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1892 : La République fête ses cent ans (l'évolution politique de la France de 1814 à 1914)

Dernière mise à jour : 26 mars


Par Didier Cariou, maître de conférences HDR en didactique de l’histoire à l’Université de Bretagne Occidentale



Références :

Maurice AGULHON (1990). La République, tome 1, 1880-1932. Histoire de France Hachette, rééd. Pluriel.

Patrick BOUCHERON (dir.) (2017). Histoire mondiale de la France. Paris : Seuil.

Mathilde LARRERE (2018). Voter en France de 1789 à nos jours. Documentation photographique n° 8122. La documentation française.

Mathilde LARRERE (2019). Lieux et symboles de la République. Documentation photographique n° 8130. CNRS Editions.

Gérard NOIRIEL (2019). Une histoire populaire de la France. De la guerre de Cent Ans à nos jours. Agone.

René REMOND (1965). La vie politique en France depuis 1789, tome 1 : 1789-1848. Armand Colin, rééd. Pocket, 2005.

René REMOND (1969). La vie politique en France depuis 1789, tome 2 : 1848-1879. Armand Colin, rééd. Pocket, 2005.

Mots-clés :

Ancien Régime, Principes de 1789, Régime libéral / régime autoritaire, Régime démocratique / régime censitaire, Régime socialement conservateur / socialement progressiste, Marianne, Bonnet phrygien, drapeau tricolore

Restauration, Louis XVIII, Charte constitutionnelle, Suffrage censitaire, Système bicaméral, Ultra-royalistes, Légitimisme, Sainte-Alliance, Trocadéro, Charles X, Prise d’Alger, Trois Glorieuses, Romantisme, Victor Hugo

Louis-Philippe, Drapeau tricolore, Canuts, Guizot, Enrichissez-vous, Orléanistes, Banquets républicains

Révolution de février 1848, Fraternité, Devise républicaine, Suffrage universel masculin, Abolition de l’esclavage, droit au travail, Journées de juin 1848, Constitution de 1848, Président de la République, Assemblée législative, Louis-Napoléon Bonaparte, Parti de l’ordre, Loi Falloux, Coup d’État du 2 décembre 1851, Plébiscite

Second Empire, Bonapartisme, Empire autoritaire, Candidature officielle, Guerre de Crimée, Magenta, Solférino, Empire libéral, Droit de grève, Thiers, Guerre de 1870, Sedan

Proclamation de la République, Gouvernement de la défense nationale, Gambetta, Assemblée monarchiste, Paix de Francfort, Alsace-Lorraine, Commune de Paris, Semaine sanglante, comte de Chambord, Mac-Mahon, Ordre moral, Amendement Wallon, Lois constitutionnelles de 1875,Crise du 16 mai 1877, Amnistie des Communards, Marseillaise, 14 juillet, Liberté de réunion, Liberté d’expression, Liberté syndicale, Liberté d’association, Lois sur l’école primaire, Séparation des Églises et de l’État, Affaire Boulanger, Ralliement des catholiques, Service militaire universel, Loi sur la nationalité, Affaire Dreyfus, J’accuse.

Que dit le programme ?



Extrait de la fiche Eduscol « Thème 1 – Le temps de la République »


1892 : la République fête ses cent ans

Moins célèbre que le centenaire de la Révolution française de 1889, le centenaire de 1892, qui commémore la naissance de la Première République, ouvre sur deux enjeux majeurs : la difficile histoire de l’idée républicaine en France jusqu’aux années 1880 d’une part, et l’importance de l’héritage de la période révolutionnaire sous la Troisième République, d’autre part.

L’idée républicaine est en effet longtemps associée au XIXe siècle au souvenir de la Terreur et de la guerre révolutionnaire. En 1830, lorsqu’une révolution parisienne chasse Charles X du trône, la République fait encore peur, et c’est ainsi que Louis-Philippe d’Orléans monte sur le trône pour fonder la Monarchie de Juillet (1830-1848). En 1848, lorsque la Seconde République est proclamée, l’héritage de la République révolutionnaire divise encore les Républicains ; c’est contre lui que le gouvernement provisoire de Lamartine proclame l’abolition de la peine de mort en politique, et choisit le drapeau tricolore, qui a été celui de l’Empire et de la Monarchie de Juillet. Cette nouvelle expérience républicaine est close par le coup d’État du président de la République Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, et le Second Empire proclamé en 1852. Quand ce dernier s’écroule en 1870, après la défaite de Sedan, ni une restauration de la monarchie constitutionnelle, ni la solution impériale, ne parviennent à s’organiser. Les villes sont plutôt républicaines, mais il faut encore conquérir l’ensemble des campagnes, en donnant de la République une image rassurante. Ce sera l’œuvre de républicains comme Léon Gambetta et Jules Ferry.

La symbolique de la Révolution française devient alors la symbolique nationale : la loi du 14 février 1879 déclare que la Marseillaise est l’hymne national, la loi du 6 juillet 1880 fait du 14 juillet la date de la fête nationale : on y commémore à la fois la prise de la Bastille (1789) et la Fête de la Fédération (1790) (le drapeau tricolore, quant à lui, est le drapeau de la France depuis 1830). Les célébrations des centenaires de 1889 et 1892 s’inscrivent dans cette perspective.



Introduction

La République incarne les valeurs de 1789 fixées notamment par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : égalité de tous les citoyens tous égaux devant la loi, souveraineté nationale, liberté politique (séparation des pouvoirs) et individuelle (sûreté individuelle, liberté d’opinion et liberté d’expression). Ces principes ne parvinrent à s’incarner politiquement et durablement qu’avec l’avènement de la Troisième République, dans le courant des années 1870. De fait, lorsque la Troisième République commémora le centenaire de la Première République (qui ne fut jamais proclamée : le 21 septembre 1792, la monarchie fut officiellement abolie sans que la République fût officiellement proclamée et, le 22 septembre 1792, on décida de dater les documents officiels de l'an I de la République), elle n’était réellement installée que depuis très peu de temps. Nous essaierons donc de comprendre pourquoi ce processus d’installation de la République et des principes de 1789 fut si long.

Pour le comprendre, nous verrons que durant près d’un siècle s’affrontèrent les défenseurs des principes de 1789 et les partisans du retour à l’Ancien Régime qui refusaient tous les acquis de la Révolution française. Cet affrontement explique les incertitudes politiques du XIXe siècle qui vit de succéder de nombreux régimes politiques avant l’instauration de la Troisième République. Ces régimes politiques acceptaient ou non les principes de 1789, et s’inscrivaient tous dans trois couples d’opposition : régime libéral / régime autoritaire, régime démocratique / régime censitaire, régime conservateur / social. Le tableau ci-dessous résume, de manière simpliste mais assez claire, les caractéristiques des régimes successifs du XIXe siècle.




1. 1892 : La République fête ses cent ans

1892 : La République fête ses cent ans

L’étude peut débuter par l’analyse de l’affiche de 1892 commémorant le centenaire de la République, le 21 septembre 1792. Rappelons que cette date est celle de l'abolition officielle de la monarchie proclamée par les députés de la Convention qui se réunirent pour la première fois ce jour-là, le lendemain de la victoire de Valmy et après l'emprisonnement de la famille royale le 10 aout 1792. Mais la République ne fut pas officiellement proclamée en 1792. La commémoration du centenaire de la République n’eut aucun écho par la suite et ne laissa aucune trace. Cette affiche est le seul document disponible pour aborder cet événement qui semble être d’une importance secondaire. La date importante de cette époque, c'est l'année 1889, fêtant le centenaire de 1789, avec l'exposition universelle lors de laquelle la Tour Eiffel fut construite. Il est malgré tout intéressant de commencer la séquence par la fin de l’histoire.

Rappelons au préalable que la symbolique de la Révolution française triompha à la fin des années 1870 et au début des années 1880, au moment où les Républicains avaient conquis par les élections toutes les institutions de la Troisième République. Après l’exposition universelle de 1889 et après la crise boulangiste de 1887-1889, la République semblait désormais assez solide. L’affiche présente cette République triomphante.









Affiche pour le centenaire de la République en 1892.

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90119690.item


























Sur cette affiche, la République trône avec les symboles de la République. Elle est incarnée par Marianne, coiffée du bonnet phrygien (le bonnet des esclaves affranchis à Rome, symbole de libération), qui tient à la main le drapeau tricolore. Ce dernier date du 17 juillet 1789, jour de la visite de Louis XVI à Paris, trois jours après la prise de la Bastille. Le blanc symbole de la monarchie fut ajouté aux couleurs de Paris, le bleu et le rouge pour créer la cocarde tricolore. Ce drapeau devint l’emblème officiel de la France en 1830. Marianne tient à la main un rameau d’olivier, symbole de la paix. Une palette de peintre portant les trois couleurs évoque peut-être une République protectrice des arts. Ou bien s’agissait-il d’une manière pour l’auteur de l’affiche de signaler son œuvre ?

A ses pieds, deux enfants évoquant la mythologie gréco-romaine se tiennent à côté de la corne d’abondance apportant une profusion de fruits locaux et exotiques. Il s’agissait sans doute de montrer que la République apportait la prospérité à ses enfants.

Le paysage montre des campagnes prospères et paisibles tandis qu’un train à vapeur file au-dessus d’un pont ferroviaire. Il s’agissait sans doute de montrer que la République assurait la prospérité économique.

Un aspect un peu étonnant de cette affiche est qu’elle ne met en évidence que la prospérité économique et ne met nullement en valeur les lois Jules Ferry sur la scolarisation ou les grandes lois libérales du début des années 1880. Peut-être s’agissait-il de rassurer des populations encore éloignées des idées républicaines en leur montrant qu’ils avaient tout à gagner en soutenant la République ?

