaux de première instance, Justices de Paix, toutes juridictions d'ordre professionnel et toutes assemblées issues de l'élection ;

Agents relevant, du, département des Affaires étrangères, secrétaires généraux des départements ministériels, directeurs généraux, directeurs des administrations centrales des ministères, préfets, sous-préfets, secrétaires généraux des préfectures, inspecteurs généraux des services administratifs au ministère de l'Intérieur, fonctionnaires de tous grades attachés à tous services de police ;

Résidents généraux, gouverneurs généraux, gouverneurs et secrétaires généraux des colonies, inspecteurs des colonies ;

Membres des corps enseignants ;

Officiers des Armées de terre, de Mer et de l'Air ;

Administrateurs, directeurs, secrétaires généraux dans les entreprises bénéficiaires de concessions ou de subventions accordées par une collectivité publique, postes à la nomination du Gouvernement dans les entreprises d'intérêt général.


Article 3 : L'accès et l'exercice de toutes les fonctions publiques autres que celles énumérées à l'article 2 ne sont ouverts aux Juifs que s'ils peuvent exciper de l'une des conditions suivantes :

a. Être titulaire de la Carte de combattant 1914-1918 ou avoir été cité au cours de la campagne 1914-1918 ;

b. Avoir été cité, à l'ordre du jour au cours de la campagne 1939-1940 ;

c. Être décoré de la légion d'honneur à titre militaire ou de la Médaille militaire.


Article 4 :L'accès et l'exercice des professions libérales, des professions libres, des fonctions dévolues aux officiers ministériels et à tous auxiliaires de la justice sont permis aux Juifs, à moins que des règlements d'administration publique n'aient fixé pour eux une proportion déterminée. Dans ce cas, les mêmes règlements détermineront les conditions dans lesquelles aura lieu l'élimination des Juifs en surnombre.


Article 5 :Les Juifs ne pourront, sans condition ni réserve, exercer l'une quelconque des professions suivantes :

Directeurs, gérants, rédacteurs de journaux, revues, agences ou périodiques, à l'exception de publications de caractère strictement scientifique.

Directeurs, administrateurs, gérants d'entreprises ayant pour objet la fabrication, l'impression, la distribution, la présentation de films cinématographiques; metteurs en scène et directeurs de prises de vues, compositeurs de scénarios, directeurs, administrateurs, gérants de salles de théâtres ou de cinématographie, entrepreneurs de spectacles, directeurs, administrateurs, gérants de toutes entreprises se rapportant à la radiodiffusion.

Des règlements d'administration publique fixeront, pour chaque catégorie, les conditions dans lesquelles les autorités publiques pourront s'assurer du respect, par les intéressés, des interdictions prononcées au présent article, ainsi que les sanctions attachées à ces interdictions.


Article 6 : En aucun cas, les Juifs ne peuvent faire partie des organismes chargés de représenter les professions visées aux articles 4 et 5 de la présente loi ou d'en assurer la discipline.


Article 7 :Les fonctionnaires juifs visés aux articles 2 et 3 cesseront d'exercer leurs fonctions dans les deux mois qui suivront la promulgation de la présente loi. Ils seront admis à faire valoir leurs droits à la retraite, s'ils remplissent les conditions de durée de service ; à une retraite proportionnelle, s'ils ont au moins quinze ans de service ; ceux ne pouvant exciper d'aucune de ces conditions recevront leur traitement pendant une durée qui sera fixée, pour chaque catégorie, par un règlement d'administration publique.


Article 8 :Par décret individuel pris en Conseil d'État et dûment motivé, les Juifs qui, dans les domaines littéraires, scientifiques, artistique ont rendu des services exceptionnels à l’État français, pourront être relevés des interdictions prévues par la présente loi.

Ces décrets et les motifs qui les justifient seront publiés au Journal Officiel.


Article 9 :La présente loi est applicable à l'Algérie, aux colonies, pays de protectorat et territoires sous mandat.


Article 10 : Le présent acte sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l'État.


Fait à Vichy, le 3 octobre 1940.

Ph. Pétain.

Par le Maréchal de France, chef de l'État français : Le vice-président du conseil, Pierre Laval.

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'État à la justice, Raphaël Alibert.

Le ministre secrétaire d'État à l'intérieur, Marcel Peyrouton.

Le ministre secrétaire d'État aux affaires étrangères, Paul Baudoin.

Le ministre secrétaire d'État à la guerre, Général Huntziger.

Le ministre secrétaire d'État aux finances, Yves Bouthillier.

Le ministre secrétaire d'État à la marine, Amiral Darlan.

Le ministre secrétaire d'État à la production industrielle et au travail, René Belin.

Le ministre secrétaire d'État à l'agriculture, Pierre Caziot.


Source : https://fr.wikisource.org/wiki/Loi_du_3_octobre_1940_portant_statut_des_Juifs


Le lendemain, le 4 octobre 1940, fut promulguée la loi sur les "ressortissants étrangers de race juive" (dont les juifs qui avaient perdu la nationalité française en vertu de la loi de "dénaturalisation" du 22 juillet 1940). Cette loi permettait l'internement des juifs "étrangers" dans des camps, sur simple décision administrative du préfet. Les principes de justice et de liberté individuelle n'avaient plus court.

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Document : L’application du recensement des juifs en zone occupée. Extrait de La dépêche de Brest, 25 octobre 1940 (on remarquera le point 8 concernant les juifs baptisés, et donc catholiques !) Source : La Dépêche de Brest : journal politique et maritime ["puis" journal de l'Union républicaine "puis" journal républicain quotidien "puis" quotidien républicain du matin]... | 1940-10-30 | Yroise

















Le texte du statut des juifs fut aggravé par un second Statut des Juifs, plus restrictif encore, promulgué le 2 juin 1941. Il établissait un numerus clausus dans l’exercice des professions libérales et pour l’inscription des étudiants juifs à l’université. Ce texte rendit également obligatoire le recensement des juifs dans toute la France. En outre, ce statut s'appliquait désormais à l'Algérie, aux protectorats tels que la Tunisie et le Maroc, et à toutes les colonies.

Le 22 juillet 1941, fut promulguée la loi sur l’aryanisation des biens juifs. Suivant ce qui s'était passé en Allemagne, les entreprises appartenant à des juifs devaient être cédées, souvent à vil prix, à des non-juifs. Il s’agissait en réalité d’une forme d’expropriation légale. Nombre d’artisans, de petits commerçants et d’entrepreneurs perdirent ainsi leurs moyens d’existence. Au total, entre 47 000 et 48 000 entreprises furent "aryanisées". Par la suite, comme les rafles et la déportation avaient laissés vacants de nombreux logements, ces derniers furent pillés et parfois occupés par des voisins.


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Document : une affiche du Commissariat général aux questions juives annonçant la vente d’une entreprise juive. Source : Mémorial de la Shoah.


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Document : La carte d’identité d’Anny, Yolande, Horowitz

Source : Serge Klarsfeld (1996). Le Mémorial des Enfants Juifs Déportés de France. Édité par l’Association des fils et filles de déportés Juifs de France.


La carte d’identité d’Anny Horowitz établie le 4 décembre 1940 est un document historique parlant et bouleversant. Cette petite fille naquit à Strasbourg le 2 juin 1933. Elle était donc française par la naissance. Au vu des prénoms qu’ils avaient donné à leur fille, nous pouvons supposer, mais sans en avoir la preuve, que ses parents, venus d’Europe de l’Est, souhaitaient s’intégrer à la société française et avaient demandé leur naturalisation. Le domicile de la famille Horowitz se trouvait alors à Bordeaux : la famille avait-elle quitté l’Alsace au moment de la Débâcle ou à la suite de l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne ? La carte d’identité fut établie à Tours car la famille était alors détenue au camp de Lalande à côté de Tours, sans doute en vertu de la loi du 4 octobre 1940 qui autorisait les préfets à interner les juifs dits "étrangers". En effet, les deux tampons rouges nous indiquent que la petite Anny est « juive » et « étranger surveillé ». Ces tampons sont apparemment contradictoires avec le fait que cette petite fille était née à Strasbourg. Il est donc possible que ses parents aient été déchus de leur nationalité française, et leurs enfants en même temps, en vertu de la loi du 27 juillet 1940 sur la révision des naturalisations opérées depuis 1927.