Une fois cette affiche étudiée, il convient maintenant de savoir comment la République incarnant les idées de la Révolution a pu se mettre en place.





2. La Restauration et la monarchie de Juillet


2.1 Le règne de Louis XVIII (1814-1824)

Après la première défaite de Napoléon et son exil sur l’île d’Elbe, le comte de Provence, frère de Louis XVI, qui avait pris le titre de Louis XVIII après la mort du dauphin en prison en 1795, arriva sur le trône et octroya une charte constitutionnelle à la France le 4 juin 1814.

Contrairement à une constitution votée par les représentants de la nation, une charte est accordée par le roi à ses sujets. Elle n'émane donc pas de la souveraineté nationale. En outre, Louis XVIII se présenta comme « Roi de France par la grâce de Dieu », évoquant le droit divin. De fait ce régime réalisait un compromis entre l’Ancien Régime et les principes de 1789. D’un côté, le roi se présentait comme désigné par Dieu (mais ne il ne chercha pas à se faire sacrer), toute l’autorité procédait de lui et non pas de l’élection. La souveraineté nationale était donc rejetée. En outre, le drapeau blanc redevint l’emblème du régime et la religion catholique fut proclamée religion d’État. D’un autre côté, la charte reconnaissait l’égalité juridique entre tous, et l’égalité de tous devant les emplois, la liberté individuelle et la liberté de conscience, ainsi que le droit de propriété (notamment de la propriété des biens nationaux pour ceux qui en avaient acheté).

La Charte ne respectait pas totalement la souveraineté nationale puisque les députés étaient élus au suffrage censitaire et les membres de la Chambre des pairs étaient nommés par le roi. La charte ne respectait pas non plus la séparation des pouvoirs puisque le roi détenait le pouvoir exécutif et avait également l’initiative des lois qui étaient discutées par la Chambre des pairs et la Chambre des députés. Ce régime bi-caméral s'inspirait de la monarchie britannique. On voit bien que, si cette période se nomme la Restauration, le régime politique mis en place consiste plus en un compromis entre l’Ancien Régime et la Révolution qu’en une restauration pure et simple de l’Ancien Régime. Bien entendu, ce compromis fut difficile à tenir.


Document : La Charte de 1814

Source : Manuel d'histoire, Hatier, 2019, p. 59














Ce régime était donc une monarchie autoritaire et non-démocratique, et conservatrice sur le plan social.





Document: François Gérard, Le roi Louis XVIII dans son cabinet de travail des Tuileries, 1823. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_roi_Louis_XVIII_dans_son_cabinet_de_travail_des_Tuileries_(bgw17_0044).jpg








Après l’épisode des Cent jours, la défaite de Waterloo le 18 juin 1815 et l’exil définitif de Napoléon à Sainte-Hélène, la Seconde Restauration fut marquée par une période de grande violence qui vit le massacre de centaines de Bonapartistes et l’épuration brutale de toute l’administration. Mais la vie politique fut rythmée par l’opposition entre les constitutionnels (défenseurs des principes de 1789) et les ultra-royalistes (partisans du retour à l’Ancien Régime). Entre 1815 et 1820 les constitutionnels dominèrent la chambre des députés. Cependant, l’assassinat du duc de Berry (le neveu de Louis XVIII et fils du futur Charles X, l’héritier du trône incarnant l’espoir d’une pérennité politique des Bourbon) le 13 février 1820 à la sortie de l’opéra, par le bonapartiste Louvel, puis une série de conspirations carbonaristes, mirent fin à cette parenthèse libérale. Le cabinet ministériel dirigé par le comte de Villèle (un ultra-royaliste) se maintint au pouvoir du 16 décembre 1821 au 3 janvier 1828.

Les ultra-royalistes haïssaient la République et les droits de l’homme, ils voulaient revenir à l’Ancien Régime. Ils refusaient également la charte de Louis XVIII qui tenait compte de quelques acquis de la Révolution. Ils voulaient restaurer une société inégalitaire avec des ordres privilégiés en se référant à un Moyen Age idéalisé tel qu’il était représenté à la même époque dans les romans de Walter Scott. Ils étaient fidèles aux représentants de la dynastie des Bourbon : Louis XVIII, Charles X puis Henri V comte de Chambord (1820-1883), fils du duc de Berry et héritier du trône, selon eux. L’historien René Rémond a montré que ce camp politique fut à l’origine de la tendance légitimiste de la droite française, plutôt monarchiste, catholique traditionaliste, opposée à l’égalité et aux valeurs de 1789. Elle s’incarna par la suite avec le théoricien royaliste Charles Maurras puis dans le régime de Vichy. On peut considérer que La manif pour tous, Zemmour et Marion Maréchal sont les héritiers actuels de cette famille politique.

Précisons un dernier point. Il n’est pas possible de comprendre la Restauration en faisant abstraction du contexte international. Les années 1814-1815 furent marquées par la tenue du Congrès de Vienne dont l’objectif était d’effacer les conquêtes militaires de Napoléon, de redessiner la carte de l'Europe et de restaurer l’autorité des monarchies européennes. La diplomatie européenne fut également dominée par la Sainte-Alliance, un traité signé en 1815 par le tsar de Russie, l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse, rejoints un peu plus tard par le roi d’Angleterre. Cette alliance avait pour objectif de défendre la religion et de réprimer tous les mouvements libéraux et nationaux inspirés par les principes de 1789. Louis XVIII partageaient ce projet et fit notamment intervenir l’armée française contre les révolutionnaires libéraux espagnols. L’armée française s'empara notamment de la ville de Trocadéro, près de Cadix, le 31 août 1823. Cette victoire, qui donna son nom à une colline célèbre de Paris, permit de conforter la monarchie de type absolutiste en Espagne.

2.2 Le règne de Charles X (1824-1830)

2.3 La monarchie de Juillet (1830-1848)

3. La Seconde république 1848-1851

3.1 La révolution de février 1848 et la république sociale

Il faut tout d'abord rappeler que, comme pour la révolution de 1830, la révolution de Février en France s'inscrivit dans le cadre d'un mouvement révolutionnaire européen nommé "le printemps des peuples". Toute l'Europe connaissait une crise agricole, dont la pire manifestation fut la crise de la pomme de terre en Irlande à partir de 1845, qui provoqua la mort d'un million de personnes et une émigration massive. Après Paris, la vague révolutionnaire s'étendit en mars 1848, à Vienne, à Prague, à Cracovie, à Zagreb, à Naples, en Toscane, dans ces empires européens où les nationalités exigèrent leur unité et leur indépendance, le suffrage universel et une constitution. Au même moment, la population des différents Etats allemands se révolta pour les mêmes raisons et pour obtenir la création d'un Etat allemand unifié. La répression fut impitoyable, les tentatives démocratiques furent noyées dans le sang. L'unité allemande et l'unité italienne durent attendre encore deux décennies avant de voir le jour.

En France, L’abdication de Louis-Philippe ouvrit la porte à la République qui fut proclamée officiellement le 4 mai 1848. Le gouvernement provisoire évoqué ci-dessus incarnait l’esprit de 1848 qui aspirait à une volonté romantique de fraternité entre les humains et entre les peuples, afin de surmonter à la fois l’individualisme bourgeois et la lutte des classes. A cette occasion, la valeur de la fraternité fut ajoutée à celles de la liberté et de l’égalité, pour former la devise républicaine. La floraison des clubs et des journaux participèrent d'une ambiance d'une ambiance festive qui manifestait les aspirations de toute la population. Désormais, les courriers officiels commençaient par "Citoyen", et la formule de politesse finale était "Salut et fraternité". Le gouvernement était provisoire en attendant l’élection d’une Assemblée constituante. Mais il prit tout de suite des mesures essentielles. Le 25 février, Lamartine prononça un célèbre discours devant l'Hôtel-de-Ville de Paris. Il y défendit le drapeau tricolore contre le drapeau rouge brandi par une colonne d'insurgés : "Je repousserai jusqu'à la mort contre ce drapeau de sang, et vous devez le répudier plus que moi, car le drapeau rouge que vous rapportez n'a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, trainé dans le sang du peuple en 91 et en 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie". Ce discours marque la victoire des républicains modérés qui dominaient le gouvernement contre les démocrates et les socialistes défenseurs de mesures sociales.

Une précision s'impose sur le drapeau rouge. A partir de 1789, il était brandi par les forces de l'ordre en application de la loi martiale en guise sommation avant la dispersion violente d'une manifestation. Ce symbole fut repris et détourné par les Sans-culottes lors de la journée du 10 août 1792, lorsqu'ils attaquèrent les Tuileries et capturèrent Louis XVI. Il réapparu lors des révoltes sociales qui émaillèrent le règne de Louis-Philippe. Il devint alors le drapeau de la frange la plus révolutionnaire du mouvement ouvrier défendant la république démocratique et sociale contre le drapeau tricolore devenu l'emblème officiel de la monarchie de Juillet dès 1830 puis de la République modérée en 1848. Il est toujours le drapeau du mouvement ouvrier révolutionnaire.

Le 25 février, fut proclamé le droit au travail. Le 26 février fut abolie la peine de mort en matière politique, afin de se démarquer des pratiques de la première république et de la Terreur. Le 2 mars fut instauré par décret le suffrage universel masculin, à l'instigation de Ledru-Rollin et de Lamartine et conformément à la vieille revendication républicaine d’élargissement du corps électoral. Le décret du 5 mars, fixant les modalités de vote, supprima les conditions de cens, abaissa l'âge électoral à 21 ans et la durée de résidence à 6 mois, ce qui permit de donner le droit de vote aux soldats, au ouvriers, aux domestiques. Pour voter, il fallait donc être un homme, français, âgé au moins de 21 ans. Le corps électoral passa alors de 240 000 à 9,3 millions d’électeurs. Le même jour, la journée de travail fut réduite à 10 heures à Paris et à 12 heures en province. Le 4 mars furent instituées la liberté de la presse et la liberté de réunion qui avaient été malmenées par les monarchies précédentes. Ces premières mesures montrent toute l’importance de la révolution de février 1848 : la monarchie fut définitivement abolie en France et le suffrage universel était désormais définitivement institué. Si l’on ajoute le respect des libertés politiques, cette république était donc libérale et démocratique, à la différence des régimes précédents. Ajoutons, le 27 avril 1848, l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, à laquelle on associe habituellement le nom de Victor Schoelcher, sous-secrétaire d'Etat à la marine dans le gouvernement provisoire.

Pendant quelques semaines, cette république fut également sociale, elle proclama le "droit au travail". Le socialiste Louis Blanc prit la tête de la Commission du Luxembourg (siégeant au palais du Luxembourg, l'actuel siège du Sénat) conçue comme une cour de conciliation composée de représentants du patronat et de représentants des salariés, pour régler les conflits du travail. Elle imposa le passage de la journée de travail de 12 heures à 10 heures à Paris. Elle mit en place les Ateliers nationaux afin de fournir du travail aux très nombreux chômeurs parisiens, au nom du principe du droit au travail. Les Ateliers nationaux étaient financés par une hausse des impôts sur les transactions de 45 %. Cet impôt des « 45 centimes » rendit la république très impopulaire dans les campagnes où il provoquait l'augmentation du prix des denrées. Les 110 000 ouvriers inscrits aux ateliers nationaux étaient payés un franc par jour, ce qui leur permettait tout juste de subsister. Ce « pognon de dingue » (170 000 francs par jour pour toute la France) fut rapidement dénoncé par les conservateurs qui s’efforcèrent de discréditer les Ateliers nationaux. Mais surtout, comme il n’y avait aucune tâche à leur confier, les ouvriers inactifs passaient leurs journées à parler de politique.

Les 23 et 24 avril 1848 eurent lieu les premières élections législatives au suffrage universel. Même si ces élections furent contrôlées par les notables dans les campagnes, elles furent le premier véritable acte de naissance de la démocratie dans toute la France. Les élections eurent lieu non pas dans chaque commune mais au chef lieu de canton où se trouvaient les magistrats capables d'organiser le vote et de veiller à sa régularité. Le suffrage était individuel mais le vote était communautaire : les habitants de chaque village se rendaient en cortège au bureau de vote où ils déposaient ensemble leur bulletin de vote. Sur les 851 députés, furent élus 300 monarchistes (100 légitimistes et 200 orléanistes) contre 500 républicains parmi lesquels 230 républicains modérés (Lamartine, Arago, Garnier-Pagès, Ledru-Rollin) et 60 républicains « avancés », radicaux et socialistes (Louis Blanc, Albert, Barbès). Une Commission exécutive émanant de l’Assemblée remplaça le gouvernement provisoire. Cette commission, composée de cinq personnalités modérées (Lamartine, Arago, Garnier-Pagès, Marie, Ledru-Rollin) avait pu se débarrasser des démocrates plus avancés.

Cependant, les difficultés ne tardèrent pas. Le 15 mai 1848 une manifestation contre la politique de l’Assemblée, qui souhaitait fermer les ateliers nationaux car ils coûtaient trop cher aux yeux des modérés, conduisit à l'envahissement de l'Assemblée. Les chefs des républicains avancés, Barbès, Blanqui et Raspail, furent ensuite jetés en prison. Par un décret du 21 juin, les ateliers nationaux furent supprimés, ce qui mit des milliers d’ouvriers parisiens dans une situation intenable. Ils prirent aussitôt les armes et érigèrent des barricades dans le centre de Paris. Le général républicain Cavaignac (qui s'était auparavant entrainé au massacre de populations civiles lors de la conquête de l'Algérie) organisa la répression et une véritable guerre sociale. Ces Journées de Juin, du 23 au 26 juin 1848, firent environ 3 000 morts dont 1500 fusillés sans jugement. Environ 1 500 soldats furent également tués dans la combats. 11 000 survivants furent jugés dont 4 500 furent déportés en Algérie. La république sociale et l’idéal de fraternité avaient sombré dans le sang des ouvriers parisiens, et Tocqueville lui-même théorisa à cette occasion la lutte des classes. Marx et Engels y virent le premier mouvement autonome de la classe ouvrière. Le 28 juin, Cavaignac devint le chef du pouvoir exécutif jusqu'en décembre 1851 et maintint l'état de siège pour réprimer le mouvement révolutionnaire. Les journées de juin 1848 avaient opposé deux conceptions de la république : la république comme un régime politique représentatif et respectueux de l'ordre social versus la république démocratique et sociale.

Dès le 9 septembre 1848, la journée de travail fut portée à 12 heures.


Document : Gaspard Gobaut, La barricade du faubourg Saint-Antoine en juin 1848, avant l'assaut de l'armée. Daguerréotype.

Source : https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/la-barricade-du-faubourg-saint-antoine-10eme-arrondissement
















Document : Tableau de Meissonier : La Barricade, rue de la Mortellerie, juin 1848, dit aussi Souvenir de guerre civile. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Meissonier_Barricade.jpg



3.2 La république conservatrice

4. Le Second Empire

4.1 Vers le Second Empire

Revenons à la définition des familles politiques de la droite établie par l’historien René Rémond. Après le légitimisme et l’orléanisme, ce dernier a mis en évidence les caractéristiques du bonapartisme à partir de l’analyse du régime mis en place par Louis-Napoléon Bonaparte. Ce courant politique, organisé derrière une personnalité autoritaire dotée d’un certain charisme, prétendait résoudre un ensemble de contradictions : d’une part, le nationalisme, le conservatisme social et la défense de l’ordre pour rassurer la bourgeoisie, d’autre part, l’affirmation de la souveraineté nationale assumant l’héritage révolutionnaire pour se gagner la sympathie des classes populaires, et le mépris des classes dirigeantes traditionnelles. Cette ambiguïté explique le caractère instable de ce courant politique qui oscillait entre un bonapartisme de droite (conservateur, nationaliste, anti-ouvrier, anti-parlementaire, incarné par Persigny) et un bonapartisme de gauche (anticlérical, égalitaire et soucieux du sort de la classe ouvrière, incarné par le prince Napoléon, surnommé "Plonplon"). Dans les deux cas, le recours au plébiscite se présentait comme une forme de communication démocratique directe entre le président et les citoyens, passant par dessus les députés. Par cette relation (prétendument) directe avec le peuple, le bonapartisme pouvait se présenter comme démocratique (dans le cadre d'une dictature !). La définition marxiste du bonapartisme diffère légèrement mais reste proche dans le fond. Le bonapartisme consistait selon Marx en une dictature d'un homme soi-disant providentiel élu par la masse de la paysannerie pour maintenir un équilibre précaire entre deux forces sociales et politiques rivales (la bourgeoisie et la classe ouvrière), en donnant des gages aux deux, mais en tendant quand même à museler davantage la classe ouvrière afin de sauvegarder l'ordre social.

Par la suite, le courant bonapartiste s’incarna dans le mouvement boulangiste en 1887-1889, puis en la personne de De Gaulle, de Pompidou puis de Chirac. Aujourd’hui, vu l’état de déliquescence de la droite, il est difficile de déterminer quel homme ou quelle femme politique incarne ce courant. Il est éventuellement possible que ce soit Le Pen, ce qui pourrait expliquer ses relations difficiles avec sa nièce qui, proche du catholicisme traditionnaliste, s'inscrirait plutôt dans le courant légitimiste.


Dans des brochures écrites précédemment, Idées napoléoniennes (1840) et L’Extinction du paupérisme (1844), Louis-Napoléon Bonaparte avait déjà formulé ses orientations politiques, inspirées de l’œuvre de son oncle mais également des débats qui traversaient alors la société française. Il considérait que le développement des droits et des progrès humains en cours depuis 1789, devait être accompagné par un gouvernement fort dirigé par un chef charismatique et éclairé, garant de l’intérêt général et seul capable d’éviter les errements de la période révolutionnaire. Il considérait également que ce type de gouvernement devait moderniser l’économie afin d’offrir du travail à tous. Cette réflexion préalable permet de comprendre les principaux traits de son règne.

Dans sa proclamation du 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte annonçait qu’il convoquait un plébiscite pour demander aux citoyens de prolonger son mandat présidentiel pour dix années supplémentaires. Il exposait également les modifications constitutionnelles qu’il souhaitait mettre en place, en s’inscrivant dans la continuité du Consulat de son oncle. Il souhaitait notamment diviser le pouvoir législatif en deux chambres qui seraient plus faibles face à un pouvoir exécutif incarné par lui seul.


Document : La proclamation du président de la république du 2 décembre 1851


(…) Persuadé que l’instabilité du pouvoir, que la prépondérance d’un seule assemblée sont des causes permanentes de trouble et de discorde, je soumets à votre suffrages les bases fondamentales suivantes d’une Constitution que les Assemblées développeront plus tard :

1. Un chef responsable nommé pour dix ans ;

2. Des ministres dépendant du pouvoir exécutif seul ;

3. Un Conseil d’État formé des hommes les plus distingués préparant les lois et les soutenant devant le corps législatif ;

4. Un corps législatif discutant et votant les lois, nommé par le suffrage universel ;

5. Une seconde assemblée formée de toutes les illustrations du pays, pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés publiques.

Ce système, créé par le Premier Consul au commencement du siècle, a déjà donné à la France le repos et la prospérité ; il les garantit encore (…).


Fait au Palais de l’Élysée, le 2 décembre 1851.