La famille fut ensuite transférée à Drancy. Le 11 septembre 1942, Anny, sa petite sœur Paulette et leur maman Frieda furent déportées à Auschwitz par le convoi n°31. Elles furent assassinées dès leur arrivée, le 14 septembre 1942, au terme d’un trajet de trois jours qu’il est impossible de se représenter.

Ce document montre qu'une série de décisions administratives décidées par le régime de Vichy conduisit à la pire des tragédies.


2.4.3. La phase d’arrestations et de déportations

Au printemps 1941, la politique allemande se durcit partout en Europe et donc également en France. Cela conduisit à la création, le 29 mars 1941, du Commissariat général aux questions juives dirigé par Xavier Vallat (son rôle était d’élaborer une législation anti-juive visant à éliminer les juifs de la vie civile, politique, économique, culturelle et d’en vérifier l’application, notamment pour ce qui concernait le recensement et l’aryanisation des entreprises). Le 11 mai 1941, fut créé l'Institut d'étude des questions juives, un institut privé soutenu par la Propaganda Abteilung allemande. Son rôle était de produire une propagande antisémite immonde. Il s'illustra notamment par l'organisation de l'exposition "Le Juif et la France" en 1941

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Document : Ouverture de l’Institut d’études des questions juives, à Paris, mai 1941. ROGER BERSON / ROGER-VIOLLET. Source : https://www.lemonde.fr/livres/article/2018/10/04/vichy-coupable_5364318_3260.html

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Document : L’exposition Le juifs et la France à Paris en 1941. Source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bundesarchiv_Bild_146-1975-041-07,_Paris,_Propaganda_gegen_Juden.jpg

Voir l'analyse sur : https://histoire-image.org/etudes/exposition-juif-france-paris


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Document : Bordeaux, 1942. Entrée de l'exposition antisémite : « Le Juif et la France ». L'exposition est organisée à l'initiative de l'Institut d’étude des questions juives de Paris. Source : https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/declenchement-guerre-politique-anti-juive/france-et-belgique.html

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Document : Affiche antisémite et anti-gaulliste éditée par l'Institut d'étude des questions juives en novembre 1941. Dessin de Franchot. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Institut_d%27%C3%A9tude_des_questions_juives#/media/Fichier:Le_g%C3%A9n%C3%A9ral_micro,_fourrier_des_juifs_!.jpg


Le 29 novembre 1941, fut créée l’Union générale des Israélites de France qui devait représenter les Juifs auprès des autorités, un peu sur le modèle des Judenräte de Pologne. Le 2 juin 1941, le gouvernement de Vichy ordonna à son tour le recensement des juifs de la zone non-occupée. Cette mesure préparait les rafles à venir et contrevenait au principe républicain de l’égalité de traitement de tous : cette mesure visait une population particulière en raison de son appartenance supposée à une religion ou à une « race ».

Les premières arrestations massives exigées par la section anti-juive de la Gestapo dirigée par Dannecker, et menées par la police française, débutèrent le 14 mai 1941 dans l’agglomération parisienne. Cette rafle dite du « billet vert » (du nom de la couleur du document de convocation adressé aux victimes) arrêta 3 747 hommes étrangers, qui furent internés dans un premier temps dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande. La deuxième rafle eut lieu le 20 août 1941. 4 232 Juifs furent arrêtés, dont un millier de Français. Ils furent internés dans le camp de Drancy, inauguré à cette occasion.


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Document : Arrestation de juifs à Paris par des policiers français, le 20 août 1941

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bundesarchiv_Bild_183-B10816,_Frankreich,_Paris,_Judenverfolgung.jpg


La plupart des juifs arrêtés étaient d’abord détenus dans des camps de regroupement (Pithiviers, Beaune-la-Rolande, notamment), dont le principal fut celui de Drancy. Il s’agissait d’un immeuble inachevé en forme de U qui préfigurait les cités HLM d’après-guerre et qui existe toujours sous le nom de la Cité de la Muette. Ce camp servit d’août 1941 jusqu’en août 1944. Ce bâtiment pouvait loger plusieurs milliers de personnes dans de vastes chambrées. Les conditions de vie, de ravitaillement et d’hygiène (une vingtaine de robinets pour 3 ou 4 000 personnes) étaient déplorables. Les détenus étaient acheminés de Paris à Drancy dans des autobus parisiens puis ils étaient entassés dans des trains de marchandise à la gare du Bourget, puis à la gare de Bobigny, à destination d’Auschwitz. Le premier convoi à destination d'Auschwitz quitta Drancy le 27 mars 1942. Précisons que le camp de Drancy était gardé par des gardes mobiles français. D’ailleurs, aujourd'hui, leur caserne est toujours en service à côté de la cité de la Muette.


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Document : L’entrée du camp de Drancy surveillées par un gendarme français, en août 1941. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bundesarchiv_Bild_183-B10919,_Frankreich,_Internierungslager_Drancy.jpg


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Document : L'arrière de la cité de la Muette aujourd’hui (coll. part.)


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Document : Baraque des femmes dans le camp de transit de Drancy. Source : https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/camps/camps-de-transit-et-dinternement.html

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Document : Le monument commémoratif de la Shoah devant la Cité de la Muette (Coll. Part.)


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Document : Le wagon commémoratif devant la Cité de la Muette (Coll. Part.). Une centaine de personnes pouvait être entassée, debout, sans eau ni nourriture, dans ce type de wagon. Les personnes étaient tellement serrées qu'elles avaient du mal à respirer. Le voyage durait deux à trois jours.

Au printemps 1942, en application des décisions prises lors de la conférence de Wannsee (20 janvier 1942), les autorités allemandes exigèrent des autorités françaises des arrestations et des déportations massives de juifs. Le premier convoi pour Auschwitz avait déjà été organisé le 27 mars 1942. Le 7 juin 1942, une ordonnance du commandement allemand en France (le MBF) obligea tous les juifs, à partir de l’âge de 6 ans, de porter une étoile jaune sur le côté gauche de la poitrine. Cette mesure stigmatisante était un moyen de marquer et de repérer les juifs dans l’espace public. Elle fut complétée le 8 juillet 1942 par une autre ordonnance qui leur interdisait l'accès aux lieux publics, spectacles, cinémas, cabines téléphoniques, piscines, manifestations sportives, parcs, et qui limitait à une heure par jour leur accès aux grands magasins. A partir du 11 décembre 1942, le tampon « juif » devait être apposé sur les carte d’identité des juifs. Lors des contrôles d’identité très fréquents, les juifs qui ne portaient pas l’étoile jaune pouvaient ainsi être démasqués et sévèrement sanctionnés.

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Document : Paris, deux jeunes femmes portant l'étoile jaune. La photo a apparemment été prise en 1942. Source : https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/declenchement-guerre-politique-anti-juive/france-et-belgique.html


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Source : https://www.memorialdelashoah.org/commemoration-du-29-mai-1942.html


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Document : un parc à jeu à Paris pendant l'Occupation. Source : https://www.facebook.com/photo/?fbid=10165388336065076&set=a.1016160247245507


Le général SS Karl Oberg fut nommé à Paris le 1er juin 1942 en tant que chef de la SS et de la police allemande (Sipo et SD) en France, afin de préparer les déportations vers les centres de mise à mort en Pologne. Les négociations entre Laval, Bousquet (secrétaire d’État à la police de Vichy) et Oberg conduisirent à l’organisation de la rafle du Vel’d’Hiv’ (le Vélodrome d’Hiver, rue Nélaton, dans le 15e arrondissement de Paris, détruit en 1959), les 16 et 17 juillet 1942. L’accord validait la participation de la police française aux arrestations, ainsi que le nombre de personnes à arrêter. Ce fut le moyen pour Bousquet, le responsable de la police de Vichy, d’obtenir, de la part des autorités allemandes, un renforcement de l’autorité du régime de Vichy en zone occupée. A la demande de Laval, il fut également décidé que les enfants seraient arrêtés, comme en atteste le document suivant, échangé entre Dannecker et Eichman.


Document : Note de Dannecker, SS-Hauptsturmführer à l'Office Central de Sécurité du Reich à Berlin, le 6 juillet 1942.

Objet : Évacuation des Juifs de France. Référence : Entretien entre le SS-Obersturmbannführer Eichmann et le SS-Hauptsturmführer Dannecker, le 1.7.1942 à Paris.

Les négociations avec le gouvernement français ont donné entre temps les résultats suivants : l'ensemble des Juifs apatrides de zone occupée et de zone non occupée seront tenus prêts à notre disposition en vue de leur évacuation.

Le président Laval a proposé que, lors de l'évacuation de familles juives de la zone non occupée, les enfants de moins de 16 ans soient emmenés eux aussi. Quant aux enfants juifs qui resteraient en zone occupée, la question ne l'intéresse pas. Je demande donc une décision urgente par télex pour savoir si, par exemple à partir du quinzième convoi de Juifs partant de France, nous pouvons inclure également des enfants de moins de 16 ans.

Pour finir, je fais remarquer qu'à ce jour, nous n'avons pu aborder que la question des Juifs apatrides ou étrangers pour faire du moins démarrer l'action. Dans la seconde phase, nous passerons aux Juifs naturalisés après 1919 ou 1927 en France.


Note de Dannecker, SS-Hauptsturmführer à l'Office Central de Sécurité du Reich (RSHA) à Berlin, le 6 juillet 1942.


Les 16 et 17 juillet 1942, 12 884 juifs étrangers et apatrides (ceux qui avaient perdu leur nationalité française en 1940) , dont 4 051 enfants de 2 à 16 ans, furent arrêtés en région parisienne par familles entières par 4 500 policiers parisiens qui avaient réquisitionné pour l'occasion une cinquantaine de bus parisiens. Ces familles furent détenues dans des conditions indignes pendant plusieurs jours dans le vélodrome d’hiver (le Vel’d’Hiv’, situé à l'époque 19 rue Nelaton dans le 15eme arrondissement de Paris). Puis les parents, dirigés vers Drancy, furent séparés de leurs enfants, dirigés vers les camps du Loiret. Ils furent tous déportés à Auschwitz. Ainsi, le régime de Vichy livra d’abord les juifs étrangers et "apatrides" et pas tout de suite les juifs français, afin d’éviter des mouvements de protestation dans l’opinion publique. Et il était politiquement difficile à un gouvernement de livrer ses propres citoyens à une puissance étrangère, alors que le régime de Vichy défendait la fiction de son indépendance face à l’Allemagne, fiction qui fondait partiellement sa légitimité dans la propagande du régime. Remarquons également que, jusque-là, les hommes seuls étaient arrêtés et déportés. La rafle du Vel’d’Hiv’, par l’arrestation des femmes mais aussi des enfants (réclamée par Laval, comme on l’a vu), marque une étape supplémentaire dans la logique génocidaire en France.

La photographie ci-dessous est la seule connue de la rafle du Vel' d'Hiv'. Les bus parisiens et des voitures de police viennent de déposer les familles juives arrêtées. On distingue encore un petit groupe de femmes qui viennent de décharger leurs affaires avant d'être enfermées dans l'enceinte du Vel' d'Hiv'. Dans la rue passe un cycliste inconscient de la tragédie en train de se jouer.

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Document : La rafle du Vel' d'Hiv'.

Source: https://www.memorialdelashoah.org/commemoration-de-la-rafle-du-vel-dhiv-du-16-et-17-juillet-1942.html


A partir de l’invasion de la zone non-occupée par l’armée allemande, le 10 novembre 1942, tous les juifs résidant en France, étrangers ou français, furent la cible des arrestations.


Cependant, les rafles de l’été 1942 suscitèrent des réactions indignées. Quelques évêques de la zone non-occupée, ainsi que le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon et primat des Gaules, protestèrent officiellement. L’archevêque de Toulouse, Mgr Saliège écrivit dans sa lettre pastorale du 23 août 1942 : « Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle ». Des institutions religieuses ainsi que des particuliers accueillirent des enfants dont les parents avaient été arrêtés. Des organisations juives, telles que "L’Œuvre de secours aux enfants", contribuèrent également à en sauver. Ces initiatives expliquant que près des trois quarts des Juifs vivant en France aient pu échapper aux arrestations. En effet, le pourcentage de victimes (23 % en France) fut moins important qu’en Belgique (50 %) ou aux Pays Bas (75 %). La taille et le relief du pays, mais aussi de nombreuses complicités, ont permis de cacher un grand nombre de juifs. Les personnes qui ont hébergé et sauvé des juifs parfois au péril de leur vie, ont reçu de la part de l’institut Yad Vashem de Jérusalem, le titre de « Justes parmi les nations ».


Encart : le destin tragique d'une famille juive du centre-Bretagne, la famille Perper (source : Marie-Noelle Postic, Sur les traces perdues d'une famille juive en Bretagne, les Perper (1935-1943), Coop Breiz, 2007)

Ihil Perper, né en 1908 en Roumanie, fit ses études de médecine à Nancy où il rencontra sa femme, Sonia née en 1912 dans l'actuelle Moldavie, qui y suivait des études de pharmacie. Ils eurent trois enfants. Leur fille ainée, Roza (dite Rozine), était née en 1932, Odette à Brest en 1937 et leur fils Paul était né à Plounéour-Menez. On ignore la raison pour laquelle cette famille vint s'installer à Brasparts, dans les monts d'Arrée. Cela est peut-être lié aux lois de 1933 et 1935 qui interdisaient l'exercice de la médecine aux praticiens étrangers. L'installation dans une contrée isolée et dépourvue jusque là de médecin permettait sans doute de passer inaperçu. Ihil, ressortissant roumain demanda, en vain, sa naturalisation en 1938.

La loi du 16 août 1940 interdit totalement l'exercice de la médecine aux étrangers. La famille Perper quitta Brasparts pour Pleyben en octobre 1940 puis pour Plounéour-Menez en mars 1942. Ihil Perper était autorisé à effectuer des remplacements de médecins, ce qui permit à la famille de survivre. L'interdiction faite aux juifs de posséder une bicyclette, à partir de juillet 1941 l'obligeait à effectuer de nombreux kilomètres à pied pour se rendre au chevet de ses patients en pleine campagne.

Le soir du 9 octobre 1942, à 21 h 30, sur l'ordre du préfet, des gendarmes vinrent arrêter la famille Perper à Plounéour-Menez pour les conduire à leur caserne de Morlaix. Un fils de gendarme engagé dans les résistance, Jean Kerdoncuff avait déjà informé le docteur Perper du danger que le menaçait, mais ce dernier restait incrédule. Le soir de l'arrestation, le jeune résistant avait essayé d'arriver en vélo avant les gendarmes au domicile de la famille Perper. Il arriva hélas trop tard.

Les Perper arrivèrent à Drancy le 15 octobre 1942, comme l'atteste un registre portant sa signature à côté du montant de la somme de 1 000 francs, la totalité des économies de la famille que chaque nouvel arrivant devait abandonner aux autorités du camp. La famille Perper fut emmenée avec un millier d'autres personnes par le 53e convoi au départ de Drancy le 25 mars 1943. Ce convoi arriva à Sobibor (et non pas à Auschwitz) le 28 mars 1943. 977 personnes furent immédiatement gazées. Rozine était âgée de 10 ans, Odette de 5 ans et Paul de 9 mois.