Louis-Napoléon Bonaparte


Le plébiscite du 21 décembre 1851 approuva par 92 % de oui la prorogation de son mandat pour dix ans. Comme ce fut le cas pour l’oncle, le suffrage universel masculin (par un plébiscite totalement manipulé) légitima également le pouvoir du neveu. Ce régime procédait ainsi de la souveraineté nationale et non pas du droit divin. Les opposants qui n’avaient pas encore été arrêtés durent prendre le chemin de l’exil. Le plus célèbre d’entre fut Victor Hugo. Il s’exila à Guernesey et devint un opposant farouche du Second Empire. Près de 10 000 personnes qui s'étaient opposées au coup d'Etat furent condamnées à la déportation en Guyane et en Algérie. La liberté de la presse fut fortement restreinte.

Le 14 janvier 1852, fut promulguée une nouvelle constitution, rédigée très rapidement. Elle se réclamait de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Comme Louis-Napoléon Bonaparte l’avait annoncé le 2 décembre 1851, elle instaurait un régime présidentiel autoritaire, sur le modèle du Consulat. Le président élu pour dix ans n’était responsable que devant les citoyens, qu’il pouvait consulter par plébiscite. Il avait l’initiative des lois et exerçait le pouvoir exécutif. Les ministres, nommés par lui, n’étaient responsables que devant lui. Le pouvoir législatif était morcelé et affaibli, divisé entre le Conseil d’État composé de hauts fonctionnaires nommés (préparation des lois), le Corps législatif de 261 députés seulement et dépourvus de traitement (vote du budget et vote des lois sans discussion) et le Sénat aux pouvoirs constituants, dont les membres étaient de droit (cardinaux, amiraux, maréchaux, princes de la famille impériale) ou nommés à vie par le président. Le suspens ne dura pas très longtemps : le neveu suivit les pas de son oncle et restaura l’Empire après le plébiscite du 7 novembre 1852. Cette restauration eut lieu officiellement le 2 décembre 1852, jour anniversaire du coup d'Etat de 1851 mais aussi du sacre de Napoléon en 1804 et de la victoire d'Austerlitz en 1805. Il prit le titre de Napoléon III, tenant en compte le prince de Rome, le fils de Napoléon Ier, pour montrer qu’il s’inscrivait dans une dynastie déjà éprouvée. Il quitta l’Élysée pour le palais des Tuileries. En 1853, il épousa la princesse espagnole Eugénie de Montijo, catholique rigide favorable aux légitimistes, dans l’espoir de fonder une dynastie. Ils eurent un enfant, le prince impérial, né en 1856 et mort en 1879 en combattant aux côté des Anglais contre les Zoulous en Afrique du Sud.







Document : la constitution de 1852. Source : https://manuelnumeriquemax.belin.education/histoire-premiere/topics/hist1-ch03-088-a_le-second-empire-le-regime-d-un-homme-1852-1870












Document : Portrait de Napoléon III en uniforme de général de division dans son grand cabinet des Tuileries (huile sur toile d'Hippolyte Flandrin, 1861).

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Napol%C3%A9on_III#/media/Fichier:Napol%C3%A9on_III_par_Jean_Hippolyte_Flandrin.jpg

























Document : Guillaume-Alphonse Cabasson (1814 – 1884), Apothéose de Napoléon III, 1854. Musée national du château de Compiègne. (esquisse sans doute destinée à un plafond d'un palais impérial).

Source: https://compiegne-peintures.fr/notice/notice.php?id=348



4.2 L’Empire autoritaire (1852-1860)

4.3 L’Empire libéral (1860-1870)


5. Vers la Troisième République

5.1 Le Gouvernement de défense nationale

La disparition du Second Empire laissa un vide institutionnel plus ou moins rempli par le Gouvernement de défense nationale, dirigé par le général Trochu, qui tenta tant bien que mal de poursuivre les combats contre les Prussiens qui occupaient le quart nord-est de la France. Le gouvernement était composé de Jules Favre (vice-présidence), Gambetta, (ministre de l'Intérieur) Ernest Picard (ministre des Finances), Adolphe Crémieux (ministre de la Justice), Jules Simon (ministre de l'Instruction publique). Jules Ferry était délégué auprès de l'administration du département de la Seine. Arago (un revenant de février 1848) était désigné maire de Paris avec Charles Floquet et Henri Brisson comme adjoints.

Le 18 septembre 1870, les Prussiens atteignirent Paris et l’assiégèrent, se gardant bien d’investir la capitale, opération qui aurait risqué d’être très coûteuse en hommes. Gambetta s’échappa de Paris en ballon dirigeable pour coordonner les unités de l’armée française afin de tenter en vain de débloquer le siège de Paris. Au cours de l’hiver la situation des Parisiens assiégés devint terrible : les bombardements des Prussiens étaient fréquents, les classes populaires étaient réduites au chômage et, surtout, l’approvisionnement était insuffisant. On en vint à manger des rats et les animaux des jardins zoologiques. L’inaction du gouvernement était sévèrement critiquée. De nombreux clubs révolutionnaires organisèrent des manifestations et réclamaient la reconstitution de la Commune, à l’image de celle de 1792-1793 qui avait renversé le roi. L’armée et la garde nationale composée de volontaires parisiens tentèrent des sorties désastreuses contre les Prussiens.

Le 18 janvier 1871, Guillaume Ier proclama officiellement l'Empire allemand dans la Galerie des glaces du palais de Versailles. Désormais, on ne parlait plus de la Prusse mais de l'Allemagne, qui constituait désormais un Etat-nation regroupant une grande partie des populations parlant l'allemand (sauf les populations autrichiennes). Le 28 janvier 1871 un armistice fut signé. Mais le chancelier Bismarck voulait signer un traité de paix définitif avec un gouvernement légitime et représentatif. Pour cette raison, des élections législatives eurent lieu en France le 8 février 1871. Les citoyens élurent près de 400 monarchistes et 220 républicains modérés. En fait, ils avaient voté pour la paix (souhaitée par les monarchistes) et contre la guerre (dont certains républicains étaient partisans). Le résultat des élection était paradoxal : la France était officiellement une république depuis le 4 septembre 1870, mais elle était dirigée par des monarchistes ! Réunie à Bordeaux, l’Assemblée désigna, le 17 février 1871, Thiers (député orléaniste) comme « chef du pouvoir exécutif de la République française ». Cet énoncé provisoire montre que personne n’était fixé sur la nature du régime à mettre en place. La majorité de l’assemblée souhaitait revenir à la monarchie.



Document : La répartition des sièges à l'Assemblée nationale après les élections du 8 février 1871. Source : https://fr.vikidia.org/wiki/D%C3%A9buts_de_la_Troisi%C3%A8me_R%C3%A9publique#/media/File:France_Chambre_des_deputes_1871.png



Le 10 mai 1871, Thiers signa le traité de paix de Francfort : la France réglait 5 milliards de francs de réparation à l’Allemagne et lui cédait l’Alsace et la Moselle. L’armée allemande occuperait le quart nord-est de la France tant que les réparations ne seraient pas réglées. Les réparations furent rapidement payées grâce à deux emprunts, ce qui permit d’attribuer à Thiers le titre de « libérateur du territoire » en 1873. Mais, entre temps, Thiers avait réglé le sort de la Commune de Paris.



Document : Carte des annexions de 1871.

Source : France-Allemagne. 200 ans de guerre et de passion. Les collections de l'Histoire, n°100, juillet-septembre 2023.

5.2 La Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871)

Comme l'a rappelé Quentin Deluermoz dans son ouvrage magistral (Commune (s), 1870-1871 ; Une traversée des mondes au XIXe siècle, Seuil, 2020), la Commune de Paris fut la troisième révolution du XIXe siècle en France, après celles de 1830 et de 1848. Mais elle ne fut ni aussi subite ni aussi courte que les précédentes : elle faisait suite à la défaite de l'armée française, à la proclamation de la république, et au siège très rigoureux de la capitale par l'armée prussienne.

La population parisienne fut ulcérée par la signature de l’armistice du 28 janvier 1871 car elle souhaitait poursuivre le combat contre les Prussiens. Elle fut également atterrée par le résultat des élections législatives du 8 février 1871 qui avait donné une écrasante majorité aux monarchistes, alors que Paris avait élu des républicains radicaux. En outre, le retour de l'Assemblée nationale à Versailles et non pas à Paris constituait une véritable humiliation pour la capitale. Enfin, l’agitation politique était intense dans une ville industrielle avec une forte concentration d'ouvriers souvent très politisés.

En février 1871, les éléments les plus politisés de la garde nationale rejoints par les membres des différents groupes révolutionnaires constituèrent un Comité central de la garde nationale qui constituait l'embryon d'un gouvernement révolutionnaire concurrent de celui de Versailles. Le rôle de la Garde nationale, composée des Parisiens en armes, par opposition à l'armée régulière fut essentiel durant la Commune : elle défendait la ville contre les Versaillais et assurait l'ordre dans Paris. Elle était également un organe de politisation très important car elle fonctionnait selon des principes démocratiques. Par exemple, les membres de la Garde nationale élisaient leurs officiers.

Le 18 mars 1871, Thiers chercha à faire enlever les canons de la Garde nationale qui se trouvaient sur la butte Montmartre et qui avaient été acquis par une souscription parisienne. La foule s’y opposa, les soldats chargé d’enlever les canons se rallièrent aux Parisiens et fusillèrent les deux généraux, Lecomte et Thomas, qui leur avaient ordonné de tirer sur les Parisiens. Thiers évacua alors le gouvernement et l’armée de Paris qui se réfugièrent à Versailles, afin de préparer la reconquête militaire de la capitale. Le soir du 18 mars 1871, le Comité central de la garde nationale occupa l'Hôtel-de-Ville de Paris. Ce jour est considéré comme le premier jour de la Commune de Paris, en référence à la Commune qui avait renversé le roi en 1792. Paris se trouvait en situation révolutionnaire. Le drapeau rouge fut installé sur un grand nombre de bâtiments publics et privés. C'était une réponse au discours de Lamartine du 25 février 1848 qui avait stigmatisé le drapeau rouge pour défendre le drapeau tricolore.