Au total, près de 76 000 personnes furent victimes de cette politique antisémite. Selon les calculs de Serge Klarsfeld, 73 000 personnes moururent en déportation (sur 75 721 personnes déportées dans 76 convois, soit près de 2 500 survivants), 3 000 moururent dans les camps situés en France (dont le poète Max Jacob, à Drancy), et 1 000 personnes furent fusillées en tant qu’otages ou résistants (dont l’historien Marc Bloch, en juin 1944). 90 % des victimes étaient installées en France depuis l’entre-deux-guerres : certaines étaient étrangères (68 %), d’autres avaient perdu leur nationalité acquise après 1927, d’autres encore étaient des enfants français nés de parents étrangers. Il est clair que sans la politique antisémite du régime de Vichy, les nazis n’auraient pas pu assassiner un aussi grand nombre de personnes en France.

La responsabilité de la déportation des juifs de France fut longtemps attribuée aux autorités allemandes qui auraient « contraint » le régime de Vichy à participer aux rafles. Bien plus, la participation des policiers et des gendarmes français fut longtemps gommées. Depuis la parution en 1973 du livre de Robert Paxton, La France de Vichy, la connaissance historique a beaucoup progressé : on sait que la collaboration fut désirée par l’État français qui contribua activement à l’arrestation et à la déportation des juifs, non pas sous la contrainte des autorités allemandes, mais par choix idéologique et par opportunisme politique. Le président Mitterrand a institué en 1993 la journée du 16 juillet (jour anniversaire de la rafle du Vel’d’Hiv’) comme la journée à la mémoire des victimes de persécutions racistes et antisémites du régime de Vichy, mais sans aller plus loin dans la critique du régime de Vichy. Le discours le plus important et le plus fort à ce sujet fut prononcé par le président Chirac, le 16 juillet 1995. Il reconnut la responsabilité de l’État français dans les rafles et la déportation des juifs.


Document : Discours du président Chirac le 16 juillet 1995, reconnaissant la responsabilité de l'Etat français dans la persécution des Juifs (extrait).


Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l'on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l'horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français.

Il y a cinquante-trois ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de dix mille hommes, femmes et enfants juifs furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police (...).


Source : https://www.fondationshoah.org/sites/default/files/2017-04/Allocution-J-Chirac-Vel-dhiv-1995.pdf

Voir la vidéo du discours sur : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab95040420/jacques-chirac-responsabilite-de-la-france-au-vel-d-hiv

Aujourd’hui, les personnes qui minimisent la responsabilité du régime de Vichy dans la persécution et la déportation de dizaines de milliers de juifs durant l’Occupation (ou qui prétendent, contre toute évidence, que Vichy a protégé les juifs), sont des personnes qui cherchent à réhabiliter ce régime et ses idées anti-démocratiques et antisémites.


2.4.3. La persécution des Tsiganes en France

A la différence de ce qui se passa dans le reste de l’Europe, où des communautés tsiganes furent presque totalement anéanties, la plupart des Tsiganes (terme contesté et peu satisfaisant que nous employons ici par commodité) vivant en France échappèrent au génocide, mais pas aux persécutions.

Cette histoire commence seulement à être connue, notamment grâce aux travaux de l’historienne Henriette Asséo et de l’historien Emmanuel Filhol. Il est également utile de consulter le texte de la proposition de loi de 2008 tendant en vain à la reconnaissance du génocide tsigane pendant la Seconde guerre mondiale, qui propose une synthèse remarquable de l’historique des persécutions dont les Tsiganes furent victimes en France durant cette période, sur le site du Sénat : https://www.senat.fr/leg/ppl07-337.html#:~:text=La%20France%20reconna%C3%AEt%20publiquement%20le,comme%20loi%20de%20l'%C3%89tat.


Depuis la loi du 16 juillet 1912, les Tsiganes, y compris les enfants, devaient détenir un carnet anthropométrique, qu'ils présentaient à leur arrivée dans chaque commune. Ce carnet, sous le nom de « livret de circulation », existe toujours aujourd’hui en France pour les Gens du voyage ! Durant l’Occupation, ce carnet fut très utile pour identifier et arrêter les Tsiganes. Une circulaire du 6 avril 1940, signée du président de la République Albert Lebrun (avant l’offensive de l’armée allemande en France), décida l’interdiction de la circulation des nomades détenteurs de ce carnet anthropométrique et leur mise en résidence surveillée sous l’autorité des préfets. Ils ne furent pas internés dans des camps car, dans ce cas, les autorités auraient dû assurer leur subsistance. Cependant la loi du 4 octobre 1940 autorisant les préfets à interner les « Juifs étrangers » permit également l’internement permanent des Tsiganes sur le territoire français, à la demande des Allemands. Toutes les familles tsiganes françaises (entre 3 000 et 6 000 personnes, dont 30 à 40 % d’enfants) furent internées dans une trentaine de camps plus ou moins improvisés, essentiellement en zone occupée, tels que Jargeau, Montreuil-Bellay, Saliers notamment. Ils souffrirent de la faim et du manque de soins et il semblerait qu’une centaine de personnes soient mortes dans ces camps durant la guerre. Les autorités allemandes n’exigèrent pas la déportation des Tsiganes détenus en France. Mais un millier d’entre eux furent malgré tout déportés.

Ces familles ne furent pas toute libérées lors de la Libération puisque l’ordre d’assignation à résidence ne fut levé qu’en 1946 ! Les internés du camp de Montreuil-Bellay furent transférés en janvier 1945 vers le camp de Jargeau d’où ils ne furent libérés que le 16 janvier 1946. Le camp des Alliers fut fermé seulement le 1er juin 1946. Lors de leur libération, il ne leur fut pas délivré de certificat d’internement. Il leur fut donc très difficile d’obtenir ensuite des réparations.

Sur ce sujet, voir le dossier produit par le Mémorial de la Shoah : https://www.memorialdelashoah.org/wp-content/uploads/2018/11/dp_mds_nomades.pdf


Aujourd’hui, la France n’a pas vraiment reconnu le génocide des Tsiganes. Une proposition de loi allant en ce sens fut déposée au Sénat en 2008. Elle ne semble pas avoir abouti. Le 29 octobre 2016, sur le site du camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), où 2 000 personnes avaient été internées pendant la guerre, le président Hollande a reconnu la souffrance des Tsiganes internés et la responsabilité de l’État français. Mais il semble que rien n’a changé depuis cette date.


3. La Résistance française


3.1. L’entrée en Résistance

La Résistance ne concerna qu’une faible partie de la population française (peut-être 500 000 personnes lors des combats de la Libération, mais seulement 260 0000 personnes furent titulaires de la carte de combattants volontaires de la Résistance, après la guerre) mais joua un rôle essentiel sur le plan politique. Nous avons vu plus haut comment la population se détacha progressivement de l’adhésion à Pétain, ce qui contribua à l’engagement de certaines personnes dans la résistance. En outre, les résistants mirent en place à la Libération des institutions et des organismes qui ont façonné notre société et qui la façonnent toujours.

Le 17 juin 1940 De Gaulle se rendit à Londres. Son appel du 18 juin 1940 à la BBC peut être considéré comme l’un des premiers actes de résistance. Comme nous l’avons vu, l’analyse de De Gaulle, réfugié à Londres, était l’inverse de celle de Pétain : la guerre n’était pas terminée, l’Allemagne ne pouvait pas être considérée comme victorieuse, il fallait poursuivre le combat avec la Grande-Bretagne, en s’appuyant sur les ressources de l’empire colonial et en attendant l’engagement des États-Unis dans le conflit. Bien entendu, presque personne en France n’entendit son appel : un grand nombre de Français étaient égarés sur les routes de l’Exode et il n’était pas encore habituel d’écouter la BBC.


Document : L’appel du général De Gaulle à la BBC à Londres (18 juin 1940)

Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat. Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l'ennemi. Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui.

Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non. Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.

Car la France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser sans limite l'immense industrie des États-Unis. Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.

Moi, général De Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes, ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas. Demain, comme aujourd'hui, je parlerai à la Radio de Londres.


De Gaulle rassembla dans le mouvement de la France libre les quelques volontaires qui affluèrent en Angleterre. Dès le 28 juin 1940, De Gaulle fut reconnu officiellement par le gouvernement britannique comme « le chef de tous les Français libres ». Mais il pesait d’un faible poids politique, comparativement à la reine des Pays-Bas, au roi de Norvège ou même aux ministres belges qui avaient rallié Londres. En outre, le bombardement de la flotte française par la Royal Navy à Mers-el-Kébir, qui tua 1 300 marins français, contribua à limiter les départs de Français pour Londres.

Pour s’imposer comme un interlocuteur valable face aux Britanniques puis aux Américains, De Gaulle devait disposer d’une force armée ainsi que d’une base territoriale. Le 7 août 1940, il signa avec Churchill un accord officialisant la constitution d’une force française de volontaires, rassemblant tous ceux qui l'avaient rejoints ou qui allaient le rejoindre à Londres. Ainsi, la France libre fut habilitée par la Grande-Bretagne à représenter tous les Français en guerre. Parallèlement, à la fin du mois d’août 1940, à l’initiative du gouverneur du Tchad Félix Éboué et d’envoyés de De Gaulle, les territoires coloniaux de l’Afrique Équatoriale Française (AEF, à savoir le Tchad, l’Oubangui-Chari, le Gabon et le Congo français), ainsi que que le Cameroun, signifièrent leur adhésion à la France Libre. De ce fait, Brazzaville devint officiellement la capitale de la France libre, le 28 août 1940. Le 27 octobre 1940, De Gaulle gagna Brazzaville pour y installer le Conseil de défense de l’Empire, chargé d’administrer les territoires ralliés ainsi que les forces militaires engagées derrière De Gaulle. Cette instance fournissait à De Gaulle un embryon de légitimité politique. Les populations africaines ne furent évidemment pas consultées et furent recrutées (pas toujours de leur plein gré) au sein des Forces françaises libres (FFL). Ces dernières marchèrent à travers le désert depuis le Tchad et remportèrent quelques succès symboliques en Libye (Koufra en mars 1941, Bir-Hakem en mai-juin 1942). Renforcées à partir de 1943 par des régiments marocains et algériens, elles combattirent en Italie et participèrent au débarquement de Provence, le 15 août 1944. Progressivement, des missions parachutées en France pour organiser des réseaux de renseignement renforcèrent l’autorité de De Gaulle parmi la résistance intérieure. Cependant, les relations difficiles avec Churchill, la méfiance de Roosevelt qui tint longtemps le régime de Vichy comme une autorité légitime et De Gaulle comme un apprenti dictateur, entravèrent longtemps l’action de ce dernier.

En France même, des personnes isolées et éparpillées refusèrent la défaite et l'Occupation, et s’engagèrent d’elles-mêmes dans la résistance au nom des valeurs héritées de la Révolution française. Très peu d'entre elles avaient entendu l'appel du général De Gaulle. Elles imprimèrent des tracts, inscrivirent des graffiti sur les murs, organisèrent des manifestations comme celle des étudiants parisiens, le 11 novembre 1940. Des militants communistes et syndicalistes s’organisèrent très vite malgré l’attentisme du PCF paralysé par le respect du pacte de non-agression du 23 août 1939 entre Hitler et Staline. Cet engagement restait surtout individuel et il était le fait de jeunes et/ou de militants politiques comment l’indiquent les témoignages ci-dessous.


Document : Le récit d’une entrée en résistance

Le 18 juin 1940, je me trouve à Narbonne avec mon frère, ma belle-sœur et ma femme. Je m’étais retrouvé là, affecté comme aspirant, avec les débris de mon régiment. Je n’ai pas entendu le général de Gaulle, j’ai écouté pour la première fois la radio de Londres quelques jours après, chez mon adjudant (…).

J’ai tout à fait en mémoire les journées précédentes. J’étais au champ de tir quand j’ai appris que Reynaud s’en allait. J’ai dit à mes camarades de régiment : « On rentre à la caserne, c’est cuit, les traîtres sont à la tête du gouvernement. Vous allez voir ce que c’est le fascisme ». Le 17 juin, le discours de Pétain a été diffusé par haut-parleurs dans les rues de Narbonne, précédé d’une Marseillaise qu’on écoutait au garde-à-vous. J’étais effondré. J’avais honte. Rien ne serait plus comme avant. Avec ma femme et ma belle-sœur, à mes côtés, nous pressentions le pire. Autour de nous pourtant l’armistice était bien accueilli, le sentiment anti-anglais était très profond (...).

Alors, avec mon frère, ma belle-sœur et ma femme, nous avons commencé notre résistance à notre façon, seuls, tous les quatre, en famille, avec une petite imprimerie portative. Nous tirions des tracts. Je les ai en mémoire : « Si la France est par terre, c’est la faute à Hitler, son drapeau dans l’eau sale, c’est la faute à Laval » (…). Après Mers-el-Kébir : « Vive l’Angleterre pour que vive la France ». Nous allions dans les bois de Narbonne les coller aux arbres.

Jean-Pierre Vernant, ancien chef FFI de Haute Garonne et historien, entretien paru dans Le Matin, 18 juin 1985.


Document : Les raisons d’une entrée en résistance

Je suis née dans une famille de vignerons mâconnais. A cause de mon père, grand blessé de la guerre 14-18, je fus très jeune passionnément pacifiste. Pendant mes études universitaires à la Sorbonne, de 1931 à 1938, j’ai été confrontée aux problèmes du fascisme et du racisme, aussi bien dans un cercle international de jeunesse qu’aux étudiants communistes. Des jeunes Polonais, Hongrois, Roumains, Allemands nous racontaient les persécutions politiques et raciales dans leur pays. Mon premier poste d’agrégée d’histoire fut le lycée de jeunes filles de Strasbourg. De l’autre côté du Rhin, Hitler avait derrière lui tout un peuple fanatisé. On savait que dans les camps étaient réunis les hommes de gauche et les Juifs allemands sous la garde de SS et de droits communs. On les appelait déjà « camps de concentration ».

Pendant l’année scolaire 1938-1939, je fis la connaissance d’un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées qui, sursitaire, faisait son service militaire comme sous-lieutenant du Génie à Strasbourg. Il venait de passer un an au MIT (Massachusetts Institute of Technology). Je devais, l’année suivante, aller avec une bourse aux Etats-Unis pour commencer une thèse. Il fut mon informateur sur la vie là-bas. Il fut bien plus. Vite amoureux l’un de l’autre, nous nous étions promis de nous marier à mon retour. La guerre a éclaté le 3 septembre 1939 et j’ai décidé de ne pas partir. Le 14 décembre 1939, nous étions mariés. Raymond Samuel était d’origine juive, ses ancêtres étaient venus de Pologne au début du dix-huitième siècle. Ses professeurs de Boston, après la débâcle, alors qu’il venait de s’évader d’un camp de prisonniers de guerre, lui ont offert un poste d’assistant ; moi, j’avais toujours ma bourse. En septembre 1940, nous avons demandé nos visas pour préparer notre départ vers les Etats-Unis ; puis nous y avons renoncé. Pouvions-nous laisser derrière nous nos familles, nos amis et notre pays occupé ? A partir de cette décision, notre destin était tracé : la participation à la création et au développement d’un Mouvement de Résistance.

Lucie Aubrac, Ils partiront dans l’ivresse, Seuil, 1984, p. 7-8.

3.2. L’organisation progressive de la Résistance

La Résistance intérieure resta au départ un phénomène marginal car la société française était traumatisée par la défaite et nombreuses étaient les personnes qui, au départ, faisaient confiance au maréchal Pétain. Rappelons également que les hommes adultes étaient prisonniers en Allemagne et qu’ils étaient séparés de leurs femmes et de leurs enfants dont la priorité était de trouver du ravitaillement. La Résistance fut surtout le fait de jeunes gens déliés de ce type de responsabilités.