Le 26 mars 1871, les électeurs élurent un Conseil général de la Commune de Paris qui remplaça le Comité central de la Garde nationale. Il était composé de 79 membres installés à l'Hôtel-de-Ville de Paris, des révolutionnaires blanquistes (Delescluze) partisans de la lutte contre la bourgeoisie et l’Église, des révolutionnaires membres de l’Internationale ouvrière (Eugène Varlin, Jules Vallès) davantage préoccupés de réformes sociales, des proudhoniens soucieux de mettre en place des coopératives ouvrières, sans oublier des républicains radicaux et des nostalgiques de la Commune de 1793. Très différents, ils étaient cependant tous attachés à la république démocratique et sociale héritée de 1848. Ce régime politique fut le premier exemple historique d’une démocratie directe et d'un gouvernement de la classe ouvrière. Le Conseil général de la commune de Paris était l’émanation des différentes assemblées locales dont les élus étaient révocables par les citoyens. La population participait aux débats politiques dans les assemblées, grâce aux nombreux journaux et aux clubs politiques où s’exprimaient toutes les tendances révolutionnaires.

Au cours des 72 jours d'existence da la Commune de Paris, des mesures d’avant-garde furent adoptées : la réquisition des logements vacants, la suspension des loyers (29 mars), l'élection des fonctionnaires et des juges contrôlés en permanence par leurs électeurs, la suppression de l'armée permanente remplacée par la Garde nationale dont tous les citoyens valides de 19 à 40 ans faisaient partie (30 mars), la séparation de l’Église et de l’État (2 avril), un projet d’enseignement primaire laïque, gratuit et obligatoire, la gestion des entreprises laissées vacantes par des coopératives ouvrières (16 avril), l’interdiction du travail de nuit des boulangers (20 avril). Pour reprendre la typologie de ce chapitre, ce régime était donc non libéral mais démocratique et social. Mais surtout, il s’agissait du premier gouvernement ouvrier de l’histoire caractérisé par une effervescence politique, une floraison de journaux et de clubs où la population venait débattre des questions politiques du jour.

Cependant la dirigeants de la Commune n’osèrent pas s’emparer des réserves d’or de la Banque de France et n’attaquèrent pas les troupes de l’armée régulière avant que celle-ci n’eut le temps de s’organiser. Par la suite, la Garde nationale de Paris tenta des offensives souvent catastrophiques. Enfin, quelques tentatives de mise en place de Communes eurent lieu au Creusot, à Lyon, à Saint-Étienne, à Marseille, en Martinique et à Alger (la révolte des citoyens français dont certains avaient été déportés en Algérie pour des raisons politiques), qui furent écrasés par l’armée au bout de quelque jours et qui ne parvinrent pas à soutenir la Commune de Paris.

En effet, Thiers, installé à Versailles, organisa la reconquête militaire de Paris. Avec l'aide des Prussiens qui libérèrent un grand nombre de soldats français prisonniers, il rassembla une armée à Versailles confiée à Mac-Mahon qui attaqua Paris dès le mois d'avril. Cette armée versaillaise parvint à entrer dans Paris le 21 mai 1871, du fait de la négligence des membres de la Garde nationale qui gardaient une porte de Paris. Du 21 au 28 mai, la « semaine sanglante » vit se dérouler une terrible guerre civile au cours de laquelle l’armée des Versailles conquit Paris d’ouest en est. Les Communards défendirent le centre et l’est de Paris en incendiant de nombreux bâtiments afin de ralentir la progression des Versaillais. Ils étigèrent de nombreuses barricades qui furent enlevées au prix de violents combats. Les prisonniers dont les mains étaient noircies par la poudre de fusil étaient la plupart du temps exécutés sur le champ. Des fusillades massives eurent lieu à l'Ecole militaire, dans les jardins du Luxembourg, etc. Le peintre Edouard Manet, plutôt favorable à la Commune, réalisa des dessins et des lithographies montrant l'atrocité des combats et des exécutions sommaires.


Document : Edouard Manet, La guerre civile. Lithographie.

Source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Manet.Guerre_civile.jpg




Document : Edouard Manet, La barricade. Lithographie, 1871.

Source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Manet._Barricade.jpg

















Les derniers combats eurent lieu dans le cimetière du Père Lachaise et les 147 combattants y furent fusillés devant ce que l’on nomme toujours « le mur des Fédérés » qui, toujours aujourd'hui, demeure l'un des grands lieux de la mémoire du mouvement ouvrier. Ces combats firent entre 5 000 et 7 000 morts, 43 000 personnes furent trainées en justice. 4 500 d'entre elles (dont Louise Michel) furent condamnées au bagne, déportées en Algérie ou en Nouvelle-Calédonie (conquise en 1853). Ces condamnations étaient un moyen de criminaliser le mouvement communard et d'en nier la dimension politique. Plusieurs milliers de Communards (Jules Vallès, Courbet...) parvinrent à s'enfuir en Angleterre ou en Suisse.

Dans la continuité des journées de juin 1848, la semaine sanglante de mai 1871 fut un exemple de guerre sociale féroce, de lutte à mort entre les classes possédantes et un régime démocratique dirigé par les ouvriers. Le rêve d’une république démocratique et sociale hérité de 1848 était désormais éteint pour longtemps. Surtout, l'expérience des 72 journées de la Commune devint pour les mouvements socialiste, communiste et anarchiste, l’exemple même de ce que pourrait être le régime politique de la classe ouvrière.

5.3 La mise en place de la Troisième République

A l’été 1871, la France se trouvait en plein désarroi : massacres de la Semaine sanglante, perte de l’Alsace-Lorraine et occupation d’un partie du territoire par l’armée allemande, paiement des réparations. Le régime impérial était totalement discrédité par sa défaite à Sedan, et le mouvement ouvrier et révolutionnaire était décimé à la suite de la Semaine sanglante. Trois forces politiques dominaient alors le débat politique à l’Assemblée : les légitimistes, monarchistes et hostiles aux acquis de la Révolution française, les orléanistes, dirigés par Thiers et proches de la grande bourgeoisie d’affaire, qui pouvaient renoncer à la monarchie pourvu que le régime garantisse les libertés politiques et les affaires, et les républicains modérés très hostiles à la Commune, partisans d’une république politiquement libérale mais socialement conservatrice (Jules Ferry, Jules Favre, Jules Simon).

En juillet 1871, le comte de Chambord, le prétendant au trône des légitimistes sous le nom de Henri V, exilé en Autriche, annonça qu’il refusait de renoncer au drapeau blanc de la monarchie d’Ancien Régime. En refusant le drapeau tricolore, il discrédita définitivement les légitimistes et permit le rapprochement entre les orléanistes et les républicains, tous également attachés aux principes de 1789 et favorables à un régime parlementaire. Les orléanistes préféraient une république conservatrice à la monarchie de droit divin rétrograde du comte de Chambord. En conséquence, l’Assemblée vota la loi Rivet du 31 août 1871 : le « président de la République française » se trouvait « sous l’autorité » de l’Assemblée qui s’octroya le pouvoir de rédiger une constitution. Thiers devint ainsi à la fois président et chef du gouvernement, mais sous le contrôle de l’Assemblée qui l’avait élu. Le système politique de la France n’était pas encore établi et il aurait pu facilement tomber du côté de la monarchie si les légitimistes et les orléanistes avaient pu s’entendre. Mais l’entente se fit entre les orléanistes et les républicains. De fait, l’opposition essentielle n’était plus entre les monarchistes et les républicains, mais entre les partisans d’un retour à l’Ancien Régime et les partisans des principes de 1789. Cependant, les hésitations perdurèrent.

Le 24 mai 1873, Thiers fut poussé à la démission par les députés monarchistes car il s’était clairement déclaré pour la république. L’Assemblée élit à sa place, comme président de la république, le maréchal Mac-Mahon, un légitimiste qui avait le sang des Algériens et des Communards sur les mains. Il fut élu pour sept ans, durée très longue et inhabituelle dans les régimes parlementaires : les monarchistes n’avaient toujours pas renoncé à instaurer un régime monarchique et ce délai de sept années leur semblait nécessaire pour trouver un nouveau prétendant au trône. Cette mesure de circonstance devint ensuite une règle constitutionnelle jusqu’à l’instauration du quinquennat à partir de 2002. La période du mandat de Mac-Mahon fut nommée l’Ordre moral : De Broglie dirigea le cabinet ministériel et pris une série de mesures très conservatrices. La liberté de la presse fut réduite, les débits de boisson très surveillés, les fonctionnaires et les instituteurs républicains furent révoqués. De grands pèlerinages furent organisés dans une atmosphère de fièvre religieuse et, surtout, une souscription permit de construire la basilique du Sacré-Cœur sur la colline de Montmartre, précisément là ou la Commune avait débuté, afin d’expier les crimes de la Commune.






Document : Portrait du maréchal Mac Mahon, président de la république

https://www.vie-publique.fr/catalogue/24010-portrait-officiel-de-m-patrice-de-mac-mahon-president-de-la-republique-francaise













Encart : Quelques mots sur Mac Mahon (1808-1893). Il effectua l'essentiel de sa carrière militaire en Algérie, entre 1830 et 1870, avec quelques intermèdes, participant à une "pacification" qui divisa par deux le nombre des Algériens. En 1855, lors de la guerre de Crimée, il s'empara de l'ouvrage fortifié de Malakoff, ce qui contribua à la conquête de Sébastopol. Il aurait alors prononcé son célèbre aphorisme: "J'y suis, j'y reste". Il est également célèbre pour cet autre aphorisme : "Que d'eau ! que d'eau !", devant le spectacle des inondations provoquées par la Garonne à Toulouse, le 26 juin 1875. En 1859 il contribua à la victoire de Magenta en Italie et fut fait maréchal et duc de Magenta par Napoléon III. Par son incompétence, il contribua à la défaite de Sedan en 1870 et commanda ensuite l'armée qui massacra les Communards lors de la "Semaine sanglante". Cet attachant personnage devint président de la république en 1873, en attendant une possible restauration monarchique.