On sait que la confiance de la population à l’égard de Pétain disparut lentement, à partir de 1941-1942, lorsque le manque de liberté, les privations, le spectacle des rafles de juifs dans les grandes villes commencèrent à devenir insupportables. En mai-juin 1941, une grève très suivie éclata dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais pour réclamer des hausses de salaires et une amélioration des conditions de travail. Les forces d’occupations réprimèrent durement le mouvement et 270 grévistes furent déportés en Allemagne. Sur cette grève : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i11119820/la-greve-des-mineurs-de-1941

A partir de 1941, les lumières des cinémas devaient rester allumées lors de la projection des actualités cinématographiques afin de repérer les spectateurs qui sifflaient ou criaient lorsque les dignitaires du régime de Vichy paraissaient aux actualités cinématographiques. Le 12 août 1941, Pétain prit acte de cette désaffection à son égard dans un discours où il déclara : « De plusieurs régions de France, je sens se lever depuis plusieurs semaines un vent mauvais ».


Dans un premier temps, les actes de résistance furent isolés et consistaient surtout en des distributions de tracts et en des graffitis faits sur les murs pour mobiliser la population. Ces actes apparemment anodins pouvaient valoir de lourdes sanctions à leurs auteurs.


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Document : Le sous-lieutenant Genz, membre de l’administration militaire du Grand Paris, signale des graffitis non effacés dans le métro parisien, 17 juillet 1941.

Source : https://archives.paris.fr/r/259/le-metro-parisien-expression-de-l-occupation-allemande-de-la-collaboration-et-de-la-resistance-/


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Document : Signalement de graffitis contre les Allemands à la station de métro Arts et métiers, le 19 janvier 1943. Source : https://archives.paris.fr/r/259/le-metro-parisien-expression-de-l-occupation-allemande-de-la-collaboration-et-de-la-resistance-/


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Document : Tracts de la résistance trouvés au dépôt d’autobus des Lilas, le 25 avril 1942. Source : https://archives.paris.fr/r/259/le-metro-parisien-expression-de-l-occupation-allemande-de-la-collaboration-et-de-la-resistance-/


L'historien et ancien résistant Claude Bourdet a proposé une distinction un peu simple mais restée restée classique entre les "réseaux" et les "mouvements" de résistance qui se structurèrent dans un second temps.

Les réseaux étaient destinés à mener des opérations très spécifiques comme le sabotage, le renseignement et plus tard les actions militaires. Ils s’organisèrent au départ pour cacher et évacuer des personnes recherchées par les autorités d’occupation et pour fournir des renseignements aux Britanniques. Le premier fut le réseau du Musée de l’Homme, composé du directeur du musée (Paul Rivet), de bibliothécaires et d'anthropologues (Germaine Tillion). Il collecta des renseignements transmis en Angleterre, organisa des évasions hors de la zone occupée et publia une feuille clandestine intitulée Résistance. Le réseau fut démantelé au début de l'année 1941, et 19 membres furent jugés en 1942 par une cour martiale allemande : 7 hommes furent condamnés à mort et fusillés au Mont Valérien. Les autres furent déportés. Des mouvements furent également mis en place en lien avec les principaux mouvements politiques et syndicaux tels que, à partir de 1941, Combat (plutôt conservateur) en zone non-occupée, Libération-sud (dirigé par des socialistes et des syndicalistes), Franc-Tireur, puis le Front national (communiste), Libération-Nord (dirigé par des syndicalistes), Organisation civile et militaire (OCM, conservateur) en zone occupée, etc. Ces mouvement développèrent au départ une action politique et de propagande destinée à susciter l'adhésion d'un grand nombre de personnes. Ils éditaient une presse clandestine (chaque mouvement éditait son propre journal) et des tracts. Ils fabriquaient des faux papiers, et organisèrent plus tard des groupes armés pour commettre des attentats et préparer la Libération. L’aide financière et matérielle de Londres, fournie par des parachutages très risqués, était rare et précieuse. Les résistants apprirent les règles de la clandestinité mais nombreux furent les résistants dénoncés, torturés, exécutés ou déportés. En dépit de leurs divergences politiques, ces résistants ne combattaient pas seulement l’occupation allemande. Ils défendaient la continuité de la république et se battaient pour construire une société plus juste après la guerre.

La Résistance fut renforcée par l'entrée en résistance du parti communiste à partir de l'attaque allemande contre l'URSS. Les militants communistes étaient nombreux et maitrisaient les règles de la clandestinité éprouvées par eux depuis l'interdiction du Parti Communiste depuis le début de la guerre, en septembre 1939. Certains militants défendaient les attentats contre les soldats allemands. Le premier d'entre eux fut l'assassinat de l'aspirant Moser par Pierre Georges, le futur colonel Fabien, sur le quai de la station de métro Barbès, le 21 août 1941. Le but était de se procurer des armes et de faire comprendre aux soldats allemands qu'ils n'étaient pas les bienvenus. Mais ces attentats entrainèrent l'exécution de nombreux otages (834 au total) sur l'ordre du MBF dirigé par von Stuptnagel.

Comme l’indiquent les document ci-après des actes de sabotage et des attentats furent donc organisés à partir de 1941. Au début, ces actes avaient une portée essentiellement symbolique, ils servaient à organiser des actions collectives au sein des groupes de résistants et montraient à la population qu’il était possible d’agir. C’est surtout au moment de la Libération que les attentats de la résistance eurent une réelle portée militaire.


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Document : Rapport de gendarmerie sur des attentats commis le 21 juin 1942 dans la région de Quimper. Source : Archives départementales du Finistère, cote 200w_70_003-005-ad29



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Document : Rapports de la gendarmerie sur des actes de sabotage à Morlaix et à Quimper en 1943. Source : Archives départementales du Finistère, cote 200w_70_008-ad29



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Document : Affiche annonçant l’exécution d’un résistant de Morlaix, mai 1941.

Source : Archives départementales du Finistère


Il convient également d'évoquer le parcours de personnes qualifiées plus tard de "vichysto-résistants", des hommes de droite favorables en 1940 au régime de Pétain qui s'engagèrent progressivement dans la Résistance. Par exemple, Henri Frenay, officier conservateur, rejoignit Vichy, persuadé que Pétain temporisait pour préparer la revanche. Quand il comprit que Pétain ne jouait pas un double jeu, il s'en éloigna pour créer à la fin de 1941 le Mouvement de libération nationale plus connu sous le nom de son journal, Combat, en zone non-occupée.

De même, François Mitterrand, après une jeunesse militante à l'extrême-droite dans les années 1930, fut fait prisonnier de guerre en 1940. Il parvint à s'évader à la fin de 1941 et à rejoindre Vichy où il travailla à la réinsertion des prisonniers de guerre rapatriés. Il fut même décoré de la francisque par Pétain lui-même. Au printemps 1943, Mitterrand se rapprocha de l'Organisation de Résistance de l'Armée (ORA), mouvement de résistance très conservateur, au sein duquel il fonda son propre réseau de résistance, le Mouvement de Résistance des Prisonniers de Guerre et Déportés (MRPGD). Ce réseau recueillait des renseignements et imprimait des faux papiers pour les prisonniers de guerre évadés.