En attendant de trouver un prétendant au trône, il fallut organiser la répartition des pouvoirs. Cette situation politiquement floue explique qu’il ne fut pas rédigé une constitution de la Troisième République, seulement un ensemble de lois constitutionnelles résultant de rapprochements de circonstance entre orléanistes et républicains. Le 30 janvier 1875, l’amendement Wallon voté par une voix de majorité, indiqua : « Le président de la république est élu à la majorité des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en une assemblée nationale ». La république était évoquée uniquement et subrepticement dans cette simple phrase pour caractériser le président. Cette phrase instituait un régime parlementaire bi-caméral (Sénat et Chambre des députés) dont dépendait le président. Le modèle était celui de la monarchie de juillet avec deux différences : le président remplaçait le roi et le suffrage universel ne pouvait plus être remis en cause. Une restauration monarchiste n’était toujours pas exclue : on pouvait encore remplacer le président par un roi orléaniste et instaurer une monarchie de type britannique. Cependant, l’intransigeance du comte de Chambord, attaché au drapeau blanc et à la monarchie de droit divin, finit par lasser les orléanistes qui basculèrent définitivement vers la république conservatrice garantissant à la fois le respect des principes de 1789 et le maintien de l’ordre social.

Trois lois constitutionnelles successives reprirent l’amendement Wallon et fixèrent le fonctionnement de la Troisième république : la loi relative au Sénat le 24 février 1875, la loi relative à l’organisation des pouvoirs publics le 25 février (reprenant l'amendement Wallon dans son article 2) et la loi relative aux rapports entre les pouvoirs publics, le 16 juillet 1875. Ces lois fixaient une constitution de type orléaniste. Le président de la république était élu par le Sénat et la Chambre de députés pour sept ans en attendant une éventuelle restauration monarchique.

Le président nommait les ministres, il avait l’initiative des lois et pouvait dissoudre la Chambre des députés avec l’accord du Sénat. La Chambre des députés (terme monarchiste qui remplace le terme "Assemblée nationale") était composée de députés élus au suffrage universel masculin pour quatre ans. Ces derniers votaient le budget et les lois. Ils pouvaient censurer le gouvernement. Le Sénat (équivalent de la chambre des pairs) était composé de 300 membres élus au suffrage indirect (par les députés, des élus des conseils municipaux et des conseils généraux) pour neuf ans. Parmi eux, 75 « sénateurs inamovibles » étaient élus à vie par la chambre des députés. Le Sénat servait à contrebalancer politiquement la chambre des députés. Cette constitution était donc d’essence monarchiste : équilibre des pouvoirs, équilibre entre suffrage universel et suffrage indirect, équilibre entre la chambre des députés et le Sénat. En effet, jusqu’ici, les constitutions républicaines supposaient une seule assemblée et le suffrage universel direct. Ce régime n’était pas d’essence républicaine, mais les républicains comptaient l’aménager par la suite. Pour y parvenir, il leur restait à conquérir les institutions.


Document : la loi du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs publics

Article 1. - Le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. - La Chambre des Députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions déterminées par la loi électorale. - La composition, le mode de nomination et les attributions du Sénat seront réglés par une loi spéciale.


Article 2. - Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible (Amendement Wallon du 30 janvier 1875).


Article 3. - Le président de la République a l'initiative des lois, concurremment avec les membres des deux chambres. Il promulgue les lois lorsqu'elles ont été votées par les deux chambres ; il en surveille et en assure l'exécution. - Il a le droit de faire grâce ; les amnisties ne peuvent être accordées que par une loi. - Il dispose de la force armée. - Il nomme à tous les emplois civils et militaires. - Il préside aux solennités nationales ; les envoyés et les ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. - Chacun des actes du président de la République doit être contresigné par un ministre.


Article 5. - Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat. - En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour de nouvelles élections dans le délai de trois mois.


Article 6. - Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du Gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. - Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison.


Article 9. - Le siège du pouvoir exécutif et des deux chambres est à Versailles (article abrogé par la loi du 21 juin 1879)


Source: https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1875-iiie-republique









Document : Le fonctionnement de la Troisième république

Source : https://manuelnumeriquemax.belin.education/histoire-premiere/topics/hist1-ch06-156-a_l-instauration-et-l-enracinement-d-une-republique-democratique








Aux élections législatives de mars 1876, à l’issue d’une campagne électorale très active menée par Gambetta, les républicains emportèrent 360 sièges contre 160 aux monarchistes et aux bonapartistes. La république conservatrice rassurait désormais la masse des paysans. Le républicain Jules Simon devint alors le président du conseil des ministres.



Document : La répartition des sièges à l'Assemblée nationale après les élections de 1876. Source : Manuel d'histoire de première, Hatier, 2019, p. 157.








Le conflit était inévitable avec le président de la république et, le 16 mai 1877, Mac-Mahon retira sa confiance à Jules Simon qui démissionna. Mais la Chambre des députés refusa de voter la confiance au nouveau président du conseil monarchiste, De Broglie. Le 19 juin, Mac-Mahon dissout la chambre. Gambetta sillonna à nouveau la France pour mener la campagne électorale et prononça cette phrase demeurée célèbre, le 15 aout 1877 à Lille : « Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre ».


Document : Discours de Léon Gambetta à Lille, le 15 aout 1877

Quand la seule autorité [le suffrage universel masculin] devant laquelle il faut que tous s’inclinent aura prononcé, ne croyez pas que personne soit de taille à lui tenir tête. Ne croyez pas que quand ces millions de Français, paysans, ouvriers, bourgeois, électeurs de la libre terre française, auront fait leur choix, et précisément dans les termes où la question est posée ; ne croyez pas que quand ils auront indiqué leur préférence et fait connaître leur volonté, ne croyez pas que lorsque tant de millions de français auront parlé, il y ait personne, à quelque degré de l’échelle politique ou administrative qu’il soit placé, qui puisse résister. (Vive approbation.)

Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre. (Double salve d’applaudissements. – Bravos et cris répétés de : Vive la République ! Vive Gambetta !)


Source : http://droitpolitique.com/publications/publication/44/discours-de-gambetta-a-lille-15-aout-1877


Aux élections législatives d’octobre 1876, les républicains remportèrent à nouveau la majorité des sièges, De Broglie dut démissionner et Mac-Mahon dut effectivement se soumettre. Désormais, plus aucun président de la Troisième république n’osa dissoudre la Chambre des députés qui devint l’institution centrale de la république. La Troisième république devint à la faveur de la crise du 16 mai un régime réellement parlementaire.

Ensuite, les Républicains remportèrent toutes les élections et firent la conquête de toutes les fonctions politiques. En 1878, ils l’emportèrent dans un grand nombre de conseils municipaux. Lors du premier renouvellement du Sénat en 1879, les conseillers municipaux républicains, électeurs des sénateurs, élurent une majorité de sénateurs républicains. Face à deux assemblées républicaines, Mac-Mahon démissionna le 30 janvier 1879. Au-delà des souhaits de Gambetta, non seulement il s’était déjà soumis en 1876 mais il dut également se démettre en janvier 1879. Le républicain Jules Grévy fut alors élu président de la république. Plusieurs mesures attestèrent la victoire de la république : le gouvernement et les deux chambres quittèrent Versailles pour Paris, les condamnés de la Commune furent amnistiés et revinrent en France en 1880, la Marseillaise devint l’hymne national en 1879 et le 14 juillet devint la fête nationale en 1880. Comme le drapeau tricolore avait été adopté définitivement comme emblème en 1830 et la devise républicaine en 1848, tous les symboles actuels de la république étaient désormais acquis. Surtout, la république s'imposait dans l'espace politique et architectural avec la construction massive de mairies et d'écoles qui installaient la république au cœur des villes et des villages.



Document : Léon Bonnat, Portrait de Jules Grévy (1807-1891), 1880. Paris, Musée d’Orsay

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bonnat_Portrait_of_Jules_Grevy.jpg


5.4 Les républicains au pouvoir

Les années 1880-1885 furent dominées par les républicains modérés qui avaient commencé leur carrière politiques en tant qu’opposants à Napoléon III. Comme les principaux dirigeants républicains étaient Jules Ferry, Jules Grévy et Jules Simon, on parlait alors de la « République des Jules ».

Ces républicains modérés étaient qualifiés d’opportunistes : ils profitèrent de toutes les opportunités pour installer progressivement la république sans provoquer de bouleversements brutaux. Ils firent voter les grandes lois libérales, dont certaines ont toujours cours aujourd’hui. La loi du 30 juin 1881 garantissait la liberté de réunion. La loi du 29 juillet 1881 garantissait la liberté d’expression (affichage, presse, etc.). Une autorisation préalable suffisait pour organiser une réunion ou publier un journal. Il était désormais possible de tout écrire dans un journal, sauf de diffamer une personne. La loi de 1884 garantissait la liberté syndicale. Il ne s’agissait pas d’une loi sociale, mais d’une loi libérale permettant aux salariés de se regrouper en tant que citoyens pour défendre leurs droits dans le cadre des institutions de la république. La loi Naquet de 1884 autorisa le divorce dans des conditions assez restrictives. Le divorce était considéré comme une garantie de la liberté individuelle car le mariage était considéré comme un contrat qui devait donc pouvoir être rompu. La révision constitutionnelle du 14 aout 1884 supprima l’institution monarchique des 75 sénateurs inamovibles et déclara : « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision. Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République. " La république devenait ainsi le régime définitif de la France et la restauration monarchique n’était plus une option.

Toujours en 1884, les conseils municipaux eurent le droit d’élire leur maire, sauf à Paris, inquiétant berceau de nombreuses révolutions, dirigée par le préfet de police et le préfet de la Seine, jusqu’en 1977, date de l’élection du premier maire de Paris, Jacques Chirac. Enfin, la loi de 1901 créa la liberté d’association (« associations loi 1901 ») qui est toujours en vigueur, elle aussi.

La loi Camille Sée de 1880 ouvrit l’enseignement secondaire aux jeunes filles. L’école primaire devint gratuite en 1881, obligatoire et laïque en 1882. En 1886, la loi Goblet laïcisa le personnel enseignant des écoles primaires publiques qui devint fonctionnaire d’État en 1889.

Enfin, la loi du 9 décembre 1905 instaura la séparation des Églises et de l’État. La laïcité était un combat essentiel pour fonder la république contre l’Église dont le clergé restait majoritairement hostile aux principes de 1789.

Au cours de cette période, les citoyens s'acculturèrent à la pratique républicaine du suffrage universel masculin. Le vote communautaire institué lors de la Seconde république tomba progressivement en désuétude. Cependant, l'installation des isoloirs consacrant un vote libre et individuel ne fut permise que par la loi du 29 juillet 1913, alors que la question se posait depuis les années 1880.


Document : Alfred Henri Bramtot, Le suffrage universel, esquisse pour la mairie des Lilas (Seine), 1889. Paris, Petit Palais.

Source : https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/esquisse-pour-la-mairie-des-lilas-le-suffrage-universel#infos-principales

Enfin, la République s'imposa également par les symboles républicains qui saturèrent l'espace public et qui assurèrent, selon le mot de l'historien Maurice Agulhon, une "républicanisation du décors". Nous verrons plus loin la question des statues de Marianne. Comme nous l'indiquons dans le cours sur "L'école au temps de Jules Ferry", la construction des bâtiments scolaires à partir des années 1880, sur lesquels était inscrite la devise républicaine, participe de cette logique. Enfin, une loi de 1884 oblige les communes à se doter d'un bâtiment spécifique pour accueillir le conseil municipal de chaque commune qui ne peut plus se réunir dans la maison personnelle du maire. Parfois accolées aux écoles primaires, pour des raisons budgétaires, elles arboraient également la devise républicaine. Le bâtiment de la mairie devait désormais incarner la République installée au cœur de chaque commune. C'est pourquoi, dans les grandes villes, ces bâtiments furent d'emblée très imposants.

Pourtant, la république aurait pu succomber à deux crises majeures.

Au milieu des années 1880, la crise économique nommée la "grande dépression" provoqua de nombreuses grèves et l’instabilité ministérielle réduisit la confiance de nombreux citoyens envers les institutions qui semblaient fragiles. En outre, le président Jules Grévy dut démissionner en 1887 lorsque l’on apprit que son gendre profitait de sa position pour vendre très cher des décorations et notamment des légions d’honneur. Le scandale fut énorme. Au même moment, entre 1887 et 1889, le général Boulanger fédéra derrière lui à la fois la droite bonapartiste, une fraction des monarchistes et une partie de la gauche républicaine radicale. Ce général était très populaire lorsqu’il était ministre de la guerre en 1886-1887 : il fit adopter le fusil Lebel, autorisa la port de la barbe dans l’armée, remplaça les gamelles par des assiettes, autorisa les soldats à posséder des couverts, fit construire un réfectoire par caserne, refusa de faire intervenir l'armée contre les mineurs grévistes de Decazeville. Cependant, il engagea un bras de fer avec l'Allemagne en raison d'une affaire d'espionnage. Comme il avait risqué de déclencher une guerre avec l'Allemagne, il fut démis de ses fonctions par le président de la République Jules Grévy. Il passa alors à la fois pour un homme de gauche et pour un patriote convaincu, partisan d’un pouvoir fort. Il s'engagea alors dans le combat politique en se présentant à diverses élections législatives partielles. Il réclamait une révision constitutionnelle dans le sens du renforcement du pouvoir exécutif, programme qui convenait aussi bien aux bonapartistes qu’aux monarchistes légitimistes qui croyaient toujours possible de remplacer le président de la république par un monarque. Les mesures qu'il avait adoptées lorsqu'il était ministre lui attirait le soutien des républicains radicaux et de certains militants ouvriers. Il fut élu triomphalement à plusieurs élections législatives partielles. Un soir de victoire électorale, le 27 janvier 1889, il fut poussé par ses amis politiques à s’emparer de l’Élysée, ce qu’il refusa au dernier moment car il souhaitait rester dans la légalité républicaine. Risquant la prison, il se réfugia en Belgique où il se suicida finalement sur la tombe de sa maîtresse en 1891. On peut trouver cette fin politique, au choix, lamentable ou romantique. Surtout, en les conduisant à voter pour lui, il avait habitué les monarchistes à participer aux élections. Avec les bonapartistes, ces derniers finirent par former la droite républicaine. En 1892, le pape entérina cette évolution et, par l’encyclique Inter sollicitudines, il reconnut officiellement le suffrage universel et autorisa les catholiques à participer aux élections dans un cadre républicain. La république n’était plus mauvaise, c’est la laïcité qui était mauvaise. Ce ralliement des catholiques à la république fut un événement considérable.

Rappelons également que l’année 1889, qui vit la fin de l’aventure boulangiste, fut marquée par la grande exposition universelle, à l’occasion de laquelle fut construite la Tour Eiffel, qui constitua également une célébration de la république. Elle marqua à la fois la victoire des républicains contre Boulanger et le bicentenaire de la Révolution française. La même année, la loi Freyssinet de 1889 sur le service militaire instaura un service militaire réellement universel (suppression des remplacement et de l’exemption des ecclésiastiques) et de courte durée. De même la loi sur la nationalité de 1889 définit cette dernière sur la base du droit du sol car on avait besoin de soldats dans un pays à la natalité déjà déclinante. Elle contribua en effet à accorder largement la nationalité aux étrangers installés depuis plusieurs années en France. Mais surtout, cette loi consacrait l'intégration des citoyens à l'échelle de la nation et non plus seulement à l'échelle locale. La citoyenneté républicaine reposait désormais sur deux bases : le service militaire universel masculin et le suffrage universel masculin.

L’affaire Dreyfus fut la seconde crise majeure qui faillit emporter la république. Cette affaire commença comme un affaire d’espionnage : une femme de ménage, employée par les services secrets français et travaillant à l’ambassade allemande, y trouva un bordereau contenant des secrets militaires français. Le capitaine français Alfred Dreyfus, juif alsacien, fut accusé d'avoir transmis ce bordereau aux Allemands. Il fut condamné pour trahison et déporté à l’île du Diable, en Guyane, en 1894. Le capitaine Picquart fut progressivement convaincu que le traître était en réalité un autre officier français, Esterhazy. La famille de Dreyfus convainquit Zola de l’innocence de Dreyfus et Zola écrivit le 13 janvier 1898 son fameux article « J’accuse » dans l’Aurore, le journal de Clemenceau afin de dénoncer cette erreur judiciaire. Zola fut lui-même condamné pour diffamation et dut s’exiler en Angleterre, où il mourut dans des circonstances suspectes, pour éviter la prison. L’affaire rebondit grâce à « J’accuse » et divisa profondément l’opinion publique française : les dreyfusards défendaient Dreyfus au nom des droits de l’homme, de la recherche de la vérité et de la justice ; les antidreyfusards défendaient l’honneur de l’armée, la raison d’État et étaient souvent antisémites ("Dreyfus était nécessairement coupable parce qu'il était juif"). En 1899, la révision du procès de Dreyfus condamna à nouveau Dreyfus (pour satisfaire les anti-dreyfusards) avec les circonstances atténuantes et ce dernier fut aussitôt gracié par le président de la république Loubet (pour satisfaire des dreyfusards). Dreyfus fut réhabilité en 1906.

Finalement, l’affaire Dreyfus renforça la république derrière les idées des Lumières et les principes des droits de l’homme. Les forces antidreyfusardes et anti-républicaines, l’un des avatars du courant légitimiste, furent discréditées et privées pour longtemps d’une représentation politique. On peut considérer le régime de Vichy, autoritaire, antiparlementaire et antisémite, comme une revanche des antidreyfusards contre la république.

5.5 L'organisation du mouvement ouvrier

Parallèlement aux crises républicaines, le mouvement ouvrier commença à s'organiser. Rappelons qu'il avait été décapité par la répression de la Commune. Un évènement majeur fut la fusillade de Fourmies dans le nord de la France, le 1er mai 1891. Depuis 1889, le 1er mai était considéré comme la journée annuelle de revendication de la journée de 8 heures de travail. A l'appel des militants socialistes, les ouvriers de l'industrie textile de Fourmies firent massivement grève pour leurs salaires mais le maire de la ville fit appel à l'armée qui tira sur les manifestants et tua neuf personnes. Cette fusillade, largement connue grâce à la presse à grand tirage, mit en évidence les deux limites de la république : son incapacité à résoudre la question sociale, son incapacité à faire participer les classes populaires à la vie politique. Le combat contre ces deux limites fut celui du mouvement socialiste mené tout d'abord par des anciens Communards. Par exemple, Jean Allemane et Edouard Vaillant fondèrent de petits partis révolutionnaires prônant la grève générale en lien avec l'action syndicale comme moyen de renverser le capitalisme. Jules Guesde, eut un rôle plus important car il fut le principal introducteur en France du marxisme et de la notion de lutte des classes. Il fonda le Parti Ouvrier Français qui obtint ses premiers succès électoraux dans le nord de la France et dans le midi. Mais la grande figure du mouvement socialiste en France fut bien évidemment Jean Jaurès, créateur du journal L'humanité en 1904, qui organisa en 1905 la création de la SFIO (Section française de l'internationale ouvrière) par le regroupement de tous les partis socialistes existants et jusque-là rivaux.