3.3. La structuration de la Résistance et la Libération

Dans un troisième temps, la résistance s’unifia et se structura. Deux événements contribuèrent à étoffer les rangs de la résistance : d’une part, l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’URSS en juin 1941 incita le parti communiste à s’engager délibérément dans la résistance et, d’autre part, les réquisitions du STO (Service du Travail Obligatoire) à partir de 1943 poussèrent de nombreux jeunes gens à rejoindre la clandestinité. Des maquis se constituèrent dans des zones isolées, en accumulant les difficultés : difficultés à se cacher, à trouver des hébergements, à se ravitailler puis à rassembler des armes. De son côté, le parti communiste avait créé le mouvement des Francs-Tireurs et Partisans (FTP) qui organisait des attentats contre des soldats allemands. Au départ, ces attentats étaient critiqués par les autres mouvements de résistance car ils alimentaient un cycle permanent de répression. Le 21 août 1941, le colonel Fabien exécuta un officier allemand dans la station de métro Barbès. En octobre 1941, à la suite de l’exécution d’un officier allemand à Nantes, 55 otages incarcérés dans la camp de Chateaubriand furent fusillés par les Allemands. Parmi eux se trouvait Guy Moquet, militant communiste âgé de 17 ans, Jean-Pierre Timbaud, un responsable de la CGT et Charles Michels, député communiste. Si le prix à payer fut très lourd pour les militants communistes, ces attentats et ces exécutions renforcèrent leur prestige et leur autorité auprès des autres mouvements de résistance. Le parti communiste organisa également une branche des FTP rassemblant des ressortissants étrangers (Roumains, Hongrois, presque tous Juifs, Italiens, Espagnols, Arméniens) sous le nom de FTP-MOI (Main d’œuvre immigrée). Ils commettaient des attentats contre les forces allemandes. Ils furent rendus célèbres par le procès du groupe Manouchian (survivant du génocide des Arméniens), condamnés à mort et exécutés le 21 février 1944. Les autorités allemandes annoncèrent leur exécution par une affiche de couleur rouge qui leur attira une reconnaissance méritée magnifiée par un poème d'Aragon, rendu célèbre grâce à la chanson de Léo Ferré. Voir sur : https://www.youtube.com/watch?v=Tj5XwjOuq7s

Sur le groupe Manouchain : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/2842464001017/manouchian et aussi : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/missak-manouchian-resistance-seconde-guerre-mondiale-ftp-moi-communiste-juif-armenien


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Document : L’affiche rouge éditée par l’armée d’occupation allemande (13 février 1944). Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Affiche_rouge.jpg


Afin d’asseoir sa légitimité politique et de pouvoir s’affirmer auprès des Britanniques et des Américains, De Gaulle s’efforça de rassembler les mouvements de résistance en un mouvement unifié. Jean Moulin, qui vivait dans la clandestinité entre Lyon et Paris, avait été mandaté par De Gaule pour approcher les différents mouvements de résistance qui s’étaient renforcés et structuré. Au bout de plus d'une année de négociations, il parvint à fonder le Conseil national de la Résistance (CNR) créé clandestinement à Paris, rue du Bac, le 27 mai 1943. Le CNR rassemblait alors les représentants des huit principaux mouvements de résistance, des deux principaux syndicats (CFTC et CGT) et des principaux partis politiques de la IIIe République. Le CNR devint ainsi l'instance représentative de l'Etat républicain et clandestin de l'intérieur. Le rôle du CNR était de coordonner les actions des mouvements de résistance sur le sol français. Jean Moulin fut capturé quelques semaines plus tard à Lyon, torturé par Klaus Barbie et il mourut le 8 juillet 1943 des suites de la torture dans le train qui l’emmenait en déportation en Allemagne.

Auparavant, le 8 novembre 1942, les troupes américaines et britanniques avaient débarqué à Casablanca, à Oran et à Alger et mis fin à l'autorité du régime de Vichy sur l'Afrique du Nord. Durant plusieurs mois, la situation politique en Algérie fut très confuse. Les Américains souhaitaient que le général Giraud, proche de Vichy, dirige l'Afrique du Nord française. C’est seulement à l’été 1943 que De Gaulle s’imposa comme le dirigeant des Français libres et le dirigeant de l'Afrique du Nord. Non sans difficultés, les dirigeants des différents mouvements de la résistance intérieur réunis dans le CNR avaient reconnu De Gaulle comme leur dirigeant. Fort de la légitimité accordée par le CNR, il prit la tête du Comité français de libération nationale (CFLN), installé à Alger et héritier du Conseil de défense de l’empire créé en 1940 à Brazzaville. Alger devint ainsi la capitale de la France libre sous la direction de De Gaulle. Parallèlement, les délégués du CNR participèrent, à côté des représentants des différents partis politiques aux travaux de l’Assemblée consultative installée à Alger. Le 3 juin 1944, toujours à Alger, le CFLN se transforma en Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) présidé par De Gaulle et composé de ministres représentant les différentes tendances politiques de la résistance. Ce GPRF était désormais à la tête d’une armée de FFL de près de 500 000 hommes, dotés d’uniformes et d’armement américains, grâce à la mobilisation des Marocains et des Algériens. Une partie de ces soldats se battait en Italie depuis 1943 et ils participèrent au débarquement en Provence, le 15 août 1944.

A compter du printemps 1944, l’action de la résistance intérieure se fit plus visible. Les différents mouvement de résistance armée (Organisation de la résistance de l’armée, Armée secrète, FTP) se regroupèrent au sein des Forces françaises de l’intérieur (FFI) dotées d’une hiérarchie militaire coordonnant les actions militaires des résistants. Elles étaient approvisionnées en armes par les parachutages britanniques. Des maquis (les Glières, le Vercors) affrontèrent l’armée allemande et la Milice. Après le débarquement allié en Normandie, elles procédèrent à de nombreux actes de sabotage et de guérilla pour ralentir la progression des unités allemandes vers le front. La riposte de la Milice et de l’armée allemande fut sanglante. Dans toute la France, de nombreux résistants périrent lors des combats ou exécutés sommairement entre juin et août 1944. La division SS Das Reich harcelée par les résistants s’illustra par des massacres de civils à Tulle et à Oradour-sur-Glane. Les maquis libérèrent quelques régions comme le Limousin, la région de Toulouse, le sud du Massif central. De même, les FFI organisèrent l’insurrection parisienne, du 19 au 25 août 1944, qui l’emporta grâce à l’intervention de la 2e Division blindée du général Leclerc.



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Document : Message de la résistance de Huelgoat (Finistère) signalant les coordonnées géographiques d’un lieu de parachutage, et évoquant les messages codés authentifiant leur demande, juillet 1944. Sources : Archives départementales du Finistère, cote : 202j_5_502-ad29



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Document : Messages codés de la résistance. Source : Archives départementales du Finistère, cote : 202j_5_620-ad29

Au total, 63 000 résistants français furent déportés dans les camps de concentration en Allemagne. 37 000 d’entre eux seulement en revinrent.

La Résistance ne joua pas seulement un rôle dans la libération du territoire français. Les résistants se battaient également pour un monde meilleur et les dirigeants de la résistance contribuèrent à l’organisation de la reconstruction politique, économique et sociale du pays à la Libération. Leur engagement structure encore le fonctionnement de notre société tel qu’il a été défini par le Programme du Conseil national de la résistance adopté à l’unanimité des composantes politiques du CNR, le 15 mars 1944. Sur le plan politique, le programme du CNR prévoyait le rétablissement de la démocratie, du suffrage universel et de la liberté de la presse. Sur le plan économique, il prévoyait les nationalisations (entreprises automobile et aéronautiques, électricité, gaz, charbon, banques de dépôts) qui furent opérées en 1945-1946 et la planification de l’économie. Sur le plan social, il appelait au rétablissement d'un syndicalisme indépendant et prévoyait ce qui devint la Sécurité sociale. L’héritage de la Résistance nous est donc toujours précieux et doit être défendu contre les attaques qu’ils subit depuis plusieurs années.

4. La Libération


4.1. Les combats de la Libération

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 Source : La deuxième Guerre mondiale, récits et mémoire. Numéro spécial du Monde, mars 1994.


Après le débarquement en Normandie, les Alliés progressèrent d’une part vers Cherbourg et vers Brest, car ils avaient besoin d’installations portuaires pour débarquer le matériel venant des États-Unis par bateaux, et d’autre part vers la vallée de la Seine. La 2e division blindée du général Leclerc parvint jusqu’à Paris pour soutenir l’insurrection menée par la Résistance et qui fut victorieuse le 25 août 1944. Le même jour, à l’Hôtel-de-Ville de Paris, De Gaulle refusa de proclamer la République, comme cela avait été fait en 1848 et en 1870, car, selon lui, la République, incarnée par la Résistance, n’avait jamais disparu. A cette occasion, il prononça ce célèbre discours : « Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle ». Le lendemain, le 26 août 1944, De Gaulle, aux côtés des principaux dirigeants de la résistance, descendit les Champs-Élysées et la rue de Rivoli, depuis l’Arc de Triomphe jusqu’à l’Hôtel-de-Ville, au milieu d’une foule en liesse. Cet épisode confirma la légitimité politique de De Gaulle. (Cette séquence est à voir sur : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/25-aout-1944-paris-outrage-paris-brise-mais-paris-libere).