Cependant ce parti demeura assez faible et plutôt minoritaire (51 députés en 1906, 103 en 1914 contre 250 députés radicaux par exemple). En effet, le mouvement syndical, incarné alors par la CGT, s'opposait au mouvement socialiste. La CGT défendait un syndicalisme révolutionnaire influencé par les anarchistes dont l'objectif était de préparer la grève générale, prélude au renversement du capitalisme. Il n'était pas question pour eux de se présenter aux élections, comme le faisaient les socialistes. En 1906, lors de son congrès d'Amiens, la CGT adopta la Charte d'Amiens qui prônait l'indépendance des syndicats par rapport aux partis politiques, c'est-à-dire la SFIO. La CGT souhaitait rester indépendante de la SFIO qu'elle soupçonnait de privilégier les élections au détriment de la préparation de la révolution ouvrière.

La SFIO se distingua toutefois par son refus de participer aux gouvernements républicains considérés comme l'instrument de la bourgeoisie. C'est pourquoi quelques socialistes quittèrent bien vite la SFIO pour pouvoir participer aux gouvernements dirigés par les radicaux. Ce fut le cas notamment d'Aristide Briand. Cette opposition aux gouvernements cessa le 4 aout 1914, lors du discours de Léon Jouhaux, sur la tombe de Jean Jaurès assassiné le 31 juillet, appelant à soutenir l'entrée en guerre de la France. Les députés SFIO votèrent alors les crédits de guerre.

Conclusion

Ce chapitre est terriblement difficile à aborder avec des élèves de dix ans. Peut-être est-il possible de l'aborder par le biais de l'évolution des représentations de Marianne et de la République. Les lignes qui suivent s'inspirent des travaux du grand historien Maurice Agulhon qui a étudié l'évolution des représentations de Marianne au XIXe siècle.

Les allégories féminines de la République coiffées d'un bonnet phrygien symbole de la liberté retrouvée apparurent en 1792. Elles illustraient des sceaux, des pièces de monnaie, des statuettes. Elles n'étaient pas officiellement appelées Marianne. C'est vraisemblablement un usage populaire qui conduisit à appeler la République Marianne, prénom issu de la contraction des deux prénoms féminins les plus usités durant la Révolution, Marie et Anne.

Pour travailler avec les élèves, on pourrait commencer par le tableau de Delacroix, La liberté guidant le peuple (qui n'est pas une représentation de la République ni de Marianne !), pour évoquer la révolution de 1830. On pourrait étudier ensuite quelques représentations de la République.


Document : Jean-François Soitoux, statue de la République, 1848 (installée seulement en 1880 place de l'Institut à Paris).

Source : https://essentiels.bnf.fr/fr/societe/concevoir-les-societes/f35e776d-45ce-49c1-bd5f-484568fb922c-laicite/album/5c32493a-7732-498f-a516-27e4db6a141e-dire-et-representer-republique

Cette statue gagna la concours de sculpture lancé en 1848 pour représenter la République. Pas encore appelée Marianne, elle est représentée vêtue d'une toge, à l'antique. Cette république guerrière brandit un glaive qui protège un niveau (l'égalité) et une ruche (le travail). Sa tête est ornée d'une couronne de laurier, elle-même ornée d'un étoile à quatre branches symbole de la lumière, marquant la victoire contre la monarchie. D'ailleurs, elle foule aux pieds une couronne royale peu visible ici. Sa main gauche est posée sur un faisceau républicain. Enfin, son front est ceint d'un bandeau où est inscrit : "République démocratique, 24 février". Pas de bonnet phrygien, mais une symbolique essentiellement guerrière pour marquer la victoire récente (la couronne de laurier) mais toujours fragile (le glaive n'a pas été rangé dans son fourreau) contre la monarchie de Juillet.

Sous la République conservatrice puis sous le Second Empire, les symboles républicains égalitaires (bonnet phrygien, niveau, la couleur rouge) furent progressivement bannis de l'espace public. Les aigles impériales et les bustes de Napoléon III furent distribués aux préfectures et aux mairies. Lors de la Commune de 1871, la Marianne combattante, révolutionnaire, cheveux au vent, réapparut temporairement avant de sombrer lors de la Semaine sanglante, mais revint au milieu des années 1870, en portant désormais officiellement le nom de Marianne.


Document : Triomphe de la République, anonyme. 1875. Musée Carnavalet.

Source : https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/triomphe-de-la-republique#infos-principales


La gravure intitulée Triomphe de la République, date de 1875, au moment où furent votées les lois constitutionnelles instaurant la Troisième république, dans un contexte passablement confus, quelques temps après la répression de la Commune et alors que la restauration monarchique restait une option possible. Là encore, la République, guidée et éclairée par le génie de la liberté (voir la Colonne de Juillet sur la place de la Bastille), est incarnée par une Marianne guerrière, coiffée du bonnet phrygien, l'épée dans une main et le drapeau tricolore dans l'autre, foulant du pied la couronne et le sceptre de la royauté. Au-dessus d'elle, des angelots tiennent l'un une inscription "suffrage universel" et l'autre le texte de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Derrière elle, les citoyens (que des hommes !), représentent les différentes catégories du peuple : paysans, ouvriers, soldats. A droite, un garçon tient un livre, rappelant l'accès à l'instruction promis par la République aux enfants.

Au pied du piédestal, la République met en déroute tous ses ennemis. De gauche à droite : un monarchiste tenant dans sa main un sac contenant l'argent de la liste civile, le comte de Chambord, prétendant légitimiste au trône en costume de sacre, Napoléon III et un général vaincu à Sedan, et des soldats prussiens qui viennent de quitter le territoire français. Désormais, les statues de Marianne saturent l'espace public et entrent dans les mairies.


Document : Statue de la République, place de la République, Paris. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Place_de_la_R%C3%A9publique_(Paris)#/media/Fichier:A_la_Gloire_de_la_R%C3%A9publique_Fran%C3%A7aise.jpg


La statue de la place de la République fut inaugurée en 1883, alors que la République était définitivement installée. La statue en bronze de 9,5 m de haut est posée sur un piédestal en pierre de 15 m de haut. L'allégorie de la République porte le bonnet phrygien et une couronne de laurier. Elle brandit de la main droite un rameau d'olivier, symbole de paix. Son épée est glissée dans un fourreau, car la victoire sur la monarchie est désormais acquise, et sa main gauche est appuyée sur une table de la loi avec l'inscription : " Droits de l'homme". Sur le piédestal figure l'emblème de la ville de Paris accompagné de l'inscription : « À la gloire de la République Française - La ville de Paris - 1883 ». Les trois statues féminines (l'une d'elles se trouve derrière la statue) symbolisent la liberté, l'égalité et la fraternité. Le lion de bronze, symbole de force, garde une urne sur laquelle est inscrit "suffrage universel". La force du lion, support de la République désormais solidement installée, renvoie au suffrage universel (masculin) et à la souveraineté nationale. Les plaques de bronze ceinturant le piédestal rappellent les évènements majeurs à l'origine de la République : 20 juin 1789 (serment du jeu de paume), 14 juillet 1789 (prise de la Bastille), 4 aout 1789 (abolition des privilèges), 14 juillet 1790 (fête de la Fédération), 11 juillet 1792 (la patrie en danger), 20 septembre 1792 (Valmy), 21 septembre 1792 (abolition de la monarchie), 29 juillet 1830 (Trois glorieuses), 4 mars 1848 (adoption du suffrage universel), 4 septembre 1870 (proclamation de la République), 14 juillet 1880 (première célébration de la fête nationale). La République est donc le point d'aboutissement de cette histoire.


Document : le triomphe de la République, place de la Nation à Paris. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_triomphe_de_la_R%C3%A9publique,_Place_de_la_Nation_Paris_Aim%C3%A9_Jules_Dalou.JPG


La statue en bronze de la République érigée par Dalou sur la place de la Nation fut inaugurée en 1899 par le président de la République Emile Loubet.

L'allégorie de la République porte un bonnet phrygien, sa main gauche est posée sur un faisceau républicain. Elle ne porte plus l'épée ni la couronne de laurier des Républiques guerrières antérieures, car la paix et la stabilité sont désormais assurées. Son sein dénudé symbolise la République nourricière. Elle marche sur un globe pour marquer l'universalité de la République. Elle est placée sur un char tiré par deux lions, symbolisant la force de la souveraineté nationale et celle du suffrage universel, dirigés par le génie de la liberté éclairant la route et l'humanité de son flambeau. Elle est accompagnée des allégories du Travail (le forgeron, un marteau sur l'épaule), de la Justice (une femme tenant un manteau d'hermine et la main de justice), et de la Paix (répandant des fleurs). Enfin, des enfants symbolisent l'Instruction (portant un livre et les outils des métiers du bâtiment), l'Équité (chargé d'une balance) et la Richesse (tenant une corne d'abondance).

Cet ensemble symbolise réellement la triomphe de la République. Elle vient de surmonter la crise boulangiste et l'Affaire Dreyfus et semble définitivement installée et stable. C'est pourquoi on peut considérer que le sein dénudé de la République nourricière est l'exact contrepoint du glaive et de la couronne de laurier des Marianne guerrières précédentes, érigées à des moments où la République semblait encore menacée par les forces royalistes et bonapartistes.


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