De Gaulle installa aussitôt le GPRF à Paris pour gagner de vitesse les Alliés qui étaient tentés de placer la France sous administration militaire (AMGOT), comme tout pays conquis. Cette mesure était urgente : il fallait former un gouvernement représentatif, car composé de tous les responsables des mouvements de la Résistance, y compris les communistes, pour éviter que les Alliés ne considèrent la France comme un État vaincu et ne lui imposent un régime d’occupation militaire.

A l’Ouest, les Américains rencontrèrent de grandes difficultés à s’emparer du port de Brest très solidement défendu par une division de parachutistes SS. Comme les soldats allemands étaient retranchés dans les immeubles du centre-ville, un destroyer américain les bombarda un à un pour avoir raison de la résistance allemande. Lorsque la garnison allemande capitula, au prix de très lourdes pertes des deux côtés, le 18 septembre 1944, Brest n’était plus qu’un champ de ruines et le port était hors d’usage. Dès lors, les Américains décidèrent de ne plus réitérer l’expérience et se contentèrent d’assiéger les autres ports fortifiés par les Allemands en attendant la fin de la guerre. Ce furent les « poches » de Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle et Royan.

Le 15 août 1944, les troupes alliées qui avaient conquis l’Italie effectuèrent un débarquement en Provence puis remontèrent la vallée du Rhône jusqu’en Alsace. Comme nous l’avons vu, l’armée française incorporée à ces troupes était largement composée de soldats d’Afrique du Nord. Au moment où la victoire se profilait et où l’armée française allait entrer sur le territoire allemand, ces soldats furent congédiés et remplacés par les résistants français qui s’étaient engagés dans l’armée lors de la Libération. Il ne fallait pas que l’armée française pénétrant, victorieuse, sur le territoire allemand, soit composée principalement d’arabes et de noirs. Cette humiliation est racontée dans le film Indigènes de Rachid Bouchareb (2006). Le 15 septembre 1944, la majeure partie de la France et de la Belgique était libérée. Le 24 septembre 1944, un décret du GPRF mit fin à l’existence des FFI et organisa la démobilisation des résistants qui avaient combattu les armes à la main. Il leur était donné la possibilité de s’engager dans l’armée française des FFL, où ils durent s’adapter à la discipline militaire et où ils remplacèrent donc progressivement les soldats maghrébins et africains. L’urgence était de désarmer des jeunes hommes qui, depuis plusieurs mois, avaient combattu courageusement et de manière autonome. Certains parmi eux auraient pu être tentés de garder leurs armes et de combattre pour la transformation radicale de la société. Leur neutralisation fut également permise par leur intégration dans les Gardes civiques républicaines, ancêtres des actuelles CRS (qui furent mise au pas et épurées de leurs éléments subversifs à l'occasion du grand mouvement de grève de 1948). Au total, toutes les forces de la résistance furent démobilisées et seules les forces de l’État, la police, la gendarmerie et l’armée régulière, restèrent armées.

4.2. L'épuration

Au cours des combats de la Libération, le gouvernement de Vichy fut installé par les Allemands dans la château de Sigmaringen afin de maintenir la fiction de son autorité. Les combats de la Libération furent accompagnés d’une vague d’épuration « sauvage », visant la collaborateurs qui n’avaient pu s’enfuir ou se cacher. Des miliciens et des mouchards furent fusillés sommairement. Il semblerait que plus de 8 000 personnes furent fusillées sommairement à la Libération. Mais des « résistants de la 25e heure » en profitèrent pour régler des comptes avec des voisins ou des concurrents. Le plus sinistre furent les humiliations publiques dont furent victimes près de 20 000 femmes accusées de « collaboration horizontale » avec les soldats allemands : elles furent parfois violées et dénudées, toujours marquées, rasées et exhibées dans les rues lors des journées de la Libération. Ces agissements sont aujourd'hui interprétés comme une manifestation de la domination masculine, un moyen de conjurer la défaite infamante de 1940 et les souffrances de l'Occupation par une réappropriation sexuelle, violente et "festive" du corps de certaines femmes et du corps de la Nation qui avaient été appropriés par les soldats allemands.

La photographie suivante, surnommée "la tondue de Chartes" fut prise par le grand photographe de guerre Robert Capa, le jour de la libération de Chartres, le 16 aout 1944. La composition en est remarquable puisqu'elle reprend, en les inversant, les codes des tableaux de la Vierge à l'enfant promise ici non pas à la sainteté mais au calvaire. Cette femme se nommait Simone Touseau. Elle avait adhéré au Parti Populaire français de Jacques Doriot par sympathie pour l'idéologie nazie et avait eu cet enfant à la suite d'une liaison avec un soldat allemand mort à Stalingrad. Elle fut en outre accusée d'avoir dénoncé des voisins déportés par le suite, accusation dont elle fut ensuite blanchie par la justice.


Photographie de Robert Capa : Femme tondue exhibée dans les rues de Chartres à la Libération, 16 aout 1944. Source : https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cpGgXz
Photographie de Robert Capa : Femme tondue exhibée dans les rues de Chartres à la Libération, 16 aout 1944. Source : https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cpGgXz

Inutile d'indiquer que le traumatisme de ces femmes et de leurs enfants fut durable et profond. Elles furent bien souvent obligées de s'installer dans une autre ville à une époque où les femmes seules avec des enfants étaient très mal vues.

Par la suite, des tribunaux instruisirent une épuration judiciaire plus contrôlée. Toutes les strates de la société furent concernées par l’épuration. Cependant, les magistrats qui avaient jugé les résistants pendant l’Occupation furent épargnés car ils étaient nécessaires pour juger les collabos. Les policiers qui avaient raflé les juifs et arrêté des résistants devinrent des héros en participant aux combats de la Libération. Des collabos notoires (Céline, Darquier de Pelpoix) se cachèrent ou s'enfuirent à l'étranger. Les peines infligées furent surtout la condamnation à l’indignité nationale (perte des droits civiques durant une période plus ou moins longue), ainsi que, plus grave, la dégradation nationale (impliquant la confiscation de biens, la suspension de pensions et parfois la perte de de la nationalité française). Des peines de prison furent prononcées. Près de 700 personnes furent condamnées à mort et exécutées (Laval, Brasillach, Darnand, par exemple). Pétain fut condamné à mort mais sa peine fut commuée en détention à vie par De Gaulle en raison de son âge et de son statut de défenseur de Verdun. En 1953, toutes les condamnations furent amnistiées.

Conclusion

Environ 600 000 personnes en France ont perdu la vie durant la guerre : 210 000 soldats et résistants tués au combat, 150 000 victimes civiles des bombardements et de certains massacres, 240 000 morts en captivité et en déportation.

Après 1944, l’économie française connut de graves difficultés en raison des destructions occasionnées par les bombardements, les combats et les sabotages de la résistance. La moitié des voies ferrées, les deux tiers des wagons de marchandise et 5 locomotives sur 6 étaient détruits. En 1945, la production industrielle française ne représentait que 40 % de la production de 1938. Les privations perdurèrent et furent même accentuées après la Libération. En 1947, les rations alimentaires étaient encore plus faibles qu’aux pires heures de l’Occupation.

Les mesures énoncées par le programme du CNR (nationalisations, planification), financées ensuite par le plan Marshall, contribuèrent à la reconstruction de l’économie française, considérée comme achevée en 1955 seulement. Ces mesures économiques sont inséparables des mesures sociales dont la principale est la création du régime général de la Sécurité sociale en 1945 par le ministre du Travail, communiste, Ambroise Croizat. Ce personnage, qui mit en place une institution essentielle à notre vie de tous les jours, reste très injustement méconnu. Une autre réalisation essentielle du programme du CNR fut le droit de vote enfin accordé aux femmes par une ordonnance du CFLN du 21 avril 1944. Les premières élections auxquelles les femmes participèrent furent les élections municipales d’avril-mai 1945.

